Assane Diouf a enfin fait face au juge correctionnel, hier, pour s’expliquer sur les faits pour lesquels il est poursuivi. Contre toute attente, «l’insulteur public numéro 1» a nié tous les faits. Il dit n’avoir pas insulté Serigne Bass Abdou Khadre ni les chefs religieux. «J’ai demandé à Serigne Bass Abdou Khadre où est-ce qu’il a pris ses milliards. Je le connais, on a grandi ensemble», s’est expliqué le prévenu. Le Procureur, convaincu de sa culpabilité, a requis à son encontre 5 ans de prison ferme. Pour la défense, les infractions ne sont pas établies. Selon Me El Hadji Diouf, c’est une «vengeance» du Procureur. Délibéré le 8 janvier prochain.
Assane Diouf apparaît en boitillant
Ce jour, Assane Diouf l’a longtemps attendu. Hier, lorsqu’il a été appelé à la barre, c’est en boitillant qu’il s’est déplacé pour venir se mettre debout à la barre. Une occasion encore pour son avocat, Me El Hadji Diouf, de s’en prendre aux agents de l’administration pénitentiaire qui l’ont mis dans cet état. Et, au moment où le président essayait tant bien que mal d’expliquer en wolof les infractions au prévenu, qui a dit ne pas comprendre très bien le français, Me Ciré Clédor Ly a demandé au juge de permettre qu’on apporte une chaise à son client. Ce qui a été fait. Après la notification des infractions dont le prévenu n’a reconnu aucune, le juge a commencé son instruction. «Je n’ai jamais insulté Serigne Bass Abdou Khadre, je lui ai juste posé une question (…) je n’ai pas insulté un chef religieux ni outragé un agent», c’est d’emblée la réponse apportée par Assane Diouf sur les délits pour lesquels il est poursuivi.
«Je n’ai pas insulté Serigne Bass Abdou Khadre, je lui ai juste posé une question…»
S’agissant du porte-parole des Mourides, le prévenu explique : «j’ai demandé à Serigne Bass Abdou Khadre où est-ce qu’il a pris les milliards qu’il possède. Il a parlé en public pour demander aux gens d’aller répondre au dialogue national appelé par Macky Sall, je lui ai répondu. J’ai grandi avec Serigne Bass Abdou Khadre. C’est Serigne Bara Mbacké qui nous a tous les deux éduqués. Je suis allé aux États-Unis et j’y ai travaillé pendant 7 ans sans avoir un milliard. Lui-même, il est venu me voir et je lui ai donné un ‘’adiya’’. Quand je suis venu au Sénégal, j’ai su qu’il était devenu milliardaire, pour quelqu’un qui n’avait même pas 10.000 francs». Le juge lui demande alors comment il peut être sûr de ce qu’il déclare. «J’ai vu ses villas, j’ai vu sa maison à Touba et tout ce qui se trouve à l’intérieur et je vous dis que cela vaut un milliard au moins», rétorque le prévenu.
«Le gouvernement sénégalais a dit des contrevérités aux Américains, c’est pourquoi on a renvoyé Babacar Diagne»
Le juge lui demande ensuite s’il a insulté des chefs religieux ; «qu’est-ce que vous appelez chef religieux ? » ; le juge lui retourne la question et il répond : «un chef religieux, c’est quelqu’un qui a un daara, des talibés, qui les nourrit et qui leur apprend le Coran ; mais ce n’est pas une personne qui s’enrichit des ‘’adiya’’ . Loin de s’en arrêter à cela, le prévenu explique ses motivations : «je dis ce qui me fait mal dans mon pays. Je veux que la justice fasse son travail et redresse les gens ; que tout le monde soit mis sur le même pied».
Répondant par ailleurs aux questions de son avocat Me El Hadji Diouf, il narre les circonstances de son arrestation : «le gouvernement du Sénégal a dit des contrevérités aux Américains, en leur faisant croire que je suis un terroriste. C’est Babacar Diagne qui a fait un rapport pour raconter tout cela et immédiatement, les agents du FBI se sont pointés chez moi. Ils étaient nombreux et armés jusqu’aux dents. Lorsque je suis sorti de la maison, j’avais des armes braquées sur moi, si je tentais de mettre la main à la poche, ils allaient me tuer. C’est après enquête qu’ils ont trouvé qu’il n’y avait aucune apologie du terrorisme, mais juste un séjour irrégulier. Le gouvernement américain n’a pas compris l’acte de l’ambassadeur, car, pour eux, l’ambassadeur doit être là pour moi. C’est d’ailleurs pour ce mensonge que Babacar Diagne a été renvoyé ; ça ils ne l’ont jamais dit».
