
Au Sénégal, la tontine est bien plus qu'un simple moyen d’épargne : elle incarne un principe de solidarité collective profondément enraciné dans la culture. Mais l’ère du numérique a transformé cette pratique, notamment via les réseaux sociaux, où des milliers de Sénégalais se regroupent. Si cette évolution a permis à certains de réaliser des projets, elle a également créé de nouvelles failles que certains n’hésitent pas à exploiter. Les arnaques sont de plus en plus fréquentes, et les victimes se multiplient.
Les tontines au Sénégal remontent à plusieurs dizaines d’années. Elles faisaient partie d'un système de financement basé sur la confiance et la solidarité. Les membres d’un groupe se retrouvaient périodiquement pour déposer une somme d'argent, avec l’assurance que chacun pourrait, à son tour, bénéficier d’un montant conséquent. Ce système a permis à des générations de Sénégalais de financer des projets familiaux ou communautaires, allant de l’achat d’un véhicule à l'organisation d’un mariage.
Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, les tontines ont pris une nouvelle dimension. Les plateformes numériques ont permis d’élargir la portée de cette pratique au-delà des communautés locales. Cependant, cette modernisation n’est pas sans risques, et les dérives sont fréquentes.
Sur Tiktok, difficile de faire un tour sans tomber sur des annonces de tontines : argent, voitures, terrains, cheveux naturels… Et, dans la plupart des cas, ce sont des personnes influentes qui les organisent. Malheureusement, tout ne se passe pas toujours comme prévu.
Les dérives : cas de Papichou et de la fille de Fatou Laobé
Papichou, un nom désormais bien connu de ceux qui suivent les e-tontines sur Tiktok, est un artiste populaire en ligne. Il a organisé plusieurs tontines numériques. Ses vidéos attiraient des dizaines, voire des centaines de personnes, prêtes à investir de grosses sommes. Charismatique, son discours basé sur la solidarité et la réussite était très convaincant. Beaucoup y ont cru, espérant un retour rapide sur investissement.
Mais un jour, tout a basculé. Des participants ont commencé à s’interroger sur les retards de paiement. «Je n’ai pas vu un seul centime de la tontine à laquelle j’ai participé», raconte Ousmane Diaby, l’une des victimes. «Au début, tout semblait normal. Il était actif sur ses réseaux, tout le monde en parlait.»
Mais peu à peu, les messages se sont raréfiés, les excuses se sont multipliées, et personne n’a rien reçu. Papichou a disparu, laissant derrière lui des centaines de personnes furieuses et désemparées. «J’ai investi une somme que je n’aurais jamais dû mettre dans ce genre de système», confie Fatou Seck. «Je croyais en lui. Je pensais que c’était juste un souci d’organisation. Mais j’ai été trahie. À la fin, j’ai compris que personne n’avait été payé.»
L’affaire a fait grand bruit, poussant certaines victimes à saisir la police. Si quelques-uns ont récupéré une partie de leur argent, les chances de remboursement complet restent faibles.
Mamadou, commerçant à Dakar, a fait lui aussi partie des victimes. «J’avais entendu parler des e-tontines, mais j’étais sceptique. Puis un ami m’a montré qu’il avait gagné de l’argent avec Papichou. Convaincu, j’ai commencé à verser 50.000 F Cfa par mois. Mais personne dans le groupe ne savait qui avait été payé. C’est un message d’une participante qui nous a ouvert les yeux : on s’est fait avoir. J’ai appris à mes dépens que tout ce qui brille sur Internet n’est pas de l’or.»
Le cas de la fille de Fatou Laobé
Autre affaire retentissante : celle de la fille de Fatou Laobé, une figure bien connue dans le milieu des tontines en ligne. Profitant de la notoriété de sa mère, elle a lancé une e-tontine promettant des gains importants, voire des voitures, en peu de temps. De nombreuses personnes ont versé de grosses sommes, séduites par les témoignages et les vidéos. «Je n’aurais jamais cru qu’un membre de sa famille pourrait faire ça», raconte Aïcha. Une fois l’argent versé, plus de nouvelles. Les délais ont été dépassés, les messages sont restés sans réponse, et l’organisatrice a disparu. Encore une fois, les espoirs se sont transformés en désillusion. C. Ndiaye, première victime à porter plainte pour escroquerie, a perdu 14 millions de F Cfa. Grâce à sa plainte, la fille de la chanteuse a été arrêtée. Elle est aujourd’hui entre les mains de la justice.
Si certains préfèrent confier leur argent à des proches pour une plus grande «sécurité», d’autres se laissent tenter par les gains promis, même sans garanties. C’est le cas de Aminata, mère de famille à Saint-Louis. «Je voulais financer un projet pour mes enfants. L’organisatrice avait une grosse communauté sur Tiktok et des témoignages à gogo. J’ai commencé à verser 25.000 F Cfa par mois. Puis, plus rien. Ses réseaux étaient inactifs, elle a disparu. J’ai vu des vidéos de personnes arnaquées, mais c’était trop tard. Je me suis sentie piégée.»
Les e-tontines, bien qu’elles aient modernisé un système ancien de solidarité, ont aussi ouvert la porte à des arnaques de plus en plus sophistiquées. Portés par l’espoir d’une aide rapide, des centaines de Sénégalais se retrouvent aujourd’hui victimes de promesses non tenues. Le numérique, s’il facilite les connexions, amplifie aussi les risques. Face à ces dérives, la prudence doit plus que jamais être de mise.
Khadidjatou D. GAYE