Le président de la Ligue sénégalaise de football, par ailleurs premier vice-président de la Fédération sénégalaise de football, Mohamed Djibril Wade, calme le débat sur les primes. Selon lui, les débats doivent se passer en «Comité exécutif mais pas sur la place publique». Ce dernier, pour montrer le bon exemple, a réinvesti les 50 millions de primes qu’il a reçus dans sa commune en venant en aide aux femmes, jeunes, daaras et mosquées.
Les Echos : Président, comment avez-vous vécu les deux campagnes, électorale et celle de l’équipe nationale du Sénégal ?
Djibril Wade : Personnellement, je l’ai vécu difficilement. J’étais dans un contexte difficile parce que j’étais sur deux fronts. Le premier, c’est que je suis devenu maire accidentellement. Le mouvement sportif m’avait porté à mon poste d’adjoint au maire de la commune de Biscuiterie. Par la suite, le maire est décédé et j’ai été porté à la tête de la mairie. Je devais encore me présenter à la demande de la population. J’étