En attendant le lancement du Programme d’appui à la modernisation de l’Administration (Pama) par le président de la République lundi prochain, le Conseil économique, social et environnemental a reçu l’Association des Brevetés de l’École nationale d’Administration et de magistrature (Abenam) pour des échanges sur le thème : «l’Administration dans le processus d’émergence : entre mutation, changement et ajustement. Le secrétaire général adjoint de la Présidence et celui du Gouvernement étaient aussi présents.
4h n’ont pas suffi aux Conseillers économiques pour discuter avec les experts de l’Administration sur la marche de cette dernière. Aminata Touré et Cie ont donc passé en revue les manquements notés dans l’Administration sénégalaise. Parmi les problèmes soulevés, il y a, entre autres, les lenteurs dans les procédures, le manque d’harmonisation dans les décisions, les retards et les absences répétés. Insistant sur l’importance de l’homme dans tout processus de développement, Abdou Fouta Diakhoumpa, président de l’Association des brevetés de l’École nationale d’administration et de magistrature (Abenam), déclare : «il est admis de nos jours que le développement est une affaire d’hommes et non de richesses naturelles, fussent-elles minières. L’émergence doit être portée par les entreprises, aidées en cela par l’Administration publique». A son tour, le secrétaire général adjoint de la Présidence plaide pour la nécessité de passer d’une Administration classique de commandement à une véritable Administration moderne transformatrice et de développement. Un point partagé par M. Diakhoumpa, qui affirme que cette ambition ne sera réalisée que si l’Administration fait sa mutation, en commençant par la refonte des textes qui la régissent. Selon ce dernier, le Statut général des fonctionnaires n’est pas un livre sacré dont il ne faudrait jamais modifier la moindre virgule.
Le secrétaire général adjoint du Gouvernement lui aussi indexe l’ancienneté des textes. «Le texte qui régit l’Administration date de 1961, il serait très difficile d’envisager et d’impulser l’amélioration des ressources humaines, la rationalisation de la gestion du personnel avec un texte qui remonte à cette date», assure Pape Assane Touré. Assane Abdou Karim Diop, quant à lui, fait remarquer : «nous n’avons pas de statut de la fonction publique, mais plutôt un Statut général des fonctionnaires qui met l’accent sur les personnes et non sur le service». Relevant les tares de l’Administration, l’expert critique même les conseillers, en affirmant «qu’il y a beaucoup de conseillers municipaux et des membres de l’administration municipale qui n’ont jamais entendu parler de lettre de politique sectorielle». Pour sa part, Abdoulaye Camara, ancien Directeur de l’Ena, précise qu’il ne faut pas verser l’eau du bain avec le bébé. «Ne confondez pas les choses, c’est vous qui devez conseiller le chef de l’Etat. Si le Sénégal est là où il est aujourd’hui, c’est parce qu’il a une administration de qualité», argue-t-il.
El Hadji Momar Samb : «il y a une rupture de confiance entre les administrés et l’Administration»
Évaluant à leur tour l’Administration, les Conseillers plaident tous pour une réforme de cette dernière. Pour El Hadji Momar Samb, le principal problème, c’est qu’il y a une rupture de confiance entre les administrés et l’Administration. «Le manque d’objectivité et d’équité gangrène l’Administration», dit-il. M. Samb croit surtout que si nous voulons réussir à tirer le maximum de notre Administration, il nous faut nous départir de certaines choses de l’héritage du système colonial. «Si on prend l’exemple de l’éducation, il faut impérativement diminuer la durée du cycle élémentaire, former nos élèves avec nos langues nationales. Il faut aussi penser à la réforme de la grille salariale des agents, mais aussi le régime indemnitaire», a fait savoir El Hadji Momar Samb.
