L’arrivée avant-hier du Président turc à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass a été le théâtre d’un fait insolite. Fatigué de saluer la longue file de ministres que lui présentait Macky Sall, Erdogan s’est à un moment arrêté (à hauteur du ministre de l’Agriculture). Et c’est pour interpeller son homologue sénégalais sur le nombre de ses ministres. «Tu en as combien ?», lance-t-il. Macky Sall, qui s’est lancé dans des explications et visiblement pris de court par la remarque de son hôte de répondre : «Ils sont trente-neuf». Le chef de l’Etat turc de poursuivre en marquant son étonnement : «Macha’Allah ! Tu as beaucoup d’enfants. Moi j’en ai vingt», raille-t-il. Et le chef de l’Etat sénégalais, dans une ironie forcée, de l’appuyer : «Oui, beaucoup d’enfants». Et le terme «enfants» utilisé par le Président turc est même très instructif quant à l’idée qu’il se fait de ce gouvernement. Car, en réalité, dans un gouvernement respecté et respectable, on ne saurait considérer les ministres comme des «enfants» du Président. Car ce paternalisme qui renvoie d’ailleurs implicitement à des choix de cœur et non de raison ne saurait prospérer dans une République et présider à la formation d’un gouvernement. Mais on peut comprendre facilement qu’Erdogan traite des ministres d’enfants, lui qui s’est arrogé des prérogatives constitutionnelles qui le placent quasiment au rang de «dictateur», décidant de tout et pour tous.
Au-delà de l’ironie, une véritable piqure de rappel à Macky Sall qui avait promis 25 ministres
Mais, au-delà de l’ironie, cette remarque de Recep Tayyip Erdogan sur la taille du gouvernement sénégalais pose un problème plus profond et qui est le mal du Sénégal et des pays africains d’une manière générale. On comprend aisément son étonnement de voir 39 ministres au Sénégal. En effet, son pays, qui est 5 fois plus peuplé que le Sénégal (82 millions d’habitants contre 14 millions) n’a que 20 ministres, soit quasiment la moitié des 39 ministres du gouvernement Boun Abdallah Dionne. Et si l’on compare l’efficacité et les performances des deux gouvernements (même si comparaison n’est pas toujours raison), on n’a pas besoin de dessin pour comprendre que le penchant de Macky Sall (comme de ses prédécesseurs au pouvoir au Sénégal) pour les gouvernements pléthoriques, ne s’explique nullement par un besoin d’efficacité et de performance. C’est surtout et avant tout pour caser une clientèle politique dont le seul mérite est souvent d’avoir eu à cheminer avec le Président pendant la période de conquête du pouvoir. Pire, ces nombreux ministères dont l’essentiel du budget, loin des investissements et des projets de développement, va dans l’entretien de personnel, pour la plupart politique, sont de véritables gouffres où se perdent les maigres ressources du pays.
Adepte des slogans «la patrie avant le parti» et «gestion sobre et vertueuse», qui, à la pratique, se sont révélés en réalité creux, on ose espérer que la «blague» très instructive de son homologue turc va ramener Macky Sall à ses vieilles promesses. Et au-delà de l’amusement passager, l’ex-opposant de Wade et chantre du «Yakaar (espoir)» ne doit pas aimer la remarque de son hôte, qui a remué le couteau dans une plaie maintenue ouverte par les opposants et détracteurs du régime. En effet, au moment de la conquête du pouvoir, le candidat Macky Sall avait promis un gouvernement de 25 membres, au plus. Cela, dans le cadre de la rationalisation des dépenses de l’Etat. Aujourd’hui, on se retrouve avec 39 ministres. Un «wax-waxeet» que ses opposants lui jettent à la figure à chaque fois que l’occasion se présente. Et Idy et Cie ne manqueront pas de prendre au rebond la balle lancée par Erdogan. Erdogan, un autre hôte du Président Sall qui égratigne le régime, comme récemment Macron, avec la fameuse classe à 28 élèves. A ce rythme, faudra que Macky Sall fasse porter des œillères à nos hôtes !
Mbaye THIANDOUM