La traite des êtres humains, en particulier des femmes pour l’exploitation sexuelle, demeure une problématique mondiale majeure, touchant des régions aussi diverses que l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique du Nord et l’Europe. Le rapport Enact 2025, financé par l’Union européenne et publié par Interpol, offre une analyse détaillée de ce fléau dans ces régions, avec un accent particulier sur les dynamiques régionales et transnationales. Ce document intitulé «Trafic sexuel des femmes en Afrique de l'Ouest et du Nord et vers l'Europe» met en lumière le rôle du Sénégal en tant que pays source, de transit et de destination dans les réseaux de traite, tout en explorant les facteurs qui alimentent ce crime, les profils des criminels, les flux de victimes et les modus operandi utilisés.
Contexte général de la traite des femmes
La traite des êtres humains est définie par le Protocole de Palerme (2000) comme le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes par des moyens coercitifs, frauduleux ou abusifs, dans le but de les exploiter, notamment à des fins sexuelles. En Afrique de l’Ouest, la traite pour l’exploitation sexuelle représente 41% des formes d’exploitation des victimes détectées, selon le Rapport mondial sur la traite des personnes de l’Onudc de 2022. Le Sénégal, membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), est particulièrement touché par ce phénomène en raison de sa position géographique stratégique, de ses vulnérabilités socio-économiques et des instabilités régionales.
Le rapport Enact souligne que la traite des femmes pour l’exploitation sexuelle constitue un crime à faible risque et à haut profit pour les criminels, alimenté par des facteurs tels que la pauvreté, le manque d’opportunités économiques, la corruption, les disparités régionales en matière de contrôle et l’utilisation croissante des technologies numériques. Au Sénégal, ces dynamiques sont exacerbées par des défis structurels, notamment l’urbanisation rapide, les inégalités économiques et les flux migratoires.
Sénégal comme pays source
Le Sénégal est identifié dans le rapport comme un pays à la fois source, transit et destination pour les victimes de la traite des femmes. Cette triple position reflète la complexité des flux migratoires et criminels dans la région ouest-africaine.
De nombreuses victimes sénégalaises, principalement des femmes et des filles, sont recrutées dans des zones rurales où les opportunités économiques sont limitées. Les promesses de meilleures conditions de vie à l’étranger, souvent véhiculées via les réseaux sociaux, attirent ces femmes vulnérables. Les recruteurs exploitent leur désir d’échapper à la pauvreté en leur proposant des emplois fictifs à l’étranger (coiffeuses, serveuses, nounous, etc.) ou des opportunités d’études. Ces fausses promesses conduisent souvent à une exploitation sexuelle dans des pays comme le Nigeria, le Mali, la Mauritanie ou même l’Europe, notamment en Italie et en France.
Le rapport note que la pauvreté et les tabous culturels au Sénégal contribuent à l’underreporting (le non-signalement aux autorités compétentes) des cas de traite. Les victimes, souvent issues de communautés marginalisées, hésitent à signaler leur situation en raison de la stigmatisation ou de mécanismes de résolution informels. Les mineures, en particulier, sont de plus en plus ciblées, ce qui constitue une tendance alarmante au Sénégal.
Sénégal comme pays de transit et de destination
Le Sénégal sert également de point de transit pour les victimes originaires d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, notamment le Nigeria, en route vers l’Afrique du Nord ou l’Europe. Les routes migratoires à travers le Sénégal, souvent via des réseaux informels, sont facilitées par la porosité des frontières et la corruption de certains fonctionnaires, selon le rapport. Les victimes transitent par des hubs comme Dakar, où elles peuvent être temporairement exploitées avant de poursuivre leur voyage vers des destinations comme la Libye ou le Maroc. Ces trajets sont souvent dangereux, exposant les victimes à des violences sexuelles dans des «camps de prostitution» ou lors de leur passage dans des zones instables.
Bien que moins documenté, le Sénégal est également un lieu d’exploitation pour les victimes de la traite, y compris les femmes sénégalaises et celles venant d’autres pays. Les centres urbains comme Dakar, Thiès et Saint-Louis, ainsi que les zones touristiques comme Saly, sont des points chauds pour l’exploitation sexuelle. Le tourisme sexuel, souvent impliquant des ressortissants étrangers, contribue à la demande de services sexuels, alimentant ainsi la traite. Les victimes, souvent exploitées dans des lieux publics comme des bars ou des hôtels, sont de plus en plus déplacées vers des espaces privés et cachés, rendant leur détection plus difficile.
Profils des criminels et rôles au Sénégal
Le rapport Enact met en évidence la diversité des acteurs criminels impliqués dans la traite des femmes au Sénégal. Ces réseaux, souvent transnationaux, opèrent en cellules spécialisées responsables du recrutement, du transport et de l’exploitation des victimes. Contrairement à une idée répandue, les réseaux sénégalais ne sont pas dominés par une seule nationalité, bien que les Nigérians soient fortement représentés dans les réseaux opérant en Europe.