Marie Madeleine Pinto Sène : «Il est temps que l’on arrive à un changement de comportement des agents de l’Administration»
Marie Madeleine Pinto Sène, elle, propose le changement de comportement des agents de l’Administration. Pour elle, la perception que le citoyen a de l’Administration et de la qualité du service offert impacte énormément sur la mobilisation des ressources. «Il existe un lien très étroit entre la qualité du service public, le civisme fiscal et la mobilisation. Au Canada, par exemple, on ne parle plus de contribuables, on parle de clients. Il serait important que l’on arrive à un changement de comportement des agents de l’Administration, surtout ceux chargés de la fiscalité», souligne-t-elle.
Me Mbaye Dièye : «l’Administration a une obligation de résultats, parce qu’elle rend des services qui sont parfois payants»
Me Mbaye Dièye reconnaît certes que l’école d’administration forme de bons éléments, mais il faudrait veiller à la continuité de la formation desdits agents. «Il ne faut pas dire que nous avons formé de bons produits et nous limiter à la formation initiale. Quand on prend l’exemple de la justice, il est fréquent que des juges changent de matière sans avoir au préalable suivi une formation adéquate. Cela impacte forcément sur la qualité des décisions», déclare M. Dièye, qui se demande ce que fera la justice quand elle sera appelée à trancher des dossiers sur les droits pétroliers et miniers, avec ce nouveau contexte de découverte de ressources nouvelles. Pour Me Mbaye Dièye, contrairement à ce que pensent certains, l’Administration a une obligation de résultats, parce qu’elle rend des services qui sont parfois payants.
Amadou Kane : «Il ne faut pas penser que pour être un bon cadre, il faut forcément sortir de l’école d’administration»
Amadou Kane, lui, évoque un problème d’harmonisation des décisions centrales de l’Etat. Pour ce conseiller, il urge de procéder à la dématérialisation, parce qu’il est inadmissible que l’on soit obligé de faire un voyage de milliers de km pour avoir juste un casier judiciaire. «C’est vrai que l’Ena forme de bons éléments, mais il faut aussi penser à la valorisation des acquis. Il ne faut pas penser que pour être un bon cadre, il faut forcément sortir de l’école d’administration», suggère le président de l’Oncav.
Quand Marie Ba parle de nécessité de réformes organisationnelles et numériques, Cheikh Diop, lui, pense qu’il faut surtout que l’administration soit performante, en s’adaptant à nos préoccupations. Pour ce faire, dit-il, il faut veiller à une formation continue des agents.
Imam Bamba Sall déplore les lenteurs administratives
Parmi tous les problèmes de l’Administration, Imam Bamba Sall estime que les lenteurs administratives sont ceux qui portent le plus préjudice a l’économie. «Un de mes amis étrangers a voulu investir au Sénégal dans le domaine de la pêche, mais il a dû renoncer a cause des lenteurs administratives», déplore l’Imam. Poursuivant, Imam Sall soutient que pour arriver à réformer l’Administration, il faut d’abord réformer la vision des populations.
Aminata Fall Mbacké : «Avec cette Administration nous ne risquons pas d’aller loin. L’assiduité et la ponctualité font défaut»
Embouchant la même trompette, Aminata Fall Mbacké souhaite que l’Administration soit modernisée, parce qu’elle ne joue pas son rôle. Elle déplore le manque d’assiduité et les absences sans motif. «Avec cette Administration nous ne risquons pas d’aller loin. L’assiduité et la ponctualité font défaut. Pour avoir un extrait, il faut au minimum 3 jours. Comment peut-on parler d’administration sérieuse ?».
Aminata Touré : «il faut revoir la marche de l’Administration sénégalaise»
Prenant la parole, la présidente du Conseil économique, social et environnemental soutient qu’afin d’avoir les standards internationaux, il faut revoir la marche de l’Administration sénégalaise. Prenant l’exemple des Nations-Unies, Aminata Touré affirme que, depuis 1992, c’est la performance qui définit le statut des agents. Pour elle, le fonctionnaire est certes issu de la société sénégalaise, mais, avec sa formation, il ne doit pas agir comme tout le monde, pour la bonne et simple raison qu’on a investi en lui au cours de sa formation.
Ndèye Khady Diouf FALL/Ahmadou Ben Cheikh KANE