Le Directeur et les avocats de Ecotra ont fait face à la presse, hier, au siège de l’entreprise, pour attirer l’attention des pouvoirs sur la discrimination relevée dans l’attribution des marchés publics. En effet, même si Ecotra est moins disante et présente les moyens financiers et matériels pour exécuter certains marchés, elle est évincée au profit d’entreprises étrangères. La dernière en date, l’attribution provisoire du marché de la boucle des Kalounayes par l’Armp avant que la Cour suprême n’annule cette décision.
Si l’Etat n’y prend garde, c’est un fleuron du secteur des Btp qui risque de mettre la clé sous le paillasson. Il s’agit de la société Etude-Coordination-Travaux dite Ecotra SA d’Abdoulaye Sylla, dont les centaines d’emplois sont menacés à cause d’un favoritisme des entreprises étrangères dans les appels d’offres. C’est le cas dans l’attribution provisoire à une société étrangère du marché pour les travaux d’aménagement et de bitumage de la boucle des Kalounayes lancé par Ageroute, alors que Ecotra était la moins disante. Suite à cette attribution, la société Ecotra avait introduit un recours rejeté par le Comité de règlement des différends (Crd) de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). Mais, c’était sans compter avec la Chambre administrative de la Cour suprême qui a tout simplement annulé cette décision du Crd. Ainsi, en attendant qu’un nouvel appel d’offres soit lancé, le Directeur de ladite société, Alpha Samb, entouré des avocats de l’entreprise, en l’occurrence Mes El Hadj Diouf, Demba Ciré Bathily, Baboucar Cissé, Aly Fall, Assane Dioma Ndiaye et Sény Ndione, a fait face, hier à la presse pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur cette situation. Une rencontre lors de laquelle les employés de la société se sont fortement mobilisés.
Me Bathily : «comment on peut dire qu’une société qui fait 52 milliards de chiffre d’affaires (…) n’a pas la capacité financière pour réaliser des travaux de 12 milliards francs Cfa ?»
«Aujourd’hui, dans beaucoup de pays, il y a ce qu’on appelle la préférence nationale. Quand, dans le cadre d’un marché public, les nationaux peuvent le faire, on les favorise. Ici, non seulement on ne favorise pas les nationaux, mais on crée des critères artificiels pour écarter les nationaux qui peuvent le faire», se désole de constater Me Demba Ciré Bathily, qui s’est réjoui, dans la foulée, de l’arrêt de la Cour suprême. «Comment peut-on dire qu’une société qui fait 52 milliards francs Cfa de chiffre d’affaires, 180 milliards de travaux et 77 milliards francs Cfa de matériels n’a pas la capacité financière pour réaliser des travaux de 12 milliards francs Cfa ?», s’interroge l’avocat. A l’en croire, si ces entreprises, comme Ecotra qui emploie 500 permanents, sont écartées des marchés publics, «tout, dit-il, va péricliter et tout va fermer». Or, les sociétés étrangères qui remportent des marchés n’ont que des emplois précaires et rapatrient l’ensemble de leurs bénéfices. «C’est l’économie nationale qui en pâtit», a ajouté la robe noire, avant de lancer un appel à l’Etat pour soutenir le secteur privé national, notamment le secteur des Btp. «Si cela ne se fait pas, à terme, il n’y aura que des entreprises étrangères pour réaliser les Btp et il n’y aura plus d’emplois et de fleuron industriel», renchérit Me Bathily qui appelle l’Etat à favoriser la préférence nationale comme c’est le cas dans beaucoup de pays.
Me Aly Fall : «c’est déplorable et malheureux d’avoir toujours à lancer un appel pour que notre secteur privé national soit préservé»
A la suite de Me Bathily, Me Aly Fall de rappeler que les questions d’indépendance ne sont pas uniquement que politiques. La souveraineté la plus importante, dit-il, est économique. «Nul n’ignore que sauvegarder le secteur privé national, c’est sauvegarder l’emploi, c’est sauvegarder notre économie, c’est sauvegarder notre richesse. C’est toujours déplorable et malheureux d’avoir toujours à lancer un appel pour que notre secteur privé national soit préservé, qu’il puisse profiter du respect des règles du jeu», révèle l’avocat. Un appel d’autant plus pressant aux autorités qu’il rappelle qu’en 2006, une entreprise nationale qui avait 3000 emplois directs et indirects n’avait plus que 50 employés, six ans plus tard, à cause de cette discrimination du privé national. Ce qui lui fait dire que c’est pour éviter d’en arriver à cette situation que les avocats privilégient cette dynamique. «Le but, c’est de faire en sorte que le secteur privé national, particulièrement le secteur des Btp, soit protégé, que ces entreprises développent, gagnent des marchés et accèdent à la commande publique dans le respect des règles», préconise Me Fall.
Très impliqué pour les questions des droits humains, Me Assane Dioma Ndiaye dit avoir des frissons devant tous ces travailleurs inquiets de leur sort. «Quand on promet des milliers d’emplois et que vous avez tous ces emplois, votre premier réflexe, c’est de les préserver avant d’en créer d’autres ; non pas de détruire ces emplois. Cette stigmatisation ne se comprend pas», lance d’emblée l’avocat. «Quand on fait ces investissements, le seul (Ecotra) au niveau du secteur privé national à pouvoir concurrencer les entreprises étrangères, le seul à matérialiser le génie du peuple sénégalais, le seul à galvaniser des initiatives privées, quand on le combat et que tout le monde reste les bras croisés, c’est parce que nous ne croyons pas au développement», indique le défenseur des droits humains.
