
«J’ai dû annuler un voyage parce qu'on m’a refusé de signer une autorisation de sortie pour mon enfant»
Au Sénégal, les coutumes et croyances, et même la législation semblent tous confiner la femme dans un second rôle, derrière l’homme. C’est d’ailleurs ce qui explique le nombre élevé d’associations de lutte pour les droits des femmes. L’une des dernières à voir le jour, certainement, porte le nom de «Femmes émancipées : Keur Jigeen ñi» et se veut plus pragmatique dans le choix de ses combats. Coura Ndiaye, la présidente de ladite association, s’est inspirée d’une expérience personnelle pour convaincre ses amies qu'il urge d'aller en croisade contre le Code de la famille qui constitue un véritable frein à l’émancipation de la femme.
Les Échos : Vous êtes la présidente de l’association «Femmes émancipées : Keur Jigeen ñi». Qui est Coura Ndiaye et quel est le but de cette association ?
Coura Ndiaye : Je suis une jeune Sénégalaise. Une femme d'affaires qui s’active dans le domaine de l'import- export. Avec des amies, nous avons mis en place une nouvelle association de lutte contre toutes les violences faites aux femmes et aux enfants. L’association a été créée en novembre 2022. Elle compte actuellement près de 200 membres à travers le monde, toutes sénégalaises. Étant donné que les femmes sont sujettes à plusieurs formes de violences, nous avons décidé de nous concentrer plus particulièrement sur les violences dites morales et les discriminations que subissent les femmes sénégalaises. C’est pourquoi nous avons choisi de mettre le curseur sur des questions comme l’autorité parentale avec les autorisations de sortie du territoire pour les mineurs, mais aussi le refus de paternité, l’abandon de famille.
Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre sur pied cette association ?
Plusieurs raisons. L’une des premières, c’est comment la femme est traitée au Sénégal. On n’a même pas besoin d’être une femme pour s’en offusquer. Partant de la façon dont notre société est bâtie jusqu’au contenu du Code de la famille, la femme sénégalaise est systématiquement reléguée au second plan. En plus de tous ces facteurs, j’ai vécu personnellement une expérience douloureuse. En effet, j’ai dû annuler un voyage parce que ne pouvant pas partir avec mon enfant sans l’autorisation de son père qui a refusé de la signer. Les hommes ont tendance à utiliser les enfants comme arme de guerre contre leur(s) ex-femme(s), ce que je trouve vraiment déplorable.
Quels sont les objectifs de l’association «Femmes émancipées» ?
Les violences morales et les discriminations dont sont victimes les femmes étant plus complexes, notre premier objectif c’est de sensibiliser les femmes sur ces faits afin qu’elles comprennent mieux ces phénomènes qu’on a tendance à normaliser alors qu’ils sont tout sauf normaux. Et pour celles qui auront besoin d’assistance, l’association «Femmes émancipées» sera à leurs côtés pour les aider à se relever. Nous sommes conscientes que nous évoluons dans une société patriarcale, mais il est grand temps que la femme puisse s’épanouir, tenir ses activités sans avoir à craindre de se heurter à des barrières que les hommes pourraient lui dresser sur son chemin. Nous comptons faire le nécessaire pour que route femme qui désire voyager avec son enfant ait la possibilité de le faire sans contrainte. Nous allons aussi nous battre pour que ces hommes qui abandonnent leurs femmes avec leurs enfants soient contraints à prendre leurs responsabilités.
En gros, vous voulez changer les dispositions du Code de la famille ?
Il ne s’agira certainement pas de changer l’intégralité, mais la partie sur l’autorité parentale mérite d’être revue. C’est une urgence. La première fois que l’on m’a montré le Code la famille, j’étais bouche bée. C’est comme si la femme ne valait pas grand-chose dans ce pays. Il faut impérativement que l’on accorde à la femme plus d’autorité sur ses enfants. Tant qu’on est en couple, il peut ne pas y avoir de problème de garde ou d’autorité parentale, même s’il y a des exceptions. Mais, les vrais problèmes surgissent quand il y a séparation. Ce code a été rédigé par des hommes qui n’ont pas pris en compte l’importance de la femme. Il faut un encadrement par rapports à certaines situations. Je peux comprendre que l’on exige à la femme mariée d’avoir l’accord de son mari pour voyager avec son enfant, mais franchement, pour les femmes divorcées, je ne vois pas pourquoi on devrait le leur imposer.
Il y a déjà un pléthore d’associations féministes, pourquoi vous n’avez pas intégré l’une d’elles au lieu d’en créer une autre ?
Nous tenons à magnifier le travail de tous ceux qui militent pour la cause de la femme. Nous les félicitons pour le travail abattu, mais il faut reconnaître qu’il n’y pas d’aboutissement. Nous, notre association se veut plus pragmatique. Nous avons en notre sein des juristes qui nous orientent par rapport à la législation qui encadre le Code de la famille. Elles sont aussi à la disposition des femmes qui viennent nous voir avec leurs problèmes. Nous sommes optimistes quant à l’évolution des choses.
Un message pour les femmes qui subissent des violences en silence ?
Je leur dis qu’elles peuvent et doivent s’affranchir dès qu’en-dira-t-on. Aucune femme ne mérite d’être la proie d’un homme, aucune femme n’a à s’excuser d’être femme ou à justifier constamment ses positions. Elles méritent respect et considération de tous. Il nous faut être fortes et ne jamais se décourager. Ce n’est pas évident, certes, il faut aller jusqu’au bout. Je lance un message au président de la République et aux députés pour qu’ils nous aident à réviser le Code de la famille.
Ndèye Khady DIOUF