
Première grosse victoire pour Seydou Sarr dit Tahirou Sarr. Son offre de cautionnement jusque-là refusée par le juge d’instruction du Pool judiciaire financier a été acceptée par la Chambre d’accusation financière. Les arguments du magistrat instructeur, tout comme, du reste, ceux brandis par le Parquet général et même l’agent judiciaire de l’Etat, pour demander le rejet, n’ont pas été retenus par la juridiction de recours. Au contraire, elle les a, quasiment, tous écartés comme non fondés juridiquement, acceptant même ceux de l’avocat du requérant. Toutefois, la Chambre a rejeté la liberté provisoire en évoquant ses propres motifs.
Tahirou Sarr, rappelons-le, a été inculpé sur deux dossiers. Dans la première affaire, il est poursuivi, entre autres infractions, pour escroquerie portant sur des deniers publics d’un montant de 25.388.944.444 francs ; et dans la seconde affaire, le montant est évalué à 91.636.628.050 francs. Du coup, les offres de cautionnement doivent porter sur les deux dossiers. Ainsi, par la première requête, l’avocat a demandé l’autorisation d’inscrire au profit de l’Etat une hypothèque sur trois biens immeubles sis à Rufisque appartenant à la société Sofico SA (Tf 700/R, 92/R et 5281/R évalués après expertise) ainsi qu’un montant de 11 milliards. Le tout constitue un total de 31.905.033.000 dépassant largement le montant de 25 milliards reproché à son client. Dans la deuxième requête, il demande d’inscrire au profit de l’Etat une hypothèque sur le droit au bail détenu par la société Sofico SA de l’immeuble portant Tf n°420/BS, situé à Mbane. L’immeuble dont la superficie est 7961 ha 46a 52ca est évalué par un expert, le 24 janvier 2023, à 394.423.000.000 francs. Une offre qui dépasse largement le montant de 91 milliards qui lui est reproché.
Mais curieusement, le collège des juges d’instruction a refusé les offres faites par les avocats de Tahirou Sarr. De même que le Procureur général et l’Agent judiciaire de l’Etat. Ils se sont fondé principalement sur le fait que les baux sont des propriétés de l’Etat, sur la régularité des délibérations des sociétés qui ont fait les offres, le cautionnement fait par des tiers, mais aussi des contestations relatives aux évaluations immobilières.
Ce qui a poussé ces derniers à saisir de deux recours la Chambre d’accusation.
La Chambre d’accusation écarte les arguments du juge, du Pg et de l’Aje
Statuant sur ces ordonnances querellées, la Chambre a, dans son arrêt, évacué d’abord la question de la confusion soulignée par les avocats de Tahirou Sarr. La Chambre revient également sur le pouvoir pour le requérant de consentir une hypothèque sur le Tf 420/BS qui est contesté par le juge au motif que c’est une propriété de l’Etat. Selon les juges d’appel, «il ressort de l’article 192 de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés, que peuvent notamment faire l’objet d’une hypothèque ‘’les droits réels immobiliers régulièrement inscrits selon les Règles de l’Etat partie’’» ; or, ajoutent les juges : «selon l’article 19 de la loi n°2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la propriété foncière, le bail emphytéotique fait partie des droits réels susceptibles d’inscription aux Livres fonciers». Ainsi, selon la Chambre, même si c’est la propriété de l’Etat, cela ne fait pas obstacle.
Sur la régularité du procès-verbal des délibérations de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires de Sofico SA du 15 février 2015, «il y a lieu de préciser, conformément aux dispositions de l’article 244 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, l’exactitude ou la régularité d’un procès-verbal de délibérations des organes sociaux ne peut être contestée que par une action en annulation devant le tribunal compétent (…)», tranchent les juges d’appel.
Sur l’engagement de la société Sofico comme propriétaire des biens donnés en garantie, «il convient de noter qu’aucune disposition légale n’interdit que le bien donné aux fins de cautionnement appartienne, non pas à l’inculpé, mais à un tiers, même lorsque ce dernier est une société commerciale, de sorte que la distinction des patrimoines rappelée par le ministère public est sans incidence sur l’appréciation de la régularité du cautionnement effectué par la Sofico pour le compte de l’inculpé», mentionne la Chambre dans son arrêt.
