Le respect des droits humains n’est pas le fort des autorités sénégalaises. C’est ce que laisse croire le rapport de Amnesty pour l’année 2017. Présenté hier par Seydi Gassama, Directeur exécutif de ladite organisation, le rapport fait état de procès inéquitable, d’interdiction de manifestation, de non-respect de la liberté d’expression, mais aussi des conditions carcérales difficiles et des morts en détention. Pour ce qui concerne les procès, Seydi Gassama fera remarquer que le cas de Khalifa Sall reste inédit. «Le maire de Dakar, capitale de notre pays, a été placé en détention depuis mars dernier avec plusieurs accusations qui se résument par le détournement de deniers publics. La liberté provisoire lui a été refusée plusieurs fois, malgré toutes les garanties données par lui même et ses proches. Il y a eu une violation de plusieurs jurisprudences, parce c’est la première fois qu’une personne arrêtée pour de tels faits se voit refuser une liberté sous caution», dit-il.
«Le procureur est le bras armé de l’exécutif»
A l’en croire, malgré qu’il soit élu député pendant sa détention, la question de son immunité a fait l’objet de beaucoup de controverses. «Il y a comme un acharnement contre Khalifa Sall et ces différents actes posés dans cette affaire nous laissent croire que la justice ne fait pas son travail en toute indépendance. Cela nous a amené aussi à nous interroger sur l’indépendance des juges dans le traitement de cette affaire. L’Etat dispose d’énormément de pression sur les juges, qui sont, il faut le reconnaître, des êtres humains, donc sensibles à toutes les pressions qui peuvent venir de la communauté. Il ne faut pas nous leurrer, l’indépendance de la justice n’existe pas», affirme le Directeur exécutif de Amnesty.
Dénonçant le «deux poids deux mesures» dans la justice sénégalaise, M. Gassama appelle le Président Sall à se ressaisir. «L’affaire Khalifa Sall, comme toutes celles qui se sont déclenchées depuis l’arrivée de Macky Sall, ne vise qu’un seul camp : si vous êtes du bon bord, vous ne serez inquiété par aucun rapport, personne ne fouillera dans votre gestion. Comme il le dit lui-même, le Président a le pouvoir de ranger certains dossiers dans les tiroirs et en sortir d’autres pour les mettre entre les mains du procureur, qui est le bras armé de l’exécutif. Cela prouve le problème de la rupture d’égalité des citoyens devant la justice. L’Etat à l’obligation de traiter les citoyens sur un pied d’égalité. Si, en fonction de son appartenance politique, on peut espérer être traité différemment, cela pose effectivement problème dans une démocratie», soutient-il.
Interdictions de manifestions et bavures des forces de l’ordre
Evoquant les bavures des forces de l’ordre, le Directeur exécutif de Amnesty révèle qu’au cours de cette année, la liberté de manifestation a aussi connu des entorses. «Des militants de Khalifa Sall ont été arrêtés alors qu’ils organisaient un simple rassemblement pacifique. Des forces de l’ordre ont utilisé des matraques et grenades lacrymogènes pour empêcher une manifestation de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, en violation du code électoral. Les forces de sécurité ont blessé deux personnes par balles et roué de coups des manifestants à Touba pour dénoncer les mauvais traitements infligés par la milice Safiatoul Amane. Il y a également les évènements de Kédougou où un jeune orpailleur a été tué par un auxiliaire des douanes. Des douaniers ont aussi tué récemment une autre personne dans la région de Kolda. Nous avons aussi noté le décès d’un élève soldat dans le centre d’instruction de Thiès et le certificat de genre de mort parle de sévices qu’aurait subis le jeune sous-officier», a décrié Seydi Gassama, qui regrette les difficiles conditions des détenus et les morts durant les détentions.
«Le président de la République n’est pas un Cardinal encore moins un Khalife général, c’est un homme politique qui raille très souvent ses opposants»
Pour ce qui est de la liberté d’expression, des journalistes, artistes et d’autres utilisateurs des réseaux sociaux, qui ont exprimé des opinions dissidentes, ont été arrêtés de manière totalement arbitraire. «Arrêter des gens parce qu’ils ont simplement partagé une photo du Président Sall sur WhatsApp est carrément injuste. Le président de la République n’est pas un chef religieux, c’est un homme public qui évolue dans la politique. On le trouve tout le temps dans la polémique politicienne, donc il ne peut pas être à l’abri de ces opinions dissidentes. Il n’est pas au-dessus de la mêlée, il est dans la mare politique en tant que chef de parti, donc il ne peut pas se considérer comme la reine d’Angleterre», fulmine le droit de l’hommiste.
«On doit arrêter avec le concept Njiitu Reew, Boroom Askan wi»
Seydi Gassama de préciser : «Soyons clairs, nous ne disons pas que les gens peuvent injurier sans encourir de sanctions, mais, à la place des peines de prison, on peut appliquer des sanctions pécuniaires. Au Sénégal, on continue de considérer le Président comme un roi. On doit arrêter avec le concept Njiitu Reew, Boroom Askan wi». Ce qui est clair, c’est que dans les vrais démocraties, on n’envoie plus les gens en prison pour diffamation ou offense au chef de l’Etat», argue Seydi Gassama.
Ndèye Khady D. Fall