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L’ASTRA : les traducteurs sénégalais à nouveau organisés



L’ASTRA : les traducteurs sénégalais à nouveau organisés
Le samedi 30 juin, les traducteurs sénégalais regroupés dans l’ASTRA, l’Association sénégalaise des traducteurs, ont lancé officiellement leurs activités de défense collective des intérêts de leur profession.

La cérémonie a eu pour cadre l’antenne dakaroise de l’Université Gaston Berger sise à Keur Gorgui, dans le quartier de Sacré Cœur. L’an dernier, la création de l’association avait coïncidé avec la Journée mondiale de la traduction, le 30 septembre.

Dans son mot d'ouverture, le Président de l’ASTRA, Séga Hamady Faye, a brossé un tableau mitigé de la situation actuelle : « Le Sénégal est un pays de traduction et d’interprétation mais il y a beaucoup d'aventuriers » et il a poursuivi en expliquant que « l’ignorance de notre métier par les non professionnels est la raison de la mise en place notre association ».

Il a évoqué la Recommandation de Nairobi « sur la protection juridique des traducteurs et des traductions et sur les moyens pratiques d'améliorer la condition des traducteurs » qui dispose que « Les États membres devraient […] encourager les mesures visant à assurer une représentation efficace des traducteurs et à favoriser la création et le développement d'organisations ou associations professionnelles de traducteurs et d'autres organisations qui les représentent chargées de définir les règles et les devoirs qui doivent présider à l'exercice de la profession, de défendre les intérêts moraux et matériels des traducteurs et de faciliter les échanges linguistiques, culturels, scientifiques et techniques entre traducteurs et entre les traducteurs et les auteurs des œuvres à traduire ». 

Il a aussi évoqué les préjugés négatifs sur le métier de la traduction : « Certains pensent qu'il suffit de connaître deux langues et d'avoir séjourné dans un pays étranger pour se dire traducteur au Sénégal. »

Parmi les projets de l’ASTRA, il a mentionné notamment la traduction du code de la route en wolof et l’établissement de conventions avec des donneurs d'ouvrage comme les organisations internationales établies à Dakar et le Ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur.
De l’ATS d’hier à l’ASTRA du jour

Ce n’est pas la première fois que les traducteurs sénégalais s’organisent, puisqu’auparavant il y avait l’Association des traducteurs sénégalais (ATS) et des anciens de cette association, comme Mme Bougouma Mbaye Fall étaient présents lors de ce lancement des activités de l’ASTRA. L’autre vétéran Ousseynou Niang est membre du comité directeur de la nouvelle association. Pourquoi n’a-t-on pas réactivé l’ATS au lieu de créer une autre structure ? Nous avons posé la question au Professeur Aly Sambou, Secrétaire général  de l’ASTRA.

« La plupart des membres fondateurs de l’ASTRA appartiennent à ce que je qualifie de troisième génération des traducteurs du Sénégal ; ceci fait qu’ils n’ont été véritablement informés de l’existence de l’ATS, qui était inactive depuis plusieurs années, que le jour de la création de l’ASTRA. En plus beaucoup, y compris nos aînés de la première génération, pensent que la création de l’ASTRA vient à point nommé, dans un contexte de renouvellement de tout quasiment : outils d’aide à la traduction, relations traducteur/client, méthode d’enseignement de la traduction, marché de la traduction, etc. »

Le traducteur et interprète de conférence Ousmane Traoré Diagne, membre du Comité d'éthique et de déontologie de l’ASTRA pour qui «aucune organisation ne peut fonctionner sans règle » a traité des critères de reconnaissance des traducteurs : il faut être titulaire d’un diplôme de traduction d’un établissement reconnu ou d’un master et attester d’une expérience d’au moins 5 ans dans la traduction. Des codes de déontologie existent dans d'autres pays, et l’ASTRA s’en inspirera pour établir le sien parce qu’ « il faut que la profession soit valorisée ».

Le Professeur El Hadji Mbengue, le Président d’honneur de l’ASTRA a aussi pris la parole pour faire part de sa longue expérience dans la traduction malgré que sa formation le destinait à l’enseignement. Le premier sénégalais agrégé d’anglais débutera sa carrière par le département d’anglais de l’UCAD et ensuite il traduira les documents de la Banque africaine développement (BAD) pendant un quart de siècle, jusqu’à sa retraite.

Le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur (MAESE) était représenté par Mme Seynabou Diouf, agent de la Division de la traduction de ce ministère qui donne l’agrément aux traducteurs et est un grand donneur d’ouvrage.
 