Abdoulaye Sylla à Me Assane Dioma : «qu’on veuille me tuer ou tuer mon entreprise, ce n’est pas grave, mais qu’on veuille tuer le secteur privé national…»
Poursuivant, il est revenu sur l’évincement de Ecotra au profit des entreprises étrangères. A l’en croire, c’est une question de transparence. «Comment pouvez-vous lancer un appel d’offres et qu’une société soit la moins disante, qu’elle offre toutes les garanties techniques et financières et que vous l’écartiez ? C’est parce que vous ne croyez pas à cette transparence», dénonce l’avocat. En effet, si Ecotra est écartée, tous les Btp seront raflés par des entreprises étrangères aux domiciles réels douteux. Il a également rapporté les confessions du patron de Ecotra qui, dit-il, s’est battu en se frottant aux grandes entreprises et en faisant foi au génie sénégalais pour en arriver à ce niveau. «Qu’on veuille me tuer ou tuer mon entreprise, ce n’est pas grave, mais qu’on veuille tuer le secteur privé national, je prendrai mes responsabilités», rapporte Me Ndiaye.
Me Sény Ndione, témoin de la naissance et des premiers pas de la société Ecotra, de rappeler, à son tour, que la difficulté majeure réside dans l’accès à la commande publique, «non pas, dit-il, parce qu’on n’a pas les compétences et les moyens pour le faire, mais parce que les critères qui sont définis sont de nature à évincer les sociétés nationales au bénéfice des sociétés internationales». Ce qui n’est pas, dit-il, une bonne option si on veut promouvoir un développement économique national.
Me Baboucar Cissé : «avec 77 milliards, il aurait pu construire 50 immeubles et les mettre en location»
Selon Me Baboucar Cissé, Abdoulaye Sylla aurait pu faire comme certains Sénégalais en construisant des immeubles. «Avec 77 milliards, il aurait pu construire 50 immeubles à Dakar, les donner en location, rester chez lui et à la fin du mois, il encaisse ses loyers. Mais il ne l’a pas fait, parce que ça ne crée pas d’emplois. Il a créé une entreprise dans le Btp en investissant 77 milliards au profit des Sénégalais, 800 employés et une masse salariale de 500 millions par mois. C’est cette société qu’on tente, aujourd’hui, de défavoriser, de tuer», narre, amer l’avocat qui révèle qu’il est temps d’attirer l’attention des autorités, surtout de l’Etat, sur l’importance de cette société. Non sans inviter l’Etat à préserver cet outil de travail qui, dit-il, fait la fierté de notre pays.
concurrence déloyale de Eccotra
Me Aly Fall a également déploré la concurrence déloyale dont fait l’objet l’entreprise de Abdoulaye Sylla par une autre entreprise dénommée aussi Eccotra qui accède facilement, dit-il, aux commandes publiques pour des montants aussi faramineux que sa surface financière et ses outils ne lui permettraient pas d’accéder. En tout cas, depuis mai 2018, cette société traine contre elle une décision de cessation d’utilisation du nom de Eccotra. Seulement, l’avocat constate que cet acronyme continue toujours. «Nous veillerons avec les moyens les plus adéquats pour que cette nuisance de plus s’arrête et que Ecotra qui est un fleuron puisse se développer dans le respect des règles», tranche la robe noire.
Moussa CISS
UN INVESTISSEMENT DE 77 MILLIARDS, 800 EMPLOYES, 180 MILLIARDS DE PORTEFEUILLE DE TRAVAUX …
Alpha Samb exhibe le poids économique de Ecotra
Ecartée de l’attribution provisoire d’un marché public de Btp par l’Armp pour défaut de capacité financière, l’ingénieur polytechnicien et non moins Directeur de Ecotra Sa, Alpha Samb est revenu, en conférence de presse sur le poids économique de cette entreprise. «Ecotra a, à ce jour, fait des investissements de 77 milliards francs Cfa en équipements, engins, logistiques, camions, véhicules et des équipements industriels qui tournent tous autour de l’activité du bâtiment et des travaux publics. Ecotra fait travailler 800 employés dont plus de 500 permanents. Aujourd’hui, Ecotra a une masse salariale de 500 millions par mois et est le partenaire de 1800 fournisseurs dont les 2/3 sont des fournisseurs sénégalais», a indiqué M. Samb. Poursuivant, il rappelle que Ecotra, en 2019, avait fait un chiffre d’affaires de 52 milliards. Aujourd’hui, dit-il, Ecotra a un portefeuille de travaux de 180 milliards. «Tout cet investissement et ces efforts fait par Abdoulaye Sylla peuvent contribuer au développement de ce pays. Il doit être un exemple pour l’ensemble des sénégalais et un exemple que doit soutenir et appuyer l’État du Sénégal», plaide le directeur de Ecotra, frustré contre ceux qu’il considère comme des donneurs d’ordre autour de l’accès aux marchés publics à travers les appels d’offres.
M. CISS