«Les Echos» : Le Parlement de la Cedeao se réunit à Dakar à partir du 12 février. De quoi allez-vous parler lors de la rencontre et qu’en attendez-vous ?
Il est de coutume que le Parlement se réunisse en réunion délocalisée dans un des pays membres. Cette année, nous avons décidé d’organiser un forum à Dakar, pour échanger et discuter sur les défis et enjeux de la libre circulation des personnes et des biens en Afrique de l’Ouest. Il s’y ajoute aussi la problématique de la migration. Aujourd’hui, cela pose des problèmes énormes, parce que nos enfants migrent vers l’Europe et, dans la traversée, certains meurent dans le désert ou dans la mer, d’autres sont kidnappés et même exposés à un esclavage sauvage. Nous avons estimé que, ne serait-ce que cette question de l’esclavage de nos enfants mérite de rassembler toutes les forces vives de la Cedeao et discuter pour trouver les voies et moyens de régler cette question. C’est la raison pour laquelle, le Président Macky Sall en visite en Nigeria, lors de notre dernière session, avait reçu l’onction des députés, d’organiser ce forum à Dakar. La rencontre sera ouverte à la société civile, aux syndicats, aux parlementaires et aux autres institutions, dont les Nations-Unies. Donc, du 12 au 22 février, le Sénégal va être la capitale de la Cedeao. Ce forum, qui sera suivi d’une session extraordinaire du Parlement, nous voulons en faire un grand événement et dans ce cadre, une marche, pas de protestation bien sûr, sera organisée, avec une forte participation des jeunes. Nous quitterons le Cices pour aller remettre un mémorandum au ministre de l’Intégration africaine.
Vous êtes à la tête du Parlement sous-régional depuis un bon bout de temps. Comment appréciez-vous ces premiers mois ?
Nous avons la chance de prendre en charge ce Parlement qui avait beaucoup de difficultés et qui continue à en avoir. Je le dis : si c’était à recommencer, je ne prendrais pas le Parlement, parce que ce n’est que des problèmes. J’ai pris le Parlement avec beaucoup de difficultés…. Mais je me félicite d’avoir en si peu de temps fait beaucoup de choses au niveau de l’Institution. Je me suis battu, en 9 mois, pour que nous ayons des prérogatives renforcées. J’ai réussi à faire en sorte que ma vision et mes ambitions pour le Parlement puissent être acceptées.
Vous parliez tantôt de difficultés, pouvez-vous être plus explicite ?
Il y a des problèmes de toutes sortes. Il y a beaucoup de choses à régler. Je ne vous cache pas que je ne suis pas d’accord avec les gens du Nigeria depuis quelque temps. Nous sommes dans une bataille terrible avec la délégation du Nigeria, qui veut coûte que coûte nous imposer leur vision. Et j’ai refusé. Tant que je serai président, c’est la loi et le droit qui vont prévaloir. Et c’est pourquoi nous avons énormément de problèmes. Ces problèmes continuent parce que j’ai proposé qu’on destitue le secrétaire général qui est du Nigéria, parce que je ne suis pas en phase avec lui dans la vision et la démarche. Et le Nigéria n’est pas content de cette position. Mais nous allons continuer à nous battre, parce que nous croyons que nous avons une entité d’intégration. Il n’y a pas de petits Etats et de grands Etats. Il n’y a que des Etats membres. La délégation du Nigeria est forte de 36 membres, Nous, nous sommes 6 Sénégalais. Mais, avec d’autres nationalités, nous allons faire ce que nous devons faire. En tout cas, moi je ne prendrai pas de directives de quelque chef d’Etat que ce soit au niveau de la Cedeao. Je me refuse ça, parce que j’ai prêté serment de veiller au respect de la loi et des règlements. Même si je dois quitter, je vais quitter, mais il faut que la loi s’applique. Il n’y a pas un seul chef d’Etat qui peut me donner des instructions au niveau de la Cedeao. Je le refuse !
A vous entendre, il y a des chefs d’Etat qui essaient de s’immiscer dans la gestion du Parlement de la Cedeao…
Bien sûr ! Chaque fois qu’il y a des problèmes au niveau de la Cedeao, les délégations essaient de sensibiliser leurs Etats sur ce qui se dit et se fait. Ce sont des réalités que nous vivons. Mais je vis avec ces problèmes. Je suis un homme de défi. Ces problèmes, je les mets de côté et je continue.
Vous êtes un homme politique, député et membre de l’Apr au pouvoir. Ces derniers jours, Idrissa Seck est très critique à l’égard du régime, qu’il qualifie d’incompétent et dont il réduit le bilan quasiment à zéro. Qu’en dites-vous ?
