La décision prise ce mois-ci par l’État du Sénégal d'expulser deux anciens détenus vers leur pays, la Libye, vient de livrer ses premières conséquences. Puisqu’après un voyage traumatisant, Omar Khalifa Mohammed Abu Bakr et Salem Abdul Salem Ghereby sont tombés entre les mains d'un chef de milice intransigeant qui a été accusé d'abus de prisonniers. Et ils ont ensuite disparu.
L'affaire établit un précédent inquiétant, comme l’ont si bien révélé des fonctionnaires américains. Le danger, disent-ils, est que d'autres pays suivent le Sénégal en déplaçant de force plus de 150 anciens détenus réinstallés durant l'ère Obama vers des endroits instables où ils risquent d'être tués ou encore finir par devenir eux-mêmes des menaces.
La faute à la désorganisation qui a frappé le département d'Etat depuis l’arrivée de Président Trump ?
Mais déjà, selon des informations parvenues à «Les Échos», pour les Américains, l'échec de la réinstallation du Sénégal semble également être, au moins en partie, une conséquence de la désorganisation qui a frappé le département d'Etat depuis que le Président Trump a pris ses fonctions. En effet, l'administration Obama a mis en place un bureau central de haut niveau chargé de surveiller en permanence les anciens détenus et de traiter tous les problèmes. Mais Rex Tillerson, le premier secrétaire d'État de M. Trump, l’a fermé purement et simplement avec les conséquences qui en ont découlé.
C’est le 26 mars que tout a commencé. Ce jour-là, les deux Libyens ont été informés par écrit qu'ils seraient expulsés du Sénégal le 3 avril 2018, date du deuxième anniversaire de leur arrivée au Sénégal. Ainsi dit ainsi fait. Une fois à l’aéroport de Tunis, Ghereby a appelé une organisation de défense des droits humains, mais a ensuite disparu.
Le sort de Khalifa était encore plus mystérieux. Et pour cause, au départ, les autorités sénégalaises avaient déclaré que Khalifa ne serait pas expulsé de force. Mais, on ne sait pour quelle raison, il a été finalement envoyé en Tunisie. Mieux, selon le «Times», les deux hommes avaient été conduits à Tripoli et placés en détention par une milice hostile, selon un responsable du renseignement du gouvernement libyen.
Les anciens détenus souhaitaient être transférés à Misrata…
Déjà, alors qu'il se trouvait à l'aéroport de Tunis, l'un des hommes commençait à protester bruyamment et à se cogner la tête contre une surface dure, raconte le confrère citant un responsable du renseignement et un employé de la compagnie aérienne. Selon les deux sources, les anciens détenus souhaitaient être transférés à Misrata, une ville située à environ 130 miles à l’Est de Tripoli, pour échapper à l'aéroport de Tripoli, contrôlé par Abdulrauf Kara, un commandant de milice qui dirige un camp de détention antiterroriste.
Fortunes diverses
Pourtant, certaines réinstallations se sont bien déroulées. Les anciens détenus ont appris leurs nouvelles langues locales, ont trouvé un emploi et se sont même mariés. D'autres ont été plus compliquées. De l'Uruguay au Kazakhstan, les ex-détenus ont lutté pour s'intégrer, tout en se plaignant d'un soutien inadéquat, de l'éloignement des proches et de la sécurité. Dans d'autres pays, comme le Ghana, les anciens détenus semblent mieux s’intégrer, mais le gouvernement a été fortement critiqué par les opposants politiques pour avoir accepté de les réinstaller.
Presque tous les détenus réinstallés imposent un certain mal de tête aux gouvernements hôtes, qui fournissent généralement une assistance de base tout en les surveillant. En règle générale, les pays d'accueil ont également accepté de ne pas laisser les anciens détenus voyager pendant deux ou trois ans, laissant dans le flou ce qui allait suivre. Ainsi, le Sénégal est, selon nos confrères du Times, le premier pays à se débarrasser de ce fardeau en expulsant les deux détenus réinstallés à Dakar.
Les plaintes des Salem Abdul Salem Ghereby et Awad Khalifa
Pour mémoire, Dakar a accueilli les deux anciens détenus libyens en avril 2016, sur demande de l’ex-Président américain Barack Obama au Président Macky Sall. Les deux hommes, Salem Abdul Salem Ghereby et Awad Khalifa, ont reçu des appartements dans le même bâtiment à Dakar, avec un gardien vivant à proximité. Récemment, le 3 avril précisément, un journaliste du Times a rendu visite aux hommes à Dakar. Lors d’un entretien, Ghereby s'est plaint que le Sénégal n'autoriserait pas sa femme et ses enfants libyens à rester avec lui.
Aussi, les deux prisonniers ont fait part de leur désir de recevoir des rations plus importantes. Pourtant, il y avait aussi des signes que la réinstallation fonctionnait. Le nommé Khalifa, par exemple, avait déclaré qu'il était fiancé à une dame qui travaillait comme femme de ménage dans le bâtiment. Interpellés, les autorités sénégalaises avaient refusé de discuter de ce qui les a incités à envisager d'expulser les hommes.
Il faut dire que les relations entre les pays africains et les Etats-Unis se sont généralement détériorées sous M. Trump, surtout depuis que l’imprévisible Président américain a qualifié, en janvier dernier, les nations africaines de «pays de merde».
Rappelons que dans le cadre de la campagne menée par le président Barack Obama pour fermer la prison de Guantánamo, son administration avait conclu des accords avec quelque trente-six pays afin d'accueillir des détenus à faible risque sur leur territoire. Les réinstaller dans des endroits stables augmenterait leurs chances de vivre pacifiquement, plutôt que de faire face à la persécution ou à la dérive dans le militantisme islamiste, avaient estimé les responsables américains.
Sidy Djimby NDAO