Le Sénégal aurait pu gagner des milliards de dollars pour ses citoyens, s’il avait cédé ses blocs offshore (Cayor offshore et Saint-Louis offshore) par appel d’offres. Mais il les a cédés «gratuitement» à Frank Timis qui, quelque temps après, les a revendus pour des milliards de dollars de bénéfice qui vont l’enrichir, lui et sa descendance. C’est la remarque de l’experte sur les questions de corruption dans le secteur du pétrole, Alexandra Gillies. Et pour elle, à chaque fois qu’un gouvernement choisit cette voie et non celle de l’appel d’offres, il faut toujours enquêter, car très souvent cela permet de déceler des éléments de corruption. Voilà qui conforte Thierno Alassane Sall.
Personne de sensé ne voudrait vendre une propriété à un prix bien inférieur à sa valeur et permettre à l'acheteur de faire un million de fois plus de bénéfice après l'avoir revendue. C’est le raisonnement qui guide la sortie de Alexandra Gillies, experte dans les questions de corruption dans le secteur pétrolier, qui soutient que «les militants de la société civile doivent toujours s’alarmer quand les gouvernements se permettent de donner des actifs de premier ordre à des entreprises non qualifiées, pour un rien, au lieu de passer par un processus d'appel d'offres qui rapporterait des milliards de dollars de revenus aux citoyens». Dans une analyse détaillée publiée par le Natural Resource Governance Institute (NRGI), elle donne l’exemple du Sénégal qui, dit-elle, «a donné gratuitement» deux de ses principaux blocs gaziers à Frank Timis, qu’elle qualifie de «tordu». Et qui ensuite a vendu les deux concessions offshore pour «des milliards de dollars de bénéfice qui rempliront les poches de ses enfants et petits-enfants à vie».
Rappelant les faits, l’expert note que Frank Timis, «un homme d'affaires roumain-australien au passé corrompu et sans expérience dans l'exploration offshore», avait créé une société appelée Petro-Tim en 2012 et l'avait enregistrée dans les îles Caïmans. Après avoir créé cette société, il l'avait utilisée pour obtenir les droits de deux concessions offshore, Saint-Louis et Cayar, la même année. Deux ans plus tard, il a créé une autre société écran appelée Timis Corporation, enregistrée dans les îles Vierges britanniques, et a engagé le frère du Président sénégalais, Aliou Sall, pour diriger le spectacle. Et Alexandra Gillies de souligner qu’il est «important de noter que le frère du Président a également peu ou pas d’expérience en matière d’exploration et de production en eau profonde». Poursuivant, elle souligne que moins de deux mois après l’enregistrement de la nouvelle société et l’embauche du frère du Président, «la société a commencé à vendre les intérêts dans les champs de gaz, car elle n’avait pas les moyens de faire honneur au programme d’exploration».
«Au total, Timis a gagné environ 900 millions de dollars dans les cinq ans suivant l'acquisition des blocs et aujourd'hui, il peut espérer vivre avec au moins 12 millions de dollars supplémentaires»
Retraçant les transactions, Gillies de rappeler que Timis Corporation avait vendu 60% des actions à la société pétrolière américaine Kosmos en 2014 pour plus de 400 millions de dollars américains. Cette même année, Kosmos a découvert d'importantes réserves de gaz naturel. Le géant pétrolier britannique British Petroleum (BP) a ensuite rejoint le partenariat et a acquis 30% des parts des blocs, ce qui a permis à Timis d'obtenir plus de 200 millions de dollars américains. Elle ajoute qu’en 2017, BP a ensuite racheté Timis Corporation, qui détenait les actions restantes dans les blocs gaziers, pour 250 millions de dollars américains. BP a également, selon l’experte, accepté de verser à Timis au moins 12 millions de dollars de redevances sur une période de 40 ans. «Au total, Timis a gagné environ 900 millions de dollars dans les cinq ans suivant l'acquisition des blocs et aujourd'hui, il pourrait avoir au moins 12 millions de dollars supplémentaires», fait-il remarquer.
Fort de ce constat, Gillies soutient qu'un «appel d'offres ouvert et bien géré aurait incité une entreprise capable d'explorer les blocs» à soumissionner. Pour elle, «lorsque les gouvernements décident d'emprunter une autre voie (que l’appel d’offres), cela devrait toujours éveiller les soupçons et faire l'objet d'une enquête». Et c’est si important, pour elle, qu’à chaque fois qu’on enquête dans de pareils cas, «il y a souvent un élément de corruption qui est détecté».
Mbaye THIANDOUM
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