La loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017, portant réforme de la Cour suprême et le statut des magistrats, est un «scandale», selon le secrétaire général de l’Union des magistrats du Sénégal. Pour Souleymane Teliko, qui était hier l’invité de l’émission «Face to face» de la Tfm, Cette loi qui permet aux magistrats âgés de 65 ans de poursuivre leur carrière jusqu’à 68 ans, sous conditions, est «indéfendable» et «injustifiée», car elle introduit «la discrimination» et «menace l’indépendance» des magistrats concernés qui, pendant trois ans, sont entièrement à la merci de l’exécutif qui peut les enlever à tout moment. Dès lors Teliko propose d’urgence la révision de cette loi.
Souleymane Teliko sonne l’alerte ! «Aujourd’hui, les magistrats sont mis dans une situation de précarité», assène-t-il. Poursuivant, il explique que «la précarité veut dire qu’ils (les magistrats) sont dans une situation qui fait qu’à tout moment on peut les déplacer ou enlever de leur poste, surtout les juges». Et pour lui, «cela est injuste, car notre Constitution dit qu’on ne peut pas déplacer un magistrat, sauf s’il donne son accord». Et ce «principe constitutionnel», dit-il, vise à protéger le magistrat qui prend des décisions affectant la liberté et l’honneur des gens, mais aussi à protéger les justiciables. Mais, se désole-t-il, ce «principe d’inamovibilité» des juges est mis à rude épreuve aujourd’hui. «Malheureusement, avec notre système actuel, on a prévu tellement d’exceptions que si tu prends par exemple 100 juges, pour les 90, l’exécutif peut les déplacer quand il veut. Et cela n’est pas bon, ni pour le magistrat, ni pour le justiciable», dit-il.
«Pendant 3 ans, ce magistrat prolongé (de 65 à 68 ans) est dans une situation de dépendance absolue…Et rares sont ceux qui peuvent résister à cette pression»
Poursuivant, Souleymane Teliko soutient que «le plus grave encore, c’est cette loi votée en 2017 (portant réforme de la Cour suprême et du Statut des magistrats). «Cette réforme est même un scandale dans la justice», martèle le patron de l’Ums. Qui explique : «maintenant, tout magistrat qui arrive à 65 ans peut prolonger de trois ans, mais il faut qu’il occupe une des fonctions comme chef de Cour, président Chambre à la Cour suprême, etc… Et seuls le ministre et le Président peuvent le nommer. C’est le ministre qui propose et le Président valide». Et de souligner les conséquences négatives d’une telle situation. «Déjà, il y a une relation de dépendance vis-à-vis d’eux (ministre de la Justice et du président de la République). Ensuite, si tu occupes ces fonctions entre 65 ans et 68 ans, et que tu les quittes, tu vas droit à la retraite. Or, à tout moment, ils peuvent t’enlever de ton poste. Donc, cela veut dire que pendant trois ans, ce magistrat prolongé est dans une situation de dépendance absolue (par rapport au ministre et au Président). Tu n’as aucune garantie. Tu peux être enlevé de ton poste du jour au lendemain», note Teliko. Et c’est d’autant plus grave, pour lui, que peu de magistrats peuvent résister à une telle pression. «Je ne dis pas que tu vas faire ce que veulent ceux qui t’ont mis à ce poste, mais rares sont ceux qui peuvent résister à cette pression».
Aussi, cela est un facteur du manque de confiance de certains sénégalais vis-à-vis de la justice et des magistrats. «Si les gens savent que ceux-là sont dans une situation de précarité et qu’ils peuvent céder, cela amène un manque de confiance vis-vis d’eux».
«J’ai entendu le ministre défendre cette loi…mais elle est indéfendable»
Soulignant que «le président de la Cour suprême est dans ce cas de figure, comme tous ceux qui aujourd’hui dépassent 65 ans», le secrétaire général de l’Ums indique qu’au lieu de se contenter de demander à leurs collègues concernés de «résister à la pression», c’est aussi de leur devoir de «dire aux pouvoirs publics d’organiser la justice de telle manière que les magistrats soient dans une situation de sérénité».
Pour Teliko, «il faut sécuriser les magistrats, car sécuriser les magistrats, c’est sécuriser les justiciables». Dès lors, un des combats de l’Ums, c’est «qu’on révise cette loi le plus rapidement possible». Et il ne comprend pas du tout comment le ministre de la Justice, un juriste, peut se mettre à la défendre. «J’ai entendu le ministre essayer de justicier cette loi dans un documentaire…Mais ma conviction est qu’aucun juriste de ce pays ne doit même pas essayer de justifier cette loi, parce qu’elle est indéfendable. Elle introduit de la discrimination et elle menace l’indépendance des magistrats. Aujourd’hui s’il y a une urgence absolue, c’est de réviser cette loi, parce qu’il n’y a rien qui peut la justifier».
Mbaye THIANDOUM