Même s’ils assument leur rapport, remis au Khalife général qui s’en est félicité, Dr Sokhna et Cie réfutent toute idée de vouloir imposer l’option du Magal chez soi au détriment de celle du Magal habituel. Pour ces chercheurs qui affirment avoir fait leur travail et des recommandations, «conformément à une certaine déontologie scientifique», la définition des modalités d’organisation du Magal relève du pouvoir des autorités religieuses, du Comité d’organisation, qui apprécieront leur rapport, pour une «prise de décision souveraine en conformité ou non à ces recommandations».
Les informations contenues dans le rapport du groupe de recherche sur la Magal de Touba ont vite fait le tour du net, notamment l’option que Dr Sokhna et Cie auraient faite sur la célébration du «Magal à domicile». Ce qui a poussé les concernés à faire des précisions sur le document en question. «Il s’agit ainsi d’un travail de recherche rigoureux, fondé sur des arguments scientifiques et chiffrés, portant sur la prise en compte du contexte particulier de crise sanitaire (Covid-19) dans la commémoration de l’un des plus grands évènements au Sénégal et dans le monde», assument les chercheurs dans leur note de précision. Ils ajoutent que le document, qui fait près d’une vingtaine de pages, traite de plusieurs volets relatifs à cette question importante, aussi bien pour la communauté mouride que pour toute la nation sénégalaise. Selon leur note de précision, le document a été validé par une équipe multidisciplinaire d’une dizaine de chercheurs, de spécialités différentes, avant d’être «remis en mains propres au Khalife général des Mourides» le jeudi 27 aout 2020, ainsi qu’aux autorités en charge de l’organisation du Magal. Et les spécialistes de souligner que «Serigne Mountakha, dont la haute personnalité morale, religieuse et intellectuelle est connue de tous, a vivement apprécié cette modeste contribution, et félicité les auteurs».
«Il reviendra aux autorités mourides et aux organisateurs du Magal d’apprécier en toute liberté…»
Poursuivant, l’équipe de chercheurs note qu’elle n’a pas seulement travaillé sur l’option d’un «Magal chez soi». Elle a aussi envisagé la célébration habituelle, avec le déplacement massif des talibés à Touba. Et dans ce cas de figure, elle a proposé «des mesures fortes de prévention sanitaire, en termes de sensibilisation au respect des gestes barrières, de protection individuelle des hôtes du Magal». Une manière pour le groupe de recherche de dire qu’il ne cherche à imposer aucune option, comme on pourrait le croire. «L'équipe de recherche, en mettant en exergue certains éléments lui semblant importants, ou en émettant un avis sur tel ou tel aspect, conformément à une certaine déontologie scientifique, n’a nullement pour vocation d’imposer un quelconque scénario au détriment d’un autre», précisent Dr Sokhna et Cie.
Surtout que, pour eux, en définitive, «c’est au Khalife général et aux autorités mourides, en rapport avec les pouvoirs publics, qu’échoit la responsabilité exclusive d’indiquer les modalités de célébration du Magal de Touba». Pour eux, après avoir fait un travail de scientifique et de recherche, «il reviendra aux autorités mourides et aux organisateurs du Magal d’apprécier en toute liberté ces arguments ci-dessus exposés, de les analyser sereinement, pour toute prise de décision souveraine en conformité ou non à ces recommandations». Et de conclure qu’au cas où les autorités religieuses et le comité d’organisation «estimeraient, en dépit desdits arguments, devoir, pour d’autres raisons, convier les fidèles à Touba pour le Magal, l’on pourra envisager le second scénario». C’est-à-dire la mise en place de mesures fortes de prévention sanitaire…
L’ALERTE DE CHERCHEURS SUR LA CELEBRATION DU MAGAL
«L’événement pourrait même accentuer la propagation du Covid-19…»
Si cela ne tenait qu’à cette équipe de chercheurs qui travaille depuis des années sur les risques sanitaires du Magal de Touba, l’édition de cette année serait célébrée à domicile. En effet, selon les résultats des recherches du virologue Dr Sokhna et son équipe qui comprend, entre autres, le géographe Dr Cheikh Guèye, spécialiste de la ville de Touba et Abdoul Aziz Mbacké Majalis, chercheur sur le Mouridisme, le Magal de Touba, à l’instar de beaucoup de grands rassemblements humains, «peut exposer à des risques accrus de transmission de maladies infectieuses, comme le Covid-19». Suffisant pour qu’ils alertent dans leur rapport : Organisation du Magal de Touba 2020 dans un contexte de Covid-19, problématique et recommandations.
