L’engagement des “quatre mousquetaires” de la presse marque un tournant décisif dans la perception de la presse privée au Sénégal. Plongé dans ses souvenirs nostalgiques, Abdoulaye Bamba Diallo remémore cette époque qui a constitué un déclic dans la situation de la A la fin des années 80, un collectif d’Editeurs composé de quatre journalistes, (Abdoulaye Bamba Diallo, Babacar Touré, Mamadou Oumar Ndiaye et Sidy Lamine Niass), défie le pouvoir socialiste de Abdou Diouf pour porter un combat révolutionnaire qui a contribué à l’évolution de la presse privée, comme a tenu à le préciser Abdoulaye Bamba Diallo. C’est un conseiller du président Abdou Diouf qui leur a collé ce sobriquet, comme dans le roman d’Alexandre Dumas du même titre, explique Mamadou Oumar Ndiaye. Trente ans après ce combat, le duo encore vivant du quarté (Sidy Lamine Niasse est décédé en décembre 2018, Babacar Touré ayant rendu l’âme dimanche dernier) revient avec Sudquotidien sur ce combat qui a fait tache d’huile. En effet, la reconnaissance de la presse privée, l’attribution annuelle de l’aide à la presse et la pluralité des organes sont entre autres, les fruits de cette lutte. De l’origine du sobriquet, aux difficultés rencontrées au regard actuel de la situation de la presse écrite, ces précurseurs d’une presse privée libre témoignent. L’article qui a été réalisé, il y a quelques semaines, est publié ce jour en hommage au président Babacar Touré. ABDOULAYE BAMBA DIALLO, CAFARD LIBERE
L’origine du sobriquet ? C’est un surnom qui nous avait été épinglé à Babacar Touré de Sud, Mamadou Oumar Ndiaye du Témoin, Sidy Lamine Niasse de Walfadjri et moi-même, Abdoulaye Bamba Diallo du Cafard Libéré à l’époque. Nous étions les quatre groupes privés ou indépendants à côté du Soleil. On avait la particularité que le Témoin paraissait le mardi, Cafard Libéré le mercredi, Sud Hebdo, le jeudi, et Walfadjri, le vendredi. L’environnement de la presse n’était pas très favorable à l’exercice. Nous avions tous des exercices prioritaires. On n’arrivait pas à supporter nos charges. On avait entamé une série d’actions consistant à alerter l’opinion et l’Etat sur le fait que nous étions un secteur d’activité professionnel, mais aussi culturel et économique et créateur d’emplois et de valeur ajoutée, autant sur le plan économique et culturel que sur le plan de la liberté d’opinion. Notre existence était menacée et l’Etat ne faisait rien. Ce qui avait déclenché notre colère à l’époque est que la seule imprimerie qui existait, les Nouvelles imprimeries du Sénégal (Nis), avait été vendue par l’Etat du Sénégal à un groupe privé français. Nous en étions choqués et étonnés que l’Etat rétrocède l’unique imprimerie de presse qui existait à l’époque à un groupe privé français et, à côté, ne faisait rien pour la presse privée du Sénégal. On avait entamé une série d’actions: initiation d’une journée sans presse, c’est-à-dire que chaque journal ne sortait pas le jour de sa parution. Ça qui nous a mené à une semaine sans presse. Il était prévu une marche de l’hôtel Indépendance au palais de la République. Nous avons tenu une conférence de presse à l’hôtel indépendance et sur ces entrefaites, des médiateurs de l’Etat dont le ministre de l’Intérieur de l’époque, Famara Ibrahima Sagna, sont entrés en contact avec nous. Des négociations ont été menées. Sur cette base, l’Etat a pris des actions notamment à l’endroit de la presse. C’est à la base de l’initiative du fonds d’aide à la presse (actuelle aide à la presse). L’Etat nous a rétrocédé la Grande Imprimerie Africaine (GIA), l’autre imprimerie qui existait. Le financement de la délégation à la réinsertion à l’emploi que nous avons pu acquérir nous a permis d’avoir une coopérative pour l’achat d’intrants, notamment de papier journal.