Au Sénégal, les criminels incluent des hommes et des femmes, avec une répartition relativement équilibrée. Les femmes, souvent d’anciennes victimes devenues proxénètes, jouent un rôle clé dans le recrutement, utilisant leur expérience pour gagner la confiance des victimes potentielles. Les hommes, quant à eux, contrôlent généralement les aspects logistiques et financiers des opérations. Le rapport souligne que certains fonctionnaires corrompus facilitent le passage des victimes à travers les frontières sénégalaises, notamment en fournissant des documents falsifiés ou en fermant les yeux sur les activités illicites.
Les groupes criminels organisés (OCG) au Sénégal exploitent également des pratiques culturelles, comme les rituels religieux traditionnels, pour maintenir les victimes dans un état de soumission psychologique.
Modus operandi au Sénégal
Le modus operandi des trafiquants au Sénégal repose sur l’exploitation des vulnérabilités socio-économiques et l’utilisation des technologies numériques. Les recruteurs utilisent des plateformes de médias sociaux pour diffuser de fausses offres d’emploi ou d’opportunités de migration. Ces annonces, souvent ciblées sur les jeunes femmes en quête d’une vie meilleure, sont relayées par des intermédiaires locaux, y compris des membres de la famille ou des agences non enregistrées.
Une fois recrutées, les victimes sont soumises à diverses formes de contrôle, notamment : «Abus psychologiques et physiques» (les victimes sont intimidées, battues ou menacées pour assurer leur soumission) ; «Endettement fictif» (les trafiquants imposent des dettes exorbitantes pour les frais de voyage ou d’hébergement, forçant les victimes à se prostituer pour rembourser) ; «Privation de liberté» (les documents d’identité sont confisqués, et les victimes sont souvent enfermées ou surveillées) ; « Exploitation des croyances culturelles » (les rituels traditionnels sont utilisés pour instiller la peur et empêcher les victimes de s’échapper).
L’exploitation a lieu principalement dans les centres urbains sénégalais, mais aussi dans des zones touristiques où la demande pour le tourisme sexuel est élevée. Les profits illicites sont souvent blanchis via des transferts d’argent mobile ou des investissements dans des biens de luxe.
Flux transnationaux et le rôle du Sénégal
Le Sénégal joue un rôle clé dans les flux transnationaux de victimes. Les femmes sénégalaises et celles d’autres pays d’Afrique de l’Ouest transitent par le Sénégal vers l’Afrique du Nord (Libye, Maroc, Algérie) et l’Europe, principalement via la route Niger-Libye-Italie. Le rapport note également une augmentation des flux vers les pays du Golfe, où la demande de prostitution forcée est en hausse.
Les instabilités régionales, notamment dans des pays voisins comme le Mali, exacerbent la vulnérabilité des populations déplacées, qui deviennent des cibles faciles pour les trafiquants. Au Sénégal, les migrations internes des zones rurales vers les villes comme Dakar créent également un vivier de victimes potentielles, souvent des jeunes femmes cherchant du travail dans les secteurs informels.
Défis et recommandations pour le Sénégal
Le rapport Enact met en lumière plusieurs défis spécifiques au Sénégal dans la lutte contre la traite des femmes : Sous-déclaration des cas : Les tabous culturels et la méfiance envers les autorités découragent les victimes de signaler les abus. La corruption : La complicité de certains fonctionnaires facilite les activités des trafiquants. La digitalisation du crime : L’utilisation accrue des réseaux sociaux pour le recrutement complique les efforts de détection et d’intervention. Le manque de coordination régionale : Les disparités dans les politiques de contrôle entre les pays de la Cedeao entravent les efforts transnationaux.
Pour répondre à ces défis, le rapport propose plusieurs recommandations, adaptées au contexte sénégalais : Renforcer les capacités des forces de l’ordre : Former les agents à identifier et enquêter sur les cas de traite, en mettant l’accent sur les réseaux numériques. Sensibilisation communautaire : Lancer des campagnes pour éduquer les communautés sur les risques de la traite et encourager le signalement des cas. Coopération régionale : Renforcer la collaboration avec les pays voisins et INTERPOL pour démanteler les réseaux transnationaux. Lutte contre la corruption : Mettre en place des mécanismes de contrôle pour identifier et sanctionner les fonctionnaires complices. Soutien aux victimes : Créer des centres d’accueil et des programmes de réhabilitation pour les victimes, en leur offrant un soutien psychologique et juridique.
En définitive, le rapport Enact 2025 met en lumière la gravité de la traite des femmes pour l’exploitation sexuelle au Sénégal, un pays au cœur des dynamiques régionales et transnationales de ce crime. En tant que source, transit et destination, le Sénégal fait face à des défis complexes, aggravés par la pauvreté, la corruption et l’utilisation croissante des technologies numériques par les trafiquants. Cependant, en adoptant des mesures proactives, telles que la sensibilisation, la formation des forces de l’ordre et la coopération régionale, le Sénégal peut jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre ce fléau. La protection des femmes et des filles vulnérables, Josué 7:3-4 nécessite une action concertée pour démanteler ces réseaux criminels et offrir un avenir plus sûr aux victimes de la traite.
Sidy Djimby NDAO
(Correspondant permanent en France)