Après avoir exploité les différents rapports de l’Inspection générale d’Etat (Ige), le Forum civil a décelé des failles dans la mission des vérificateurs. Des failles consécutives aux violations de la loi sur les statuts de l’Ige, mais également sur la violation du principe de l’imputabilité par l’Ige, notamment lorsqu’il s’agit de l’administration centrale. Le Forum civil a également déploré l’absence des projets phares de l’Etat dans les différents rapports de l’Ige.
Une semaine après la publication des rapports 2016, 2017 et 2018-2019 combinés de l’Inspection général d’Etat (Ige), le Forum civil section sénégalaise de Transparency international était en conférence de presse, hier, sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes. Une occasion pour Birahim Seck et compagnie de mettre à nu les violations et les manquements tant sur le fond que sur la forme. D’emblée, le coordonnateur du Forum civil précise que l’Inspection générale d’Etat, avec le retard accusé dans la publication de ces rapports, a violé l’article 9 de la loi 2011 sur les statuts de l’Ige. «Chaque année, le Vérificateur général du Sénégal présente un rapport d’activités au président de la République au plus tard le 31 mars suivant l’année d’activités sur l’Etat de la gouvernance et de la reddition des comptes. Or, avant la publication de ces rapports, l’Ige est restée quatre voire cinq ans sans pour autant publier de rapports. Ce qui constitue une violation manifeste de la loi par l’Inspection générale d’Etat qui est un corps chargé de vérifier la régularité et la conformité des lois», charge Birahim Seck qui évoque, dans la foulée, une autre violation, relevant cette fois-ci de la nature du rapport.
Se fondant toujours sur l’article 9, il révèle que le Vérificateur général doit présenter un rapport d’activités. Ce qui n’est pas le cas, à en croire le Vérificateur général qui annonce à la page 4 du rapport 2016 que ceci n’est pas un rapport d’activités encore moins de vérificateurs, il rend néanmoins des constatations et recommandations issues des rapports des différentes missions d’inspection et d’enquêtes et vérification d’audit diligenté par l’Ige. Or, de l’avis de Birahim Seck, la loi dit clairement que l’Ige doit publier un rapport d’activités.
Violation du principe de l’imputabilité par l’Ige lorsqu’il s’agit de l’administration centrale
S’ajoute à ces violations, déplore le patron du Forum civil, une autre violation, celle du principe de l’imputabilité. En effet, le Forum civil, suite à l’exploitation des rapports de l’Ige, fait remarquer que pour certaines structures, l’Ige donne des détails, des indications claires qui permettent d’identifier les différents acteurs qui sont à l’origine des différents errements, manquements ou fraudes ; mais lorsqu’il s’est agi de l’administration centrale, l’Ige évoque des notions d’autorité, de ministère, de structure sans aucune indication pouvant permettre de les identifier. D’après le patron du Forum civil, les exemples fourmillent dans les différents rapports présentés. En guise d’exemple, l’Ige parlant de conflits d’intérêts dans le rapport 2016, a précisé qu’il a été donné à l’Ige de constater un cas de conflit d’intérêts relatif à l’utilisation de sommes logées dans un compte bancaire ouvert irrégulièrement par une direction de l’administration contrôlée ; sans aucune précision sur la direction concernée. Cependant, quand il s’est agi de relever certaines dépenses effectuées sans preuves justificatives à hauteur de 891 millions francs Cfa, l’Ige n’a pas hésité à mentionner le nom de l’Agence nationale des Recherches scientifiques appliquées.