POURSUITE D’UNE TRADITION DE COMBAT POUR LES LIBERTÉS
On avait un environnement ou l’exploitation de l’entreprise de presse était structurellement déficitaire. Nous n’étions pas les seuls à être logés sous cette enseigne. Même les entreprises publiques de l’information, que ça soit le quotidien national, aussi étaient soumis aux mêmes contraintes. Mais l’avantage est que le Soleil avait déjà une ligne de subvention étatique et budgétaire. Je tiens à préciser que des ainés avaient entamé ce combat pour la quête de liberté de la presse, de l’opinion de la démocratie, pour le droit à l’information. Il y a eu des pionniers comme Abdourahmane Cissé, Mame Less Dia, Abdou Salam Kane, Boubacar Diop, Boubacar Obeye Diop, Abdourahmane Diop. Il y a eu des traditions de presse libre et indépendante au Sénégal. Elle ne date pas seulement de cette époque des “quatre mousquetaires”. Elle date depuis l’époque coloniale. Je me suis simplement arrêté au segment de la presse écrite, mais même dans la presse audiovisuelle, il y a en d’autres. Je pense au doyen Kader Diop, Gabriel Jacques Gomis qui était à la fois à la radio et à la presse écrite, Henry Mendy, Julien Kélefa Sané et beaucoup d’autres. Ily a même des journalistes sportifs. La presse sportive a été aussi une des pionnières dans le pluralisme de la presse privée au Sénégal. Les “quatre mousquetaires” n’ont fait que poursuivre une tradition qui était prégnante dans la presse sénégalaise depuis le départ.
UNE PRESSE ÉCRITE ENTREPRENANTE MAIS OBNUBILÉE PAR LE SENSATIONNEL
Il faut saluer une chose, les nouvelles générations sont très dynamiques, entreprenantes, très audacieuses, quelquefois outrageantes aux yeux de certains, mais je crois que c’est heureux que ça soit ainsi. Ce que je constate par ailleurs, est que la presse écrite accorde trop d’importance aux faits divers et à l’anecdote. En retour sur les questions majeures, je suis assez nostalgique des grandes enquêtes, des dossiers fouillés en profondeur et qui permettent à des spécialistes de se prononcer, de donner des éclairages pour aider les gens à mieux comprendre. Sur ce plan, la presse a encore à faire plus d’espace. C’est aussi une presse très moderne qui n’est pas en déphasage avec son époque. C’est son avantage.
MAMADOU OUMAR NDIAYE, LE TEMOIN
Durant l’hivernage 1990, alors on avait entrepris une série d’alertes en direction du pouvoir d’alors, le président Abdou Diouf et donc, il y avait quatre hebdomadaires. La presse privée était constituée en tout et pour tout de quatre hebdomadaires. Il y avait Sud hebdo, Walfadjri Hebdo, le Cafard Libéré et le Témoin qui venait de naitre. La presse en cette époque-là, traversait des difficultés. Les gens ne connaissaient pas très bien la presse écrite pour y mettre leurs annonces. Elle était considérée comme un partisan de l’opposition parce que jusque là, c’était le règne de la presse d’Etat comme le Soleil, Radio Sénégal, la télévision nationale, l’Agence de presse sénégalaise… Mais, les annonceurs considéraient qu’ils ne pouvaient pas mettre la publicité dans cette presse réduite à vivre des recettes de la vente. On sait que dans le business-model de la presse écrite, 80% des ressources proviennent de la publicité et seules 20% des ventes. Donc, c’était absolument impossible de vivre des ventes et donc, on avait organisé une conférence de presse à l’hôtel Indépendance à l’époque pour lancer un appel aux autorités disant qu’on risquait de ne pas pouvoir traverser l’hivernage dans ces conditions. On envisageait d’organiser une marche en compagnie de nos familles, nos employés sur la place de l’Indépendance pour protester contre la précarité de nos conditions. Ça avait fait tilde à l’époque et le président Abdou Diouf qui ne voulait pas voir des journalistes organiser une marche qui serait couverte par la presse internationale et relayée à travers le monde, avait pris contact avec nous par le biais de Famara Ibrahima Sagna qui était ministre de l’intérieur de l’époque pour engager des négociations avec nous dans l’espoir de résoudre les problèmes auxquels nous étions confrontés.
