Dans le contexte actuel de baisse des financements internationaux accordés au Vih, le développement des Csu (la Couverture sanitaire universelle) est perçu par l'Onusida comme une opportunité pour financer l'accès aux soins liés au Vih. Aucune stratégie n'ayant été définie au niveau international pour intégrer cette donne dans les dispositifs de Csu, chaque pays compose en fonction de l'organisation de son système de santé. Dans les pays qui se sont engagés dans la mise en place de la Csu, quelles stratégies sont efficaces ? Permettent-elles d'améliorer l'accès aux soins des Pvvih ? Une étude a été menée au Sénégal pour analyser l'impact de la Couverture sanitaire universelle sur les dépenses de santé des personnes vivant avec le Vih.
La Csu au Sénégal
Au Sénégal, sur les 39.000 personnes vivant avec le Vih, environ 30.000 (77%) prennent des antirétroviraux. Les médicaments et certains examens biologiques sont gratuits, mais une partie des soins liés au Vihreste à la charge des patients.
En 2013, l'État sénégalais a initié la mise en place d'une couverture sanitaire universelle, nommée Couverture médicale universelle (Cmu). L'objectif est de fédérer et d'étendre différents mécanismes : les dispositifs destinés aux fonctionnaires et aux salariés du secteur privé (environ un tiers de la population active), les soins gratuits pour certaines populations ou certaines maladies, et l'affiliation à des mutuelles de santé.
En 2021, il existe plus de 600 mutuelles de santé communautaires, qui ont été créées sur le principe «un/e village/commune, une mutuelle». L'État subventionne 50% du montant des cotisations annuelles et la totalité pour certaines catégories de population vulnérable. Les gratuites des prestations concernent les personnes âgées (Plan Sésame), les enfants de l'âge de zéro à cinq ans, les femmes enceintes (césariennes) et la prise en charge de certaines pathologies (Vih, tuberculose, insuffisance rénale).
Cesgratuités sont en réalité partielles : elles concernent un paquet limité de services, avec des restrictions sur les lieux de délivrance (respect de la pyramide sanitaire), le type de médicaments (médicaments essentiels génériques) et de prestations (parfois limité aux consultations).
Dans le cadre du Vih, la gratuité ne concerne que les Arv et certains examens biologiques, mais le dispositif actuel devrait permettre à certaines populations (jeunes enfants, personnes âgées) et aux personnes bénéficiant d'une couverture sanitaire, d'assurer la prise en charge des soins.
Une étude dans le cadre d'UnisSahel
Dans le cadre du programme multipays UnisSahel, financé par l'Agence française de développement (Afd) et mis en œuvre par l'Institut de recherche pour le développement (Ird), l’étude a cherché à évaluer l'impact de la Cmu sur la réduction des dépenses de santé des personnes vivant avec le Vih(Pvvih).
Entre 2018 et 2019, des enquêtes ont été déclenchées dans 25 des 183 sites de prise en charge du Vih du Sénégal. Elles ont concerné les trois groupes de Pvvih : des adultes (344) suivis dans un service spécialisé pour le Vih à Dakar (le Crcf – Centre régional de recherche clinique de Fann). Des adultes (60) s'auto-identifiant comme hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes [Hsh], suivis dans des structures de santé de six régions du Sénégal. Des enfants (130) suivis dans des centres de santé et des hôpitaux régionaux de cinq régions du Sud du pays.
Les informations gérées au sortir d'une consultation de routine ont permis de calculer le montant du «reste à charge» du patient, celui-ci étant défini comme «la partie de la dépense de santé que les personnes ont à payer directement lors des soins, après intervention de l'assurance maladie, de l'État ou des organismes d'assurance maladie complémentaire».
Les consultations de routine pour les Pvvih ont lieu généralement tous les trois mois, quelle que soit la structure de santé et la localité. Elles comprennent la consultation par le médecin ou l'infirmier, la dispensation des Arv (gratuits), éventuellement la prescription d'examens biologiques et en cas de maladie, d'autres examens paracliniques et des ordonnances de médicaments.
L'étude montre une faible proportion de Pvvih bénéficiant d'une couverture médicale (mutuelle de santé ou assurance) ou d'une gratuité (Plan Sésame ou dispositif 0-5 ans) des personnes enquêtées : 26 % chez les adultes suivis au Crcf, 18% pour les Hsh et 44% pour les enfants.
Pour les Pvvih adultes, on note un faible taux d'adhésion aux mutuelles communautaires (de 5 à 10% d'entre elles), principalement lié à la crainte du dévoilement de leur séropositivité et aux stratégies de nombreux gestionnaires de mutuelles communautaires consistant à dissuader l'adhésion de personnes présentant des maladies chroniques de peur d'un déséquilibre financier.
Une faible utilisation des services
Toutes les personnes disposant d'une couverture sanitaire n'en font pas systématiquement usage pour diverses raisons : la complexité des procédures (nécessité d'aller chercher au préalable une lettre de garantie au siège de la mutuelle) ; la distance entre l'hôpital et les bureaux de l'organisme de prise en charge ; le principe de la pyramide sanitaire (les mutuelles de santé ne prennent en charge que les soins effectués dans les centres de santé alors que les Pvvih sont souvent suivies dans des hôpitaux) ; la crainte du dévoilement de leur maladie par les organismes de remboursement.
De plus, les médicaments pris en charge partiellement ou en totalité par ces organismes sont les médicaments essentiels fournis par l'État, souvent en pénurie dans les pharmacies des structures sanitaires publiques. Les patients doivent alors se fournir dans des officines privées en médicaments de spécialité peu ou pas remboursés.
Un reste à charge élevé
Les enquêteurs révèlent que le reste à charge médical moyen d'une consultation de routine est compris entre 4000 fCfa (pour les enfants et les adolescents) et 19.000 FCfa (pour les adultes et les Hsh). À ce montant, il convient d'ajouter les frais de transport. Le reste à charge moyen total pour une consultation de routine, comprenant les frais de transport, varie entre 7000 fCfa à 32 euros (20.000 FCfa) par consultation.
Ce montant s'avère très élevé en proportion des ressources des patients. En effet, au Sénégal, la dépense quotidienne moyenne est de 2,12 euros (1300 FCFa) par personne par jour. De plus, près de 38% de la population vit avec 1,39 euro (800 FCfa) par personne par jour, qui représente le seuil de pauvreté national calculé en 2019.
Le reste à charge moyen d'une consultation représente donc de 8 à 23 jours de dépense quotidienne. Cette dépense entre en concurrence avec les besoins de base alimentaires, notamment, ceux qui captent habituellement la moitié des ressources des ménages.
Un faible impact de la Cmu chez les enfants
Chez les enfants de l'étude, la couverture sanitaire est théoriquement assurée par deux mécanismes : la gratuité pour ceux âgés de 0 à 5 ans, ou l'affiliation à des mutuelles de santé communautaire.
Les enquêteurs n'ont pas observé de différences significatives dans le montant du reste à charge, que les enfants bénéficient ou non d'une mutuelle de santé ou de la gratuité liée à l'âge. Cela s'explique essentiellement par la faiblesse de l'offre de soins dans les structures de santé décentralisées et la limite des prestations prises en charge par le dispositif de la Cmu.
Samba THIAM