Par rapport aux contestations relatives aux évaluations immobilières la Chambre estime qu’il n’y a pas lieu à motiver une interprétation sur la régularité des rapports d’expertise, dès lors que s’impose la constatation qu’ils se trouvent validés par l’ordonnance aux fins de cautionnement n°65/25 du 28 février 2025.
Quid maintenant de l’absence de communication soulevée par l’Aje et le parquet ? Selon les juges d’appel financier, il n’est pas contesté que l’ordonnance autorisant l’inculpé à cautionner au profit de l’Etat les immeubles en cause a été pleinement exécutée, par l’inscription effective au Livre foncier des garanties y afférentes. Dès lors, poursuit la Chambre, dans son arrêt, l’irrégularité fondée sur l’absence de communication préalable de l’offre de cautionnement au ministère public est devenue inopérante. Ainsi, ni le ministère public encore moins l’agent judiciaire de l’Etat n’avaient jugé nécessaire d’attaquer ladite ordonnance dans les délais légaux, selon les juges. D’où il suit que le moyen n’est pas pertinent, conclut l’arrêt.
Tahirou Sarr remplit les conditions de l’article 140 du CPP pour bénéficier d’une liberté provisoire
La question de la validité du cautionnement en nature a également été tranchée en faveur des conseils de Tahirou Sarr. «Il résulte d’une jurisprudence établie de la Cour suprême, qu’au sens de l’article 140 du Code de procédure pénale, le cautionnement peut être faut en nature par une offre de garantie portant sur des immeubles et effectivement matérialisée par la remise de titre de propriété et l’inscription de la garantie au Livre foncier», précise l’arrêt de la Chambre financière. Il ajoute que cette jurisprudence coïncide avec un de leurs arrêts rendus. «Au demeurant, après avoir autorisé l’inculpé à cautionner les immeubles offerts en garantie, le juge ne peut pas, sauf à anéantir les effets de sa propre décision, invoquer des griefs contre lesdits immeubles, pour remettre en cause la validité du cautionnement en nature effectué par celui-ci», relèvent les juges d’appel de la Chambre. Ils confirment ainsi les arguments de la défense.
Cependant, sur la mise en liberté provisoire, la Chambre d’accusation financière considère qu’elle doit être rejetée. Selon la juridiction d’instruction de recours, Tahirou Sarr a rempli les conditions requises par l’article 140 du Code de procédure pénale pour pouvoir bénéficier d’une liberté provisoire. Toutefois, il est poursuivi pour des montants importants ; dans le premier dossier, il s’agit des faits d’escroquerie portant sur des deniers publics d’un montant de 25.388.944.444 francs et dans le deuxième dossier le montant retenu est de 91.626.628.050 francs.
Les motifs évoqués par la Chambre d’accusation financière pour rejeter la demande de mise en liberté provisoire
Ainsi, selon la Chambre d’accusation financière, «au regard des éléments précis et circonstanciés résultants du rapport de la Centif (…) les signalements d’encaissement de fonds publics de plusieurs milliards, sans base contractuelle prouvée (…), l’utilisation de sociétés appartenant ou détenus majoritairement par l’inculpé comme pourvoyeuse de fonds d’une personne publiquement exposée, en l’occurrence Mouhamadou Ngom dit Farba Ngom, le maintien en détention de Seydou dit Tahirou Sarr, s’avère encore utile et nécessaire». La Chambre évoque les raisons de ce refus. Il nécessite, selon elle, de «préserver des preuves ou indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité, d’autant plus que parmi les chefs d’inculpation retenus figure le blanchiment de capitaux et que, justement, il est fort à craindre que l’inculpé puisse mettre à profit une éventuelle liberté provisoire pour dissimuler une partie de son patrimoine non encore entièrement identifié et faire ainsi disparaître des éléments de preuve compromettants».
Entre autres raisons, les juges soulignent enfin que le trouble ne s’est pas estompé. Pour ces raisons, la Chambre d’accusation financière a confirmé l’ordonnance de refus du juge.
Alassane DRAME