UN ENGAGEMENT DÉCLENCHÉ PAR UNE MOROSITÉ FINANCIERE
A l’époque, l’aide à la presse n’existait pas. C’est après notre conférence de presse de cette année-là, que pour la première fois, l’aide à la presse soit versée. Pour la première fois, chaque organe a reçu 10 millions, ce qui fait que le gouvernement avait débloqué 40 millions pour nos quatre organes. C’était en août 1990. L’aide à la presse figurait dans la loi depuis 1979, mais elle n’avait jamais été appliquée. Il a fallu le mouvement de cette année pour que le gouvernement commence à la verser et depuis lors, la pratique continue. L’autre difficulté est que nous étions confrontés à un problème d’expédition des journaux pour nos abonnés des régions. A l’époque, c’était par la poste ou parle train que les journaux étaient expédiés mais, les tarifs étaient trop chers pour qu’on puisse s’en sortir. Pendant les négociations que nous avions engagées avec le gouvernement, le directeur général de la Poste et Famara Ibrahima Sagna nous avait fixé des tarifs de faveur. Les tarifs que la Poste appliquait étaient cassés pour le compte de la presse, ce qui fait que l’expédition des journaux par la Poste ne coûtait pratiquement rien. On avait aussi obtenu des réductions pour emprunter le train. La régie des sociétés nationales de chemin de fer nous avait accordé des réductions de 50%. Il suffisait juste pour celui qui veut voyager par le chemin de fer à présenter la carte de presse. On avait également obtenu des réductions sur les vols d’Air Sénégal qui était une société totalement publique. Là également, sur présentation de la carte de presse, on ne payait que 50% du prix du billet d’avion. Ensuite, il y avait les frais de raccordement aux lignes téléphoniques qui étaient très chers, mais pour tout cela on avait obtenu des réductions.
LA RECONNAISSANCE, LA RANÇON DE LA LUTTE
C’était la première fois dans l’histoire que la presse privée était reconnue en tant que telle comme interlocutrice des pouvoirs publics. A l’époque, la presse privée n’était pas considérée. Mais, à partir de ce combat-là, on a acquis une reconnaissance des pouvoirs publics qui nous ont considérés comme des interlocuteurs responsables avec qui il était possible d’engager des négociations et de discuter mais également ça nous a permis d’avoir droit de cité. Parce à l’époque, la presse privée ne comptait en rien. Elle ne participait pas aux conférences de presse. Elle n’était conviée à rien. Mais à partir de ce moment, on a gagné en légitimité au niveau des pouvoirs publics et il y a eu réellement une reconnaissance de la presse écrite qui est allée crescendo jusqu’à aujourd’hui que la privée soit incontournable et pèse même plus lourde que la presse d’Etat. Mais, c’est un processus qui a commencé à ce moment-là. La fierté que nous avons eue à l’époque du Parti socialiste, il y avait une tendance fasciste qui menaçait d’écraser la presse privée, mais à partir de ce moment-là, cette tendance a perdu le combat au profit de la tendance démocratique du Parti socialiste au pouvoir à l’époque qui avait compris qu’on ne pouvait plus ignorer la presse privée qui s’imposait de plus en plus comme une réalité incontournable. Le souvenir, c’est la reconnaissance du pouvoir public et par la même occasion de l’opinion elle-même qui a adoubé cette presse privée, a fait corps avec elle, l’a accompagnée et adoptée.
UNE PRESSE ÉCRITE EN FIN DE CYCLE
La presse écrite est en fin cycle. C’est une tendance lourde au niveau mondial. Elle vit ses derniers moments. Il y a certains qui ont même dit qu’avant 2020, elle aurait disparu. Elle résiste encore, mais je crois qu’elle n’en a pas pour longtemps. Elle est obligée aujourd’hui de faire sa mutation. De plus en plus, des entreprises de presse écrite ont des sites internet qui se développent. Souvent, ce sont ces sites internet qui font vivre la version papier. La presse écrite en version papier telle qu’on l’a connaissait, est condamnée et n’a plus d’avenir. L’avenir est au numérique, ça c’est incontestable. Des gens comme moi sont les derniers des mohicans de la presse écrite, après je pense qu’elle n’existera plus. Malheureusement, parce qu’elle aura été vaincue par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Des journaux emblématiques au niveau mondial ont disparu parce que tout simplement, le public a basculé sur le numérique, la publicité, les annonceurs aussi. La presse écrite est à la traine. Elle est même dépassée par les réseaux sociaux. Elle survit parce qu’elle a des journalistes de talent plus expérimentés que ceux qui sont dans les réseaux sociaux. Mais ça ne va pas durer. D’ici à un grand maximum de 10 ans, on ne parlera plus de presse écrite malheureusement et c’est bien dommage. Un autre business-model en matière de presse va émerger. Elle a déjà émergé d’ailleurs. Comme on le voit aujourd’hui, les jeunes générations ne lisent pas les journaux papiers. Elles s’informent à travers l’internet. Elles n’achètent plus des journaux en papier. Le lectorat qui connaissait la civilisation du papier est vieillissant.
