Mamadou Diop Decroix ne sait pas de quel dialogue parle le chef de l’Etat, qui se réjouit de ses conclusions qu’il brandit comme preuve de la réussite de son initiative. Surtout que sur la dizaine de commissions, seule la commission politique a travaillé et n’a déposé qu’un rapport d’étape. Et de botter en touche les propos de Macky Sall, selon lesquels sur 27 points, seuls 2 n’ont pas fait l’objet d’accord. Pour le leader d’AJ/Pads, beaucoup d’autres points mis sur la table par l’opposition n’ont pas eu de consensus ou n’ont pas été du tout discutés, du fait de l’opposition des représentants du pouvoir. Qualifiant de «catastrophe démocratique» la conception du chef d’Etat du dialogue, Decroix incite l’opposition à tourner la page et à se mettre en ordre de bataille.
Après avoir lu le «discours aux allures triomphalistes» de Macky Sall consacré au dialogue politique au Sénégal, Mamadou Diop Decroix n’a eu qu’une seule question en tête : «de quel dialogue parle le président de la République ?» Et quand Macky Sall soutient que dans le dialogue dont il parle, «sur 27 points en discussion, 25 ont déjà trouvé un consensus» et que «les points posés par l’opposition ont été intégralement pris en charge», le leader d’Aj/Pads manque de sauter au plafond. «Je me suis posé la question de savoir si l’opposition et le président de la République parlent du même dialogue. Nous sommes loin du compte, au regard des préoccupations du Front de résistance nationale. Le décalage est énorme entre le discours de Macky Sall et les faits», assène-t-il dans une note qui nous est parvenue hier. Il est d’autant plus surpris par les propos du chef de l’Etat que, «jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, aucune des nombreuses commissions qui ont travaillé pendant de longs mois n’a remis son rapport, hormis la commission politique qui n’a remis qu’un rapport d’étape».
Pas moins de 8 points soulevés par l’opposition sans consensus et dont certains ont été rejetés en bloc par le pouvoir
Poursuivant, Decroix, qui était le porte-parole des partis politiques d’opposition présents à la salle des banquets du palais de la République, le 28 mai 2019, au lancement du dialogue national, de souligner avec force que Macky Sall est loin du compte, s’il affirme que seuls deux points (la question du chef de l’opposition et le cumul chef d’Etat et chef de parti) n’ont pas trouvé d’accord entre les parties. En ce sens, il énumère 8 autres questions qui avaient été mises sur la table par l’opposition, mais sur lesquelles il n’y a eu ni consensus ni accord, le pouvoir refusant même de débattre sur certaines questions. «L’opposition s’est unanimement prononcée pour une Haute Autorité en charge des élections en lieu et place du ministre de l’Intérieur. Cette revendication, fondamentale pour nous, et que le Président a d’ailleurs soutenue dans une autre vie, ne figure même pas dans son énumération. Tout le monde sait le poids énorme de cette question par rapport à tout le reste», rappelle l’opposant. Qui poursuit avec «la restitution de leurs droits civils et politiques à Karim Meïssa Wade et à Khalifa Ababacar Sall» qui était inscrite dans la plateforme de l’opposition, mais sur laquelle le pouvoir a freiné des deux pieds. Entre autres «questions non résolues», selon Decroix, il y a le «parrainage à la présidentielle» qui avait permis d’éliminer une vingtaine de candidats, «l’introduction du bulletin unique» écartée par les plénipotentiaires du pouvoir, «l’audit et l’évaluation du processus électoral et du fichier électoral sur pièce et sur place» qui n’a toujours pas encore démarré, la «mise en place d’un cadre normatif» de l’action politique et citoyenne, ainsi que le «rôle et de la place de la justice» dans le processus électoral.
«Cette conception des rapports entre opposition et pouvoir est une véritable catastrophe démocratique»
Fort de tout cela, Mamadou Diop Decroix s’étonne que Macky Sall et son régime trouvent que «les objectifs du dialogue sont largement atteints». Pour lui, cela est la meilleure preuve de la «conception singulière» que le chef de l’Etat a du dialogue. A l’en croire, pour Macky Sall, «le dialogue a pour vocation la disparition de l’opposition». Et mieux, souligne-t-il, «le Président semble si fier de désigner ses nouveaux alliés anciennement dans l’opposition comme la preuve irréfutable du succès de son dialogue». En définitive, Decroix soutient que «cette conception (qu’a Macky Sall) des rapports entre opposition et pouvoir est une véritable catastrophe démocratique» et une confirmation du «double dialogue» qui lui a permis de débaucher des opposants.
«Les ruses et les calculs politiciens rattraperont tôt ou tard Macky Sall et son pouvoir»
En outre, le patron d’Aj/Pads s’est prononcé sur ce qu’il appelle «l’exercice périlleux auquel Macky Sall s’est livré avec une comptabilité dont il est le premier à savoir qu’elle n’est absolument pas opérationnelle en politique». En effet, quand le chef de ‘Etat affirme qu’avec l’arrivée de ses nouveaux alliés, il va se retrouver avec une majorité de «plus de 85% de l’électorat», Decroix lui rappelle que «la politique, ce sont des êtres humains qui la font et non des moutons et des lapins». Et de lui demander ce qu’il a fait de ceux qui ont voté et fait voter pour des candidats de l’opposition en 2019 et qui sont restés ancrés dans l’opposition ou encore de ceux qui étaient du côté du pouvoir avant novembre 2020 et qui n’y sont plus ?
Convaincu que «les ruses et les calculs politiciens» rattraperont tôt ou tard Macky Sall et son pouvoir, le député invite l’opposition à «tourner la page et s’organiser afin de poursuivre le combat avec détermination et opiniâtreté». Cela, pour «mettre en déroute toutes les stratégies de confiscation future de la volonté du peuple».
Mbaye THIANDOUM