Alors que le calme est revenu à Conakry, les langues commencent à se délier sur les raisons « sous-terraines » du coup d’État contre Alpha Condé. Il est vrai que l’octogénaire s’était mis à dos bon nombre de ses compatriotes pour avoir « forcé un troisième mandat ». Non content de s’être représenté pour un mandat de trop, Alpha Condé n’a pas hésité à utiliser la force pour réduire au silence ses opposants dont certains ont été envoyés en prison. Liberté qu’ils n’ont retrouvée qu’avec l’arrivée des militaires au pouvoir. Mais ces raisons ne seraient pas les seules.
Sans être affirmatif, Confidentielafrique lu à Dakaractu explore la piste du lien entre le putsch de dimanche dernier et les milieux d’affaires impliqués dans la gestion des ressources naturelles du pays. Dans un article paru le 6 septembre et intitulé « Guinée : Les derniers rebondissements explosifs du putsch qui a déposé du pouvoir le Président Alpha Condé », le journal en ligne écrit que le magnat israélien Beny Steinmetz avait juré d’obtenir la tête du Président Condé. Ce, après avoir été exproprié des deux blocs des minerais de fer de Simandou.
Il serait hasardeux d’attribuer la responsabilité de la chute de l’ancien opposant à l’homme d’affaires franco-israélien Beny Steinmetz. Mais il ne souffre d’aucun doute que les deux hommes n’ont jamais été en odeur de sainteté. C’est avant son avènement au pouvoir qu’Alpha Condé a été travaillé par le puissant George Soros pour faire la lumière sur les contrats d’exploitations minières. « J’ai rencontré George Soros avant mon élection. Je lui ai exposé mon programme. Cela l’intéressait. Il m’a répondu qu’il ne financerait pas ma campagne mais que, si je gagnais les élections, il m’accompagnerait pour m’aider à appliquer mon programme anti-corruption. George Soros finance la fondation de Tony Blair, Africa Governance Initiative, qui épaule mon gouvernement pour lui permettre de mieux s’organiser. Par ailleurs, George Soros me conseille, à l’aide d’experts, pour que je défende au mieux les intérêts de la Guinée. Mais il n’a aucune intention d’investir dans le domaine. Il ne soutient aucune société minière et son organisation, Revenue Watch, se montre intransigeante sur la transparence. Mais c’est une ONG. Et je représente un État. Je ne suis pas obligé de suivre ses recommandations », avoue l’ancien président de Guinée dans un entretien avec Letemps.ch revisité à Dakaractu.
Un gisement de plusieurs milliards de tonnes de minerai de fer
Arrivé au pouvoir après une période de transition assurée par le Général Sékouba Konaté, Alpha Condé met la machine en branle pour redonner à la Guinée ce qui lui appartient. Le concours de la justice Suisse est demandé contre Beny Steinmetz et sa société BSGR (Beny Steinmetz Group Ressources) en Suisse pour corruption. Le milliardaire franco-israélien doit s’expliquer sur les conditions de l’obtention des blocs 1 et 2 de Simandou.
Selon l’accusation, il serait passé par la quatrième épouse du défunt président Lansana Conté, l’ancienne miss Guinée Mamadie Touré pour mettre la main sur ces mines pour lesquelles il n’a casqué que 163 millions de dollars. « Des clopinettes pour un gisement qui héberge des milliards de tonnes de minerai de fer », écrit Agenceeconfin visité par Dakaractu. Le journal ajoute : « D’ailleurs Beny Steinmetz réussira à le céder quelques années plus tard au Brésilien Vale pour 2,5 milliards $, tout en conservant 49% d’intérêts dans le projet. Une opération qui valorise donc les deux blocs en question à 5 milliards $ environ ».
« Toutes les dépenses, hormis ces 165 millions d’investissements, ont été réalisées par Vale, qui a confirmé avoir réalisé les études et l’ensemble des investissements. En fait, BSGR aurait peut-être investi jusqu’à 165 millions de dollars dans Simandou 1 et 2, et a revendu la moitié de sa part pour 2,5 milliards de dollars. Est-ce acceptable? Il ne faut pas se moquer du monde! », martèle l’ancien président selon lequel « les blocs 1 à 4 permettent une exploitation de 50 à 100 ans, voire davantage ».
Se sachant acculé, Beny Steinmetz active ses réseaux pour jouer à attendrir Alpha Condé. C’est ce qui explique les séjours répétitifs de Nicolas Sarkozy en Guinée. Mais l’ancien président français qui portait un message de son ami n’a pas su convaincre Condé comme l’écrit Confidentielafrique. Lors de sa dernière visite, Sarkozy serait rentré bredouille.
Conflit d’intérêt ?
De toute façon, les deux blocs sont tombés dans l’escarcelle du consortium sino-guinéo-singapourien SBM Winning dirigé par le franco-guinéen Fadi Wazni depuis novembre 2019. Mais dans quelles conditions ? « Les choses n’étaient pas jouées d’avance, bien au contraire. Nous avions face à nous le numéro un mondial du minerai de fer, le brésilien Vale, qui avait retiré un dossier de candidature – même s’il n’a finalement pas déposé d’offre –, ainsi que le géant australien Fortescue Metal Group (FMG), le 4e de la filière. Si nous l’avons emporté, c’est parce que nous avons mis les moyens pour répondre le mieux possible aux exigences des autorités, avec une équipe de cinquante personnes travaillant sur le dossier », répond l’intéressé à Jeune Afrique. Sauf que les choses ne semblent pas aussi simples.
Le Colonel Doumbouya rassure les compagnies minières
Alpha Condé qui s’est présenté comme le soldat de la lutte contre la corruption au début de son premier mandat serait-il lui-même tombé dans les travers de cette pratique qui ralentit le développement de beaucoup de pays africains ? C’est que soupçonnait en tout cas un collectif de guinéens de la Diaspora qui ont dès août 2020 décidé de déposer une plainte contre le président guinéen, son fils Mohamed Condé, le franco-guinéen Fadi Wazni et Kabinet Sylla dit Bill Gates pour trafic d’influence, prise illégale d’intérêt, corruption, enrichissement illicite et abus de biens sociaux.
Ledit collectif demandait en même temps l’ouverture d’une enquête sur « les actes du président Alpha Condé et ses proches dans le cadre des conventions d’exploitation minières (AMR, Chalco, SMB Winning, TBEA) et des partenariats public-privé (PPP) ». Même s’il a promis aux chefs d’État de la Cedeao de relâcher Condé dans les prochains jours, le Colonel Doumbouya pourrait être tenté de le livrer à la justice. C’est d’autant plus envisageable après la découverte présumée d’un coffre-fort appartenant à l’ancien président et dans lequel sommeillait une forte somme d’argent en devises étrangères.
Reste maintenant à savoir quel sort réserver à SBM Winning s’il est avéré qu’il a bénéficié de l’appui du clan Condé pour obtenir les blocs très convoités de Simandou. Tout est possible. Pour le moment, le chef des forces spéciales a rassuré les compagnies minières en leur demandant de poursuivre leurs activités.