Le passage de trois directeurs généraux Modibo Diop, Aliou Niang et Antou Guèye Samba à la tête de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser), entre 2009 et 2014, fait ressortir une gestion des plus opaques qui se traduit par un véritable bamboula au fil des ans. En effet, outre l’absence de personnel technique qualifié, des marchés ont été engagés sur la base de simples bons ou lettres de commande. En plus de gratifications irrégulières, d’abus sur les dons et autres primes distribués à tour de bras au personnel de l’Agence, mais également à des particuliers.
Le rapport de la Cour des comptes 2016 est revenu sur la gestion de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser) de 2009 à 2014. Il s’agit de la gestion des différents directeurs, en l’occurrence Modibo Diop (de 2009 à juin 2010) ; Aliou Niang (juin 2010 à 2012) et Antou Guèye Samba, (à partir du 30 août 2012). La première récrimination porte sur l’absence de personnel technique qualifié. En effet, la mission d’électrification rurale requiert des ressources humaines hautement qualifiées. Ce qui n’est pas le cas à l’Aser qui, selon le rapport de la Cour des comptes, ne dispose pas de ressources humaines de qualité suffisantes pour une correcte prise en charge de la gestion technique.
Myna de Pape Aly Guèye : un gros scandale
Même si l’électrification rurale a été confiée à l’Aser, le ministère de l’Énergie d’alors a fait intervenir d’autres acteurs dans l’électrification rurale. C’est le cas de la société Myna Distribution Technologie SA (propriété de Pape Aly Guèye) qui a signé avec le ministère de l’Énergie, le 5 mars 2010, une convention d’un montant de 16 milliards francs Cfa pour l’électrification et l’extension du réseau pour 746 villages dont 373 pour la première phase. Cependant, les travaux, durant cette phase, n’ont été réalisés que pour seulement 75 villages. La seconde phase également n’avait pas encore connu de réalisation lors du passage des enquêteurs de la Cour des comptes. En dépit de ces manquements dans le respect des engagements, la société Myna s’était retrouvée attributaire d’un nouveau marché par la grâce du ministère de l’Énergie. En effet, dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’urgence d’électrification rurale (Puer) 2014-2016 d’un montant de 98,5 milliards francs Cfa qui visait un taux d’électrification rurale de 60%, le ministère de l’Énergie en sa qualité de maitre d’ouvrage a conclu un contrat de partenariat public-privé (Ppp) avec Myna, le 8 avril 2014, pour un montant de près de 15 milliards francs Cfa. Ce contrat a fait l’objet d’un premier avenant, le 4 juin 2014, pour un montant de 4.460.000.000 de francs Cfa. Un contrat qui, de l’avis des enquêteurs, appelle un certain nombre de contestations. A les en croire, le contrat de partenariat exclut de son champ d’application les secteurs de l’énergie, des mines et des télécommunications…. En d’autres termes, ce contrat ne repose que sur «sur la volonté du président de la République et l’urgence de la mise en place des infrastructures d’électrification rurale». Ainsi, l’Etat a dégagé près de 20 milliards francs Cfa sans appel d’offres et sans s’assurer de la qualité des matériaux à installer. Pire, si les travaux étaient prévus pour une durée de six mois, la Cour des comptes a constaté un an plus tard que les travaux n’étaient toujours pas livrés.
Curieusement, le ministère de l’Économie et des Finances verse plus de 5 milliards dans les comptes de l’Aser et «exige» qu’elle paie à Pape Aly Guèye
L’intervention du ministère chargé de l’Énergie est d’autant plus incompréhensible que l’Aser, quoique n’étant pas signataire du contrat, a procédé à la réception des travaux tout en ignorant les dispositions du contrat entre le ministère de l’Énergie et Myna. Il s’y ajoute qu’une partie des paiements au profit de Myna a été directement versée par le ministère de l’Économie des Finances et du Plan (Mefp) au compte de dépôt de l’Aser pour un montant de 5.850.000.000 francs Cfa, à charge pour le Directeur général et l’Agent comptable de l’Aser de procéder au mandatement et au paiement sans les pièces justificatives. Ce qu’ils ont refusé dans un premier temps, avant de se plier à la volonté du ministre de l’Économie et des Finances d’alors.
Les Dg Modibo Diop et Aliou Niang engagent des marchés sur la base de simples bons ou lettres de commande
Au vu des dossiers de marchés de l’Aser, les anciens directeurs généraux de l’Agence, Modibo Diop et Aliou Niang, ont engagé des marchés sur la base de simples bons ou lettres de commande pour la réalisation des travaux d’électrification rurale et les fournitures d’installations intérieures sans pour autant respecter les procédures des marchés publics. Les fournisseurs ont réalisé les travaux sans que tous n’aient été payés. La dette est estimée à 679.054.324 francs Cfa.
Le Pca Mademba Sock rémunéré 4 millions par mois «en toute illégalité»
Conformément au décret n°2014-529 du 24 avril 2014 portant classement de l’Agence sénégalaise d’Électrification rurale (Aser), l’Aser est listée parmi les agences de première catégorie. Par conséquent, le Directeur général de l’Aser a pris la note de direction n°009/DAC/DG/2014 en vue de se conformer aux nouvelles dispositions. Cependant, le président du Conseil d’administration, en l’occurrence Mademba Sock, s’est opposé à l’application d’une telle mesure. Par correspondance en date du 24 juin 2014 adressée au Directeur général de l’Aser, en réaction à la note de direction susvisée, fixant son salaire à 2.000.000 francs Cfa conformément au décret n°2012-1314 en lieu et place des 4.000.000 francs qu’il percevait avant, il a indiqué que «la loi d’orientation 2009-20 du 04 mai ne lui est pas applicable». Face à cette situation, le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan a d’abord conforté le Directeur général de l’Aser dans sa position, avant de prendre une position contraire en enjoignant au directeur de l’Agence de considérer la rémunération du Pca à un salaire mensuel de 4 millions en attendant la mise en conformité des textes de l’Aser.