Un groupe de chercheurs qui travaillent depuis des années sur les risques sanitaires pendant le Magal de Touba se sont prononcés sur la prochaine édition qui coïncide avec la pandémie à coronavirus. Et dans leur rapport sur l’édition 2020 de cet événement de dimension mondiale, ils ne cachent pas leurs craintes. «Les résultats des recherches démontrent clairement que le Magal de Touba peut exposer à des risques accrus de transmission de maladies infectieuses, comme le Covid-19», soutiennent-ils dans leur rapport révélé par E-Médias. Dès lors, ils pensent qu’«inviter les disciples à célébrer le Magal chez eux et éviter les déplacements ou grands rassemblements classiques du Magal de Touba, semble la plus prudente et la moins porteuse de risque épidémiologique». Non sans souligner qu’un tel choix serait bien justifié. «Historiquement, la célébration du Magal chez soi est tout à fait conforme à la tradition et à la doctrine mourides», notent les spécialistes. Et d’expliquer que «la recommandation d’actions de grâce de Cheikh Ahmadou Bamba à ses disciples n’incluait nullement dans ses modalités l’obligation explicite de l’accomplir en un lieu précis donné».
«Historiquement, la célébration du Magal chez soi est tout à fait conforme à la tradition et à la doctrine mourides»
Selon Dr Sokhna et son équipe, «des études scientifiques ont montré que le Magal de Touba, malgré ses atouts et apports, expose, à l’instar de beaucoup de grands rassemblements humains, à des risques accrus de transmission de maladies infectieuses, surtout les infections digestives et respiratoires». Ils en veulent pour illustration l’édition de 2004 ayant concouru à l’extension d’une épidémie de choléra dans le pays. En effet, souligne le rapport, des recherches épidémiologiques sur les risques sanitaires du Magal, menées en 2015-2016, par une équipe de l’IRD de Dakar et l’IHU-MI de Marseille, conduite à l’époque par le professeur Cheikh Sokhna (un des auteurs du présent rapport), confirment «l’enjeu sanitaire de ce type de rassemblements».
«Le Magal de Touba expose à des risques accrus de transmission de maladies infectieuses»
Poursuivant, l’équipe de spécialistes note que ces recherches, entamées bien avant la crise sanitaire actuelle, avaient pour objet de faire des recommandations aux autorités sanitaires et religieuses de la Région médicale de Diourbel, pour une meilleure prise en charge des maladies infectieuses transmissibles. Ce, en termes de diagnostic et de traitement, mais aussi dans la mise en œuvre de stratégies préventives efficaces en vue du Magal de Touba. Et c’est si important pour eux que le contexte mondial, sous-régional et national du Sénégal est marqué par l’existence de nombreuses maladies transmissibles (méningites, choléra, fièvres hémorragiques, dont Ebola, grippes, paludisme, dengue, salmonellose, etc.) qui peuvent profiter du brassage de populations occasionné par l’événement pour se propager. Et à ces risques, déjà répertoriés, précise le rapport, «s’est ajoutée, cette année, la maladie à coronavirus Sars-Cov-2 (ou à Covid-19) qui rendra plus difficile et plus complexe l’organisation d’un tel événement». En effet, du fait de la dimension internationale du Magal de Touba, «l’événement, selon Dr Sokhna et Cie, pourrait même, en cas d’une insuffisance de mesures préventives fortes, accentuer la propagation du Covid-19 à travers le pays et même au-delà des frontières du Sénégal».
Mbaye THIANDOUM