L’origine du sobriquet ? C’est un surnom qui nous avait été épinglé à Babacar Touré de Sud, Mamadou Oumar Ndiaye du Témoin, Sidy Lamine Niasse de Walfadjri et moi-même, Abdoulaye Bamba Diallo du Cafard Libéré à l’époque. Nous étions les quatre groupes privés ou indépendants à côté du Soleil. On avait la particularité que le Témoin paraissait le mardi, Cafard Libéré le mercredi, Sud Hebdo, le jeudi, et Walfadjri, le vendredi. L’environnement de la presse n’était pas très favorable à l’exercice. Nous avions tous des exercices prioritaires. On n’arrivait pas à supporter nos charges. On avait entamé une série d’actions consistant à alerter l’opinion et l’Etat sur le fait que nous étions un secteur d’activité professionnel, mais aussi culturel et économique et créateur d’emplois et de valeur ajoutée, autant sur le plan économique et culturel que sur le plan de la liberté d’opinion. Notre existence était menacée et l’Etat ne faisait rien. Ce qui avait déclenché notre colère à l’époque est que la seule imprimerie qui existait, les Nouvelles imprimeries du Sénégal (Nis), avait été vendue par l’Etat du Sénégal à un groupe privé français. Nous en étions choqués et étonnés que l’Etat rétrocède l’unique imprimerie de presse qui existait à l’époque à un groupe privé français et, à côté, ne faisait rien pour la presse privée du Sénégal. On avait entamé une série d’actions: initiation d’une journée sans presse, c’est-à-dire que chaque journal ne sortait pas le jour de sa parution. Ça qui nous a mené à une semaine sans presse. Il était prévu une marche de l’hôtel Indépendance au palais de la République. Nous avons tenu une conférence de presse à l’hôtel indépendance et sur ces entrefaites, des médiateurs de l’Etat dont le ministre de l’Intérieur de l’époque, Famara Ibrahima Sagna, sont entrés en contact avec nous. Des négociations ont été menées. Sur cette base, l’Etat a pris des actions notamment à l’endroit de la presse. C’est à la base de l’initiative du fonds d’aide à la presse (actuelle aide à la presse). L’Etat nous a rétrocédé la Grande Imprimerie Africaine (GIA), l’autre imprimerie qui existait. Le financement de la délégation à la réinsertion à l’emploi que nous avons pu acquérir nous a permis d’avoir une coopérative pour l’achat d’intrants, notamment de papier journal.
POURSUITE D’UNE TRADITION DE COMBAT POUR LES LIBERTÉS
On avait un environnement ou l’exploitation de l’entreprise de presse était structurellement déficitaire. Nous n’étions pas les seuls à être logés sous cette enseigne. Même les entreprises publiques de l’information, que ça soit le quotidien national, aussi étaient soumis aux mêmes contraintes. Mais l’avantage est que le Soleil avait déjà une ligne de subvention étatique et budgétaire. Je tiens à préciser que des ainés avaient entamé ce combat pour la quête de liberté de la presse, de l’opinion de la démocratie, pour le droit à l’information. Il y a eu des pionniers comme Abdourahmane Cissé, Mame Less Dia, Abdou Salam Kane, Boubacar Diop, Boubacar Obeye Diop, Abdourahmane Diop. Il y a eu des traditions de presse libre et indépendante au Sénégal. Elle ne date pas seulement de cette époque des “quatre mousquetaires”. Elle date depuis l’époque coloniale. Je me suis simplement arrêté au segment de la presse écrite, mais même dans la presse audiovisuelle, il y a en d’autres. Je pense au doyen Kader Diop, Gabriel Jacques Gomis qui était à la fois à la radio et à la presse écrite, Henry Mendy, Julien Kélefa Sané et beaucoup d’autres. Ily a même des journalistes sportifs. La presse sportive a été aussi une des pionnières dans le pluralisme de la presse privée au Sénégal. Les “quatre mousquetaires” n’ont fait que poursuivre une tradition qui était prégnante dans la presse sénégalaise depuis le départ.