Je ne voudrais pas toujours parler d’Idrissa Seck, car je pense qu’il a échoué. Il a échoué parce que lors de sa première présidentielle, il était à 16%, mais lors de la seconde, il est tombé à la moitié de ces voix. Et peut-être qu’il sera à 2% lors de la prochaine présidentielle. Donc, il n’a qu’à continuer dans cette voie. C’est son rôle de s’opposer au régime qui est en train de faire des choses extraordinaires. Personne ne peut nier qu’il y a des avancées notoires sous l’ère Macky Sall. Mais lui, pendant qu’il était là, qu’est-ce qu’il a fait ? Il n’a qu’à nous faire son bilan ? Il était excellent directeur de Cabinet du Président Wade, qui était maître de l‘univers. Il a été ministre d’Etat, Premier ministre, maire de Thiès, mais il n’a rien fait. Il a échoué pendant toute cette période. Donc, il n’a qu’à continuer à s’opposer au régime, à dire ce qu’il pense. Mais le moment venu, en 2019, les gens voteront, et je suis convaincu qu’ils ne voteront pas pour Idrissa Seck. A la vérité, les gens ne pourront pas voter pour lui tant qu’il ne s’explique pas sur ce qui s’est passé entre lui et Wade. Il y a avait un duel au sommet de l’Etat ; il y a avait un protocole à Rebeuss. Qu’est-ce qui s’est passé entre eux ? Il faut qu’il s’explique. Huit mois en prison et il sort sans procès, sans expliquer aux Sénégalais ce qui s’est passé. Confier un pays, c’est avoir des gens crédibles qui peuvent dire à tout moment la vérité. Quelqu’un qui vole et qui dit qu’i n’a pas volé. Il ment, mais il essaie de tromper tout le monde.
Il y a aussi la question du parrainage que le Président veut imposer pour la prochaine présidentielle, selon l’opposition qui dénonce une volonté de changer les règles du jeu à son avantage, à quelques mois seulement de l’élection…
Des fois, je me demande est-ce qu’au Sénégal les gens veulent la démocratie. Les règles du jeu en démocratie, c’est la majorité et la minorité. Si on cherche une majorité qualifiée aux législatives, c’est pour mettre en place son programme. Est-ce que vous pouvez me parler de standards internationaux en matière d’élection ? Il n’y en a pas ! Aux Etats-Unis, celui qui gouverne avait été battu de plus de deux millions de voix. Au Nigeria, celui qui est président n’a pas 51%, et il est passé au premier tour, parce que c’est la règle. Pourquoi vous voulez refuser que Macky Sall puisse modifier, à travers la Constitution, les règles du jeu, s’il pense que c’est bien pour le Sénégal ? S’il le propose et que la majorité le vote, c’est une loi conforme à la démocratie.
Aujourd’hui, le Président, a pris conscience de ce qui s’est passé aux législatives avec 47 listes, chacune ayant obtenu le cautionnement de l’Etat pour plus de 100 millions, pour des frais. Il y a plus de 30 listes qui n’ont pas de plus fort reste. Ils n’ont pas de député. Vous pensez qu’on doit continuer à laisser des gens se présenter en masse à la présidentielle. On va mettre 200 millions sur ces gens et à la fin, ils n’auront pas 0,5%. Moi j’irai plus loin.
Il faut proposer que celui qui n’a pas 3% à une élection présidentielle, non seulement il perd ce qu’il a cautionné, mais on le multiplie par deux. Il paye ou il va en prison. En plus de cela, il faut que celui qui n’a pas 3% soit interdit de se présenter pendant deux élections nationales, législatives et présidentielle.
Vous n’êtes pas trop sévère? Que faites vous de la démocratie ?
C’est parce qu’il a volé l’agent du contribuable. C’est du vol ! Sachant qu’il ne peut pas être élu, qu’il ne peut même pas avoir 5%, il se présente quand même, avec tout ce que cela coûte au contribuable sénégalais, juste pour se faire un nom et insulter les gens. Moi, si j’étais président, j’allais porter le seuil à 5%. Celui qui n’a pas 5%, pourquoi gaspiller l’argent du contribuable ? Ces gens qui ont été candidats à la dernière élection, il y en a qui ont 0,000… Il faut qu’on règle ce problème. Le président ne doit même pas écouter ces gens-là. Il faut que ces gens soient parrainés par des gens crédibles et bien vérifiables. Mais il faut aussi taper s’ils n’ont pas atteint 5%. Si j’étais à la présidence j’allais porter la caution à 50 millions et celui qui n’a pas 3% paye 100 millions et il est disqualifié pour deux élections nationales. Parce qu’il y a des gens qui savent qu’ils ne seront jamais président. Et ils se présentent tout de même. Vous voulez qu’on continue comme ça, pendant que les 200 millions qu’on mette sur la candidature peuvent financer un dispensaire ou un petit hôpital. Il faut quand même trancher !
Entretien réalisé par Mbaye THIANDOUM