La décision de Diomaye Faye de dissoudre le Conseil économique, social et environnemental (Cese) ne fait pas l’unanimité au sein de l’institution. Interrogés par téléphone, l’artiste Malal Talla dit Fou Malade et le syndicaliste Elimane Diouf, Sg de la Csa, deux conseillers du Cese, regrettent cette décision présidentielle. Une décision politique pour Malal Talla, inélégante pour Elimane Diouf. Nos deux interlocuteurs estiment que le Cese est une institution utile à la République. Ils souhaiteraient sa réorganisation plutôt que sa dissolution.
Depuis la saisine de l’Assemblée nationale par le président de la République pour la dissolution du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), les acteurs politiques s’invitent au débat. Face à cette situation d’opposition entre le régime qui brandit une rationalisation des dépenses de l’Etat et l’opposition qui indexe une tentative de musellement, place aux vrais acteurs pour donner leur point de vue. Installés il y a à peine trois mois, l’acteur culturel Malal Talla estime que cette mesure n’est qu’un coup politique pour assommer la nouvelle opposition et amoindrir ses forces. «Ça à l’allure d’un acte politique. C’est incohérent. C’est qu’à la tête de cette institution, il y a un responsable important dans le dispositif de Macky Sall. Donc il faut la dissoudre. A mon avis, il faut être conséquent», argue le rappeur qui ajoute : «pour moi, ce qu’ils cherchent à travers çà, c’est le prétexte de dire : ‘’écoutez, donnez-nous la majorité à l’Assemblée nationale parce que ces gens-là ont voté non pour la dissolution du Hcct et du Cese. Maintenant si vous nous laissez avec ces gens-là, nous ne pouvons pas travailler’’. S’ils le développent, ils entrent en contradiction avec eux-mêmes parce que lors de la campagne législative, ils avaient dit qu’il faut une Assemblée équilibrée. C’est une communication pour préparer les législatives et une opportunité pour dissoudre l’Assemblée nationale. Il suffisait d’attendre le 12 septembre pour dissoudre l’Assemblée mais ils ont préféré autre chose. C’est un coup politique», laisse entendre Fou malade.
Elimane Diouf : «ce n'est pas élégant»
Comme s’ils se sont passé le mot, un autre conseiller abonde dans le même sens et estime que le régime manque d’élégance. Elimane Diouf, Sg de la Confédération des syndicats autonomes (Csa) s’y attendait. «Nous ne sommes pas surpris, mais ce n'est pas élégant ; ils auraient dû prendre la décision depuis qu'ils sont arrivés et ne pas installer la nouvelle mandature pour deux à trois mois. En ce qui me concerne, c'est dans la presse que je l'ai appris. Je ne sais pas si le président du Cese a été saisi ou pas», fait-il savoir.
Cheikh Diop : «le Cese existe dans presque tous les pays du monde»
Pour sa part, Cheikh Diop, Sg de la Cnts/Fc, rejette ce projet. «Dans presque tous les pays du monde, il existe au moins trois institutions que sont la présidence de la République, l'Assemblée nationale et le Conseil économique et social, la seule apolitique parmi ces trois. Ce fait constant dans presque tous les pays démocratiques atteste de l'utilité de cette institution apolitique, qui regroupe des compétences et expertises dans tous les domaines. Son rôle consiste à donner des avis bien étudiés sur des sujets qui intéressent l'Etat sur sa demande ou sur proposition de l'institution, sur des thèmes intéressant la nation. Ces différents avis sont susceptibles d'aider les autorités de l'Etat à prendre les bonnes décisions ou à résoudre des situations qui préoccupent la nation. De ce point de vue, nous pensons que l'enjeu vaut la chandelle et que cette institution, du fait de son rôle, de son caractère apolitique, devrait être maintenue, au besoin y apporter des modifications s'il y a lieu. En plus de ces trois institutions qui sont constantes dans presque tous les pays de grande démocratie, il y a des pays qui ont d'autres institutions comme le sénat ou Haut conseil des collectivités territoriales», souligne le syndicaliste.
Même son de cloche pour son camarade de la Csa. Elimane Diouf fait savoir au régime que le Cese n’est pas seulement constitué de politiques, il y a d’autres profils et compétences. Il a proposé de revenir à l’ancienne formule du Conseil économique et social. «Il y a des membres statutaires liés à leur statut d’organisation ou à leur représentativité dans l’échiquier économique et social, des organisations de recherche, des corps constitués. Ils ont augmenté des membres associés, des membres politiques. Je pense que si c’est une volonté de rationalisation tout en bénéficiant des études et des recommandations des institutions comme le Cese, on aurait pu revenir à l’ancienne formule : réduire les membres du conseil pour prendre le minimum nécessaire et revenir à des jetons de présence qui consistent à rembourser le transport quand ils font une session et continuer à bénéficier de cet organe d’études, de conseil, de recommandations pour l’Etat ou le gouvernement. Nous avions eu le Sénat, il y a eu le Ces, … Il y a eu plusieurs formules qui ont été utilisées. Mais dans toutes ces formules, c’est à partir du Président Wade que le Sénat a connu une hausse vertigineuse du budget en augmentant non seulement le nombre de membres du conseil, mais en faisant que les membres aient des salaires, des véhicules de fonction pour les membres du bureau. Ce qui n’était pas le cas du temps de Diouf. Mais les gens avaient des jetons de présence», fait-il savoir.
Malal Talla : «il fallait démarrer par la suppression des fonds politiques»
Pour Malal Talla, ce prétexte n’est pas convaincant. Il note que la première chose à faire avant la dissolution d’institution, c’est de respecter d’abord les promesses de campagne qui les concernent directement aujourd’hui, les fonds politiques et les caisses noires. «C’est le respect d’un engagement électoral. C’est un avant-goût pour la dissolution de l’Assemblée nationale. Le prétexte de rationalisation des dépenses de l’Etat en principe devrait démarrer par le respect de l’engagement de la suppression des fonds politiques de la Présidence, de la Primature, de l’Assemblée nationale et autres fonds des ministères. Si toutes ces caisses sont supprimées, le problème serait réglé. C’est ce qui est anormal, c’est le choix des promesses à respecter et à ne pas respecter. La caisse noire est toujours là», argue le rappeur.
Dans tous ses états, Malal Talla parle d’incohérence. «Techniquement, ils ne sont pas majoritaires à l’Assemblée. Ils ne sont plus en odeur de sainteté avec Taxawu Dakar. La majorité à l’Assemblée nationale ne peut pas dissoudre une institution qu’elle a mise en place. C’est incohérent, c’est écraser son propre patrimoine». Sur son avenir, Fou Malade ne s’en fait pas. «Me concernant en tant que membre récemment installé, si l’institution est dissoute, je continue mon travail dans les appareils que je faisais à travers Y’en a marre, Guédiawaye Hip Hop et la télé. Ma nomination était une manière d'institutionnaliser mon travail social. Maintenant, l’institution disparaît, je reprends mon travail. Du point de vue personnel, il n'y a pas de conséquence», conclut Fou Malade.
Baye Modou SARR