UNE PRESSE ÉCRITE ENTREPRENANTE MAIS OBNUBILÉE PAR LE SENSATIONNEL
Il faut saluer une chose, les nouvelles générations sont très dynamiques, entreprenantes, très audacieuses, quelquefois outrageantes aux yeux de certains, mais je crois que c’est heureux que ça soit ainsi. Ce que je constate par ailleurs, est que la presse écrite accorde trop d’importance aux faits divers et à l’anecdote. En retour sur les questions majeures, je suis assez nostalgique des grandes enquêtes, des dossiers fouillés en profondeur et qui permettent à des spécialistes de se prononcer, de donner des éclairages pour aider les gens à mieux comprendre. Sur ce plan, la presse a encore à faire plus d’espace. C’est aussi une presse très moderne qui n’est pas en déphasage avec son époque. C’est son avantage.
MAMADOU OUMAR NDIAYE, LE TEMOIN
Durant l’hivernage 1990, alors on avait entrepris une série d’alertes en direction du pouvoir d’alors, le président Abdou Diouf et donc, il y avait quatre hebdomadaires. La presse privée était constituée en tout et pour tout de quatre hebdomadaires. Il y avait Sud hebdo, Walfadjri Hebdo, le Cafard Libéré et le Témoin qui venait de naitre. La presse en cette époque-là, traversait des difficultés. Les gens ne connaissaient pas très bien la presse écrite pour y mettre leurs annonces. Elle était considérée comme un partisan de l’opposition parce que jusque là, c’était le règne de la presse d’Etat comme le Soleil, Radio Sénégal, la télévision nationale, l’Agence de presse sénégalaise… Mais, les annonceurs considéraient qu’ils ne pouvaient pas mettre la publicité dans cette presse réduite à vivre des recettes de la vente. On sait que dans le business-model de la presse écrite, 80% des ressources proviennent de la publicité et seules 20% des ventes. Donc, c’était absolument impossible de vivre des ventes et donc, on avait organisé une conférence de presse à l’hôtel Indépendance à l’époque pour lancer un appel aux autorités disant qu’on risquait de ne pas pouvoir traverser l’hivernage dans ces conditions. On envisageait d’organiser une marche en compagnie de nos familles, nos employés sur la place de l’Indépendance pour protester contre la précarité de nos conditions. Ça avait fait tilde à l’époque et le président Abdou Diouf qui ne voulait pas voir des journalistes organiser une marche qui serait couverte par la presse internationale et relayée à travers le monde, avait pris contact avec nous par le biais de Famara Ibrahima Sagna qui était ministre de l’intérieur de l’époque pour engager des négociations avec nous dans l’espoir de résoudre les problèmes auxquels nous étions confrontés.