Beaucoup d’ignorance autour de la traduction et des traducteurs
 
Le traducteur freelance Mamadou H. Kane, Secrétaire général adjoint de l’ASTRA a présenté le nouveau site de l’association et il en a détaillé les fonctionnalités. Il a expliqué qu’il s’agira d’un centre de ressources et de services pour les membres mais aussi pour les clients potentiels qui auront accès la liste des traducteurs membres de l’association. « Nous voulons que ce soit un réflexe quand on cherche un traducteur » a-t-il expliqué.

Ahmadou Gueye, traducteur de l’USAID est revenu sur les préjugés que les gens ont à propos de la traduction. Il entend dire par certains que "anyone can translate", tout le monde peut traduire.
Son collègue de l’USAID, le chef de projet Abdourahmane Diallo le regrette aussi : « Les gens pensent que la traduction est facile mais ce n’est pas une simple transposition de mots et de grammaire. C’est un défi de l’expliquer aux collègues qui ne sont pas traducteurs. N'est pas traducteur qui veut. Le texte est une chose mais il faut aussi tenir compte du contexte et des destinataires du texte ».
La langue de travail de cette agence de coopération au développement des Etats-Unis est l’anglais mais comme le Sénégal est francophone, « tout doit être traduit » et cela fait de cette organisation un important donneur d’ouvrage.  
 
La présentation du site web

Diallo a rappelé ce qu’ignore beaucoup de non traducteurs à savoir que la traduction n’est « pas simplement la traduction des mots, il y a des nuances, des catégories de pensée. Et il y a du jargon ». « La traduction est essentiellement culturelle et il faut comprendre pour traduire» a insisté le traducteur indépendant Ousseynou Niang qui a travaillé pour la Language Service Division de l’USAID en 1992. Il est chargé de la formation au sein de l’association. Il a précisé qu’il est question de veille dans le domaine de la traduction, de la traductique, de la traductologie et non de formation classique.

Il a tenu à tordre le cou à plusieurs préjugés et malentendus sur la profession de traducteur tels que «le traducteur n'a pas besoin de dictionnaires, tous les bilingues sont des traducteurs, les machines vont bientôt remplacer les traducteurs, le traducteur peut travailler n'importe où, etc. » Il a estimé pour cette raison qu’  «il y a toute une éducation des donneurs d'ouvrage à faire » et que le nouveau métier de traducteur-conseil a fait son apparition pour répondre à ce besoin.
 
Les langues nationales, le marché et les jeunes
 
L’ASTRA prend en compte les langues nationales et pour M. Niang,  «  il faut se préparer à cette niche ». Au sujet de la place de ces langues dans l’enseignement, M. Niang a donné son point de vue : « Ceux qui sont alphabétisés dans leur langue maternelle maîtrisent mieux l’apprentissage des autres langues. Nous traduisons tout le temps de notre langue maternelle vers les autres ».

Daouda Gassama, traducteur indépendant a eu pour tâche de partager les résultats d’une étude de marché menée en 2014 dans le cadre d’un mémoire pour l’obtention du master sous la direction du professeur Aly Sambou. Il a abondé dans le sens des orateurs antérieurs à savoir qu’ « Au Sénégal est traducteur qui le veut ». Selon lui « l’absence de réglementation est due à l’absence de statut » et il a déploré qu’il soit impossible d'être assermenté dans certaines régions du Sénégal.

Le marché de la traduction au Sénégal est en expansion, d’après cette étude en raison de la présence croissante des organisations régionales et d’une classe moyenne grandissante. Il y a aussi une forte demande en localisation pour les produits audiovisuels. M. Gassama a invité son audience « capter le marché » prometteur.

Dans la synthèse de la journée Mme Carole Diop, Vice-présidente de l’ASTRA  a tenu à clarifier que l’objectif de l’association des traducteurs est de «  protéger le métier et pas le marché ». Un jeune traducteur indépendant s’était demandé si l’ASTRA n’avait pas pour mission de protéger les dinosaures déjà bien établis dans la profession et sur le marché sénégalais. Aux jeunes traducteurs indépendants présents, il a été conseillé de faire leur marketing, de se faire agréer auprès des ministères et de ne pas attendre d’être recrutés par de grandes institutions internationales parce que ce n’est pas le premier objectif des formations de traducteur.

D’après M. Daouda Gassama qui présentait l’étude sur le marché de la traduction au Sénégal, 71% des offres d’ouvrage viennent du bouche à oreille. Les indépendants, aussi appelés freelances, doivent donc faire leur propre promotion pour obtenir des marchés. Les jeunes diplômés encore plus que leurs aînés.
 
Placide Muhigana
LES ECHOS


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