
Ce 7 juin 2025, la mort d’Abdou Ngom, jeune Sénégalais de 27 ans, a plongé à nouveau le monde dans une profonde émotion. Son visage, enlacé par une volontaire de la Croix‑Rouge sur la plage de Ceuta en mai 2021, avait marqué les esprits. Il symbolisait à la fois la détresse des migrants et la fraternité humaine. Mais aujourd’hui, c’est le silence des causes de son décès à Málaga qui interpelle.
Abdou avait franchi à la nage le détroit séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Ceuta aux côtés de son frère, le 16 mai 2021. Exténué, il s’était écroulé sur le sable de la plage d’El Tarajal. Luna Reyes, bénévole de la Croix‑Rouge, avait alors posé sur lui un geste de réconfort. Une accolade captée par un photographe, devenue virale et emblème des migrants en quête de dignité.
Ce moment fort, hélas, n’avait pas changé le sort immédiat d’Abdou. Quelques heures plus tard, les autorités espagnoles l’avaient renvoyé manu militari vers le Maroc, sans accès à un avocat ou un interprète, dans le cadre des "devoluciones en caliente", procédures vivement condamnées par les défenseurs des droits humains. La Commission espagnole d’aide aux réfugiés (Cear) avait porté plainte devant la Cour européenne en 2023. La Cour toutefois avait jugé le recours irrecevable.
Malgré cette expulsion, Abdou était venu à bout des obstacles et avait réussi à retourner en Espagne. Il y avait passé les derniers mois de sa vie, selon la Cear, qui a confirmé son décès et collabore avec la Croix‑Rouge pour organiser son rapatriement au Sénégal. Les circonstances de sa mort restent inconnues.
Le parcours d’Abdou est révélateur des drames silencieux aux frontières de l’Europe. Il incarne à la fois la vulnérabilité et le courage de milliers de jeunes Africains prêts à tout pour accéder à une vie plus digne. Sa traversée téméraire, son effondrement, son étreinte avec Luna Reyes et son bannissement rapide renvoient l’Europe à ses responsabilités : lorsque les politiques migratoires bafouent les droits humains, ils ensanglantent des existences humaines.
Aujourd’hui, son décès rallume le débat sur la nécessité d’une politique migratoire plus humaine, fondée sur la justice et le respect de la personne. Il questionne la légitimité des expulsions "à chaud", souvent vécues comme arbitraires et traumatisantes, sans examen individuel, sans procédure, sans assistance juridique.
Face à cette tragédie, l’opinion sénégalaise, africaine et internationale se doit d’interpeller les gouvernements. Il ne s’agit plus de discours compassionnels, mais d’actions concrètes : garantir aux migrants l’accès à la protection juridique, humanitaire, sociale. Il faut rompre avec une logique d’exclusion et de répression à l’égard de ceux qui fuient la misère, la guerre, le désespoir.
Abdou Ngom ne doit pas être qu’un symbole éphémère. Sa mémoire doit inspirer des réformes profondes : améliorer l’accueil, régulariser, protéger les mineurs, faciliter les voies légales, sanctionner les dérives de l’expulsion expéditive. Sa dépouille, bientôt rapatriée, doit appeler à l’empathie et à la responsabilité collective. Elle doit être une étape vers une Europe et un Sénégal solidaires.
À travers lui, c’est un appel à la dignité que l’on entend. Un cri auquel nos sociétés doivent répondre par le changement.
Samba THIAM