UN ENGAGEMENT DÉCLENCHÉ PAR UNE MOROSITÉ FINANCIERE
A l’époque, l’aide à la presse n’existait pas. C’est après notre conférence de presse de cette année-là, que pour la première fois, l’aide à la presse soit versée. Pour la première fois, chaque organe a reçu 10 millions, ce qui fait que le gouvernement avait débloqué 40 millions pour nos quatre organes. C’était en août 1990. L’aide à la presse figurait dans la loi depuis 1979, mais elle n’avait jamais été appliquée. Il a fallu le mouvement de cette année pour que le gouvernement commence à la verser et depuis lors, la pratique continue. L’autre difficulté est que nous étions confrontés à un problème d’expédition des journaux pour nos abonnés des régions. A l’époque, c’était par la poste ou parle train que les journaux étaient expédiés mais, les tarifs étaient trop chers pour qu’on puisse s’en sortir. Pendant les négociations que nous avions engagées avec le gouvernement, le directeur général de la Poste et Famara Ibrahima Sagna nous avait fixé des tarifs de faveur. Les tarifs que la Poste appliquait étaient cassés pour le compte de la presse, ce qui fait que l’expédition des journaux par la Poste ne coûtait pratiquement rien. On avait aussi obtenu des réductions pour emprunter le train. La régie des sociétés nationales de chemin de fer nous avait accordé des réductions de 50%. Il suffisait juste pour celui qui veut voyager par le chemin de fer à présenter la carte de presse. On avait également obtenu des réductions sur les vols d’Air Sénégal qui était une société totalement publique. Là également, sur présentation de la carte de presse, on ne payait que 50% du prix du billet d’avion. Ensuite, il y avait les frais de raccordement aux lignes téléphoniques qui étaient très chers, mais pour tout cela on avait obtenu des réductions.
LA RECONNAISSANCE, LA RANÇON DE LA LUTTE
C’était la première fois dans l’histoire que la presse privée était reconnue en tant que telle comme interlocutrice des pouvoirs publics. A l’époque, la presse privée n’était pas considérée. Mais, à partir de ce combat-là, on a acquis une reconnaissance des pouvoirs publics qui nous ont considérés comme des interlocuteurs responsables avec qui il était possible d’engager des négociations et de discuter mais également ça nous a permis d’avoir droit de cité. Parce à l’époque, la presse privée ne comptait en rien. Elle ne participait pas aux conférences de presse. Elle n’était conviée à rien. Mais à partir de ce moment, on a gagné en légitimité au niveau des pouvoirs publics et il y a eu réellement une reconnaissance de la presse écrite qui est allée crescendo jusqu’à aujourd’hui que la privée soit incontournable et pèse même plus lourde que la presse d’Etat. Mais, c’est un processus qui a commencé à ce moment-là. La fierté que nous avons eue à l’époque du Parti socialiste, il y avait une tendance fasciste qui menaçait d’écraser la presse privée, mais à partir de ce moment-là, cette tendance a perdu le combat au profit de la tendance démocratique du Parti socialiste au pouvoir à l’époque qui avait compris qu’on ne pouvait plus ignorer la presse privée qui s’imposait de plus en plus comme une réalité incontournable. Le souvenir, c’est la reconnaissance du pouvoir public et par la même occasion de l’opinion elle-même qui a adoubé cette presse privée, a fait corps avec elle, l’a accompagnée et adoptée.
UNE PRESSE ÉCRITE EN FIN DE CYCLE
La presse écrite est en fin cycle. C’est une tendance lourde au niveau mondial. Elle vit ses derniers moments. Il y a certains qui ont même dit qu’avant 2020, elle aurait disparu. Elle résiste encore, mais je crois qu’elle n’en a pas pour longtemps. Elle est obligée aujourd’hui de faire sa mutation. De plus en plus, des entreprises de presse écrite ont des sites internet qui se développent. Souvent, ce sont ces sites internet qui font vivre la version papier. La presse écrite en version papier telle qu’on l’a connaissait, est condamnée et n’a plus d’avenir. L’avenir est au numérique, ça c’est incontestable. Des gens comme moi sont les derniers des mohicans de la presse écrite, après je pense qu’elle n’existera plus. Malheureusement, parce qu’elle aura été vaincue par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Des journaux emblématiques au niveau mondial ont disparu parce que tout simplement, le public a basculé sur le numérique, la publicité, les annonceurs aussi. La presse écrite est à la traine. Elle est même dépassée par les réseaux sociaux. Elle survit parce qu’elle a des journalistes de talent plus expérimentés que ceux qui sont dans les réseaux sociaux. Mais ça ne va pas durer. D’ici à un grand maximum de 10 ans, on ne parlera plus de presse écrite malheureusement et c’est bien dommage. Un autre business-model en matière de presse va émerger. Elle a déjà émergé d’ailleurs. Comme on le voit aujourd’hui, les jeunes générations ne lisent pas les journaux papiers. Elles s’informent à travers l’internet. Elles n’achètent plus des journaux en papier. Le lectorat qui connaissait la civilisation du papier est vieillissant.