Les Caisses d’avance évoquées sans aucune précision
Cette démarche de l’Ige est vérifiable dans le rapport 2017. En effet, évoquant les Caisses d’avance, l’Ige fait état d’une autre Caisse d’avance, sans aucune précision sur la caisse d’avance en question. Toujours dans le rapport 2017, l’Ige évoquant la question du maintien en activité d’agents admis à la retraite, s’est contentée de dire dans une ‘’direction contrôlée’’, sans précision. Ce qui n’est pas le cas lorsqu’il évoque les fonds qui sont logés à la Dage du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Direction générale de la Francophonie, de la Direction générale du Pèlerinage, de l’Anacim, du projet de la gestion des déchets etc. Pour toutes ces directions, l’Ige a donné plus de détails. Les mêmes remarques ont été notées dans le rapport 2018 sur la question de la détention et de l’utilisation irrégulière de véhicules administratifs. L’Ige, sur cette question, révèle qu’il est fréquent de constater à l’occasion de ses missions que des autorités appelées à d’autres fonctions se refusent ou tardent à restituer les véhicules administratifs mis à leurs dispositions ; sans pour autant donner de précisions sur les autorités concernées. Parlant également de recrutements irréguliers, l’Ige s’est constaté de dire ‘’dans certains départements ministériels’’, sans les citer.
La Ville de Guédiawaye est-elle protégée par l’Ige ?
Cette violation du principe de l’imputabilité a été également notée au niveau des collectivités territoriales. En effet, évoquant la question de la création des cabinets sans base légale, l’Ige précise que nombreux sont les organes exécutifs qui ont été mis en place sans base légale. Seulement, se désole de constater Birahim Seck, la Ville de Thiès a bénéficié d’un traitement assez détaillé pour certaines anomalies relatives aux fournitures scolaires et aux secours soulevées dans le rapport 2016, tandis qu’une seule phrase a été réservée à la Ville de Guédiawaye. Ce qui lui fait dire que le parallélisme des formes n’a pas été respecté. Pire, en parlant de mimétisme dans la création de structures sans justification, l’Ige donne l’exemple de la ville de Thiès et Guédiawaye avec la création d’une inspection générale des offices municipaux. De l’avis de l’Ige, cette création découle d’un mimétisme. Seulement, pour la Ville de Guédiawaye, souligne Birahim Seck, l’Ige estime que ces organes sont issus de la transformation des directions de toutes les divisions qui existent depuis 2014. Cerise sur le gâteau, l’Ige d’ajouter : «tout laisse croire qu’il s’agissait juste de répéter une pratique observée dans les autres villes de la région de Dakar». Nous avons l’impression que l’Ige essaie de nous trouver une justification. Ces structures ont été créées sans justification, mais on constate qu’il essaie de trouver une porte de sortie à la Ville de Guédiawaye.
Aucune information sur les projets phares du gouvernement
Autre chose étonnante, selon le Forum civil, c’est l’omerta constatée sur les projets phares de l’Etat dans les différents rapports de l’Ige. «Le Forum civil s’étonne de ne voir aucune information sur les projets phares du gouvernement. Sur 639 pages que constituent les rapports 2016, 2017, 2018 et 2019 combinés, le Pracas qui est le programme phare du gouvernement en matière agricole n’y figure pas. Le Pudc, le Programme des bourses familiales, la Couverture maladie universelle, la Délégation générale à la sécurité alimentaire, le Prodac, les montants alloués aux campagnes agricoles (380 milliards), en plus de certains marchés qui ont fait débat, notamment la rénovation du Building administratif, les montants alloués dans la construction de l’autoroute Ila Touba, les universités Abdoulaye Niasse et Amadou Makhtar Mbow. Mais aussi, les contentieux fonciers qu’on a connus avec les terres du littoral etc.», rappelle Birahim Seck qui ne manque pas de s’interroger sur l’absence de ces projets phares dans lesdits rapports. «Est-ce une volonté de cacher une information au public ou est-ce que l’Ige n’a pas eu le temps d’effectuer ces vérifications ?
L’Ige risque d’être une usine de pantouflage
Suite à ce chapelet de manquements, le Forum civil a égrené des recommandations en invitant l’Ige à transmettre son rapport à date échue. Il a aussi déploré le fait que d’anciens directeurs soient privilégiés dans le recrutement au niveau de l’Ige, sans pour autant disposer des qualifications requises. Ce qui fait dire à Birahim Seck que l’Ige doit renouer avec les concours. A l’en croire, si tel n’est pas le cas, l’Ige risque d’être, dit-il, une usine de pantouflage.
Moussa CISS