Paiement irrégulier de gratifications aux administrateurs
A la fin de chaque année civile, la direction de l’Aser alloue à chaque membre de l’organe délibérant une prime appelée gratification. Elle est payée pour un montant représentant 4 à 8 jetons de présence en dehors de toute participation effective à une quelconque réunion tenue par le Conseil de surveillance. Le montant total annuel des gratifications distribuées aux administrateurs de 2009 à 2014 se situe entre 5.600.000 francs Cfa et 10.400.000 francs Cfa. La Cour des comptes rappelle que le paiement de jetons de présence ne peut être justifié que par une présence effective aux réunions. L’examen des documents comptables a également montré que des gratifications sont distribuées, chaque année, aux agents de l’Aser. Le montant total annuel des gratifications distribuées au personnel de l’Aser de 2009 à 2014 se situe entre 127.758.216 francs Cfa et 183.289.399 francs Cfa. Elles représentent annuellement entre 18,12% et 30,87% des salaires. Le versement d’office d’une gratification à la fin de chaque année ne respecte pas la réglementation.
Abus sur les dons et subventions
Durant la période sous revue, les dons et subventions accordés au personnel de l’Aser et à des particuliers par la Direction générale atteignent des montants annuels parfois importants. A titre d’exemple, les dons accordés par l’Aser ont atteint 122.881.296 millions francs Cfa en 2009, 72.183.077 millions francs Cfa en 2010 ou encore 122.427.350 francs Cfa en 2014. Des dons et autres subventions ont été également accordés à des bénéficiaires qui n’ont aucun rapport avec l’objet social de l’Aser. Durant l’exercice 2009, l’Aser a octroyé des enveloppes considérables en guise de sponsoring, d’appuis, de subventions, entre autres prétextes. C’est ainsi qu’un chèque de 3 millions a été libellé pour soutenir le gala de lutte de Mouniang Production, un autre chèque de 2 millions pour sponsoriser la Fédération sénégalaise de golf etc. Ces mêmes pratiques ont été enregistrées en 2010 avec un chèque de six millions pour appuyer la Fondation Éducation santé de l’ex-première Dame Élisabeth Diouf, 4,4 millions à titre de «Sukaru koor» et la liste des dons est loin d’être exhaustive. Ces actes de bienfaisance se sont poursuivis en 2012, 2013 et 2014. Deux chèques respectivement de 5 et 10 millions en janvier et avril 2014 ont été établis en guise de soutien pour le compte du ministère de l’Énergie.
A l’Aser, il y a des primes de… mariage, primes de décès, étrennes
C’est une véritable bamboula en ce qui concerne les primes prévues par l’Agence qui représentent 75% du salaire de base. Ainsi, un agent dont le salaire est compris entre deux et cinq millions peut recevoir entre 1.500.000 et 3.000.000 francs Cfa de subvention de l’Agence à l’occasion d’une naissance. Il s’y ajoute les étrennes versées aux personnels. A titre d’exemple, pour l’exercice 2009, les étrennes distribuées au personnel ont couté 7,2 millions francs Cfa, avant que ce montant ne prenne l’ascenseur en 2011 pour se retrouver à 11,750 millions francs Cfa, en plus de 7,2 millions dépensés dans les primes de naissance. Pour l’exercice 2012, 13,250 millions francs Cfa ont été dépensés dans les étrennes, primes de naissance et de décès et cadeaux de Noël. Ces primes de mariage, primes de décès, étrennes, entre autres faveurs de 2013 et 2014 cumulées ont atteint 25,875 millions francs Cfa. Suite à ces dérives, le Premier ministre d’alors avait pris une circulaire en date du 3 juin 2015 (Mohamed Dionne) pour demander le rétablissement de «la discipline dans l’octroi de ces dons et subventions qui doit s’inscrire dans une gestion transparente et performante».
Des villages non électrifiés répertoriés comme électrifiés
La Cour des comptes a relevé un défaut de fiabilité du système d’information de l’Aser. En effet, entre les données brandies par l’Agence et la réalité sur le terrain, il y a un grand décalage. Les enquêteurs de la Cour des comptes révèlent que les visites de terrain ont permis de constater l’existence de villages non électrifiés et répertoriés comme électrifiés dans le système d’information de l’Aser. Il s’agit de cinq villages de Vélingara, deux de Kolda un de Tamba et un autre de Médina Yoro Foula considérés comme électrifiés alors qu’ils ne le sont pas. S’y ajoute également une inadéquation par rapport à la taille des localités. Il en est ainsi des 53 centrales diésel non opérationnelles et du choix du système photovoltaïque en ce qui concerne certains villages comme Teud Bitty dans le département de Saint-Louis alimenté au solaire avec seulement 14 ménages abonnés, car les villageois préfèrent le raccordement au réseau alors que, pour le concessionnaire, le village est trop éloigné du réseau MT et son raccordement ne serait pas rentable.
Moussa CISS