Assane Diouf d’ajouter : «lorsqu’on a atterri à Dakar, il y avait plus d’une centaine d’agents de forces de l’ordre qui m’attendaient à l’aéroport et ils se sont positionnés dans un corridor où je devais passer. L’agent américain m’a demandé s’il est sûr que je descende, sinon il me retournerait aux États-Unis et j’ai répondu que ça va aller. Il m’a dit de descendre et de leur tendre immédiatement mes bras et c’est ce que j’ai fait». «Si Trump a traité les Africains de m… c’est à cause de l’attitude de notre représentant diplomatique», a encore ajouté Assane Diouf, qui soutient que son épouse a déposé des plaintes contre les agents du FBI et que les Américains poursuivent toujours leur enquête.
Le Procureur requiert 5 ans
En dépit des 12 mois passés en prison, le Parquet ne lâche pas du lest dans l’affaire Assane Diouf. Le représentant du ministère public qui poursuit sur la base de 4 infractions, notamment insulte envers une personne (Serigne Bass Abdou Khadre) ou un groupe de personnes (chefs religieux), outrage à un ministre de culte dans l’exercice de ses fonctions, outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions et diffusion de fausses nouvelles, a demandé au juge de retenir toutes les infractions. Pour le représentant du Parquet, toutes ces infractions sont avérées, malgré les déclarations de Assane Diouf. Il a requis 5 ans d’emprisonnement ferme à son encontre. A ceux qui disent que le Parquet ne peut pas poursuivre, puisque ce sont des personnes particulières qui ont été visées, le Procureur leur oppose la loi 2016-29 du 18 avril 2016 qui lui confère le droit de poursuivre sans plainte lorsqu’il s’agit de faits diffusés au moyen d’un outil informatique. «L’internet n’est pas une zone de non droit», peste le Procureur qui ajoute que Facebook est un espace public lorsqu’on dépasse un nombre restreint d’amis. «Les faits sont têtus à son encontre», a encore martelé le représentant du ministère public, qui argue que les propos de Assane Diouf sont «offensants» et que cela a «choqué l’opinion publique».
Dans le cas de Serigne Bass Abdou Khadre, le Procureur ne doute pas qu’il a été insulté, alors qu’il occupe une «fonction religieuse». L’attitude du prévenu qui a «menacé» les agents de la police de Guédiawaye est aussi outrageante, selon le représentant du ministère public.
Me Diouf : «les 5 ans requis, c’est de la vengeance. On se réfugie derrière Serigne Bass Abdou Khadre pour avoir sa tête»
Dans ses plaidoiries, Me El Hadji Diouf n’y est pas allé de main morte. «Il est arrivé sur la base d’un mensonge d’Etat», peste-t-il à l’entame de son propos. «Les 5 ans requis, c’est de la vengeance. On se réfugie derrière Serigne Bass Abdou Khadre pour avoir sa tête. Il ne faut pas déplacer le débat. C’est pernicieux, c’est un abus d’autorité. Pourquoi le Procureur n’a pas porté plainte ? Il a le droit de le faire ; Macky Sall a le droit de porter plainte ; ils ont préféré se réfugier derrière le porte-parole qui a dit publiquement qu’il n’a rien contre Assane Diouf et qu’il ne poursuit pas», martèle encore la robe noire. Il ajoute : «j’ai parlé à un parquetier qui me dit : ‘’Maître si on libère le gars, il va continuer à insulter’’. Cela m’a choqué. Donc la volonté du Parquet, c’est de le laisser mourir en prison. Un gouvernement indigne pose des actes indignes», crache encore Me Diouf. Qui a demandé au juge de ne «pas entrer dans le jeu du Parquet» et de relaxer son client.
Me Ciré Clédor Ly : «C’est une machination judiciaire»
Dans le même sillage, Me Ciré Clédor Ly s’en prend au gouvernement. «Il a insulté le Procureur copieusement, je le reconnais, mais je ne l’approuve pas et je lui ai dit. Il a insulté le président de la République et je lui ai dit que ce n’est pas bien ; en vérité c’est pour cela qu’on l’a emmené ici. C’est une machination judiciaire», a pesté Me Ly. Pour l’avocat, le procureur a tout faux de se fonder sur la loi 2016, car, pour lui, cette loi n’a jamais dit que le Procureur peut poursuivre, mais que c’est la personne insultée qui doit porter plainte. C’est pourquoi, selon lui, l’action publique pour cette infraction doit être déclarée irrecevable. Idem pour les autres infractions.
Le juge, après avoir entendu toutes les parties, a mis l’affaire en délibéré pour le 8 janvier prochain. La défense a demandé la mise en liberté provisoire de son client, avant de retirer leur requête, après que le Procureur se soit opposée.
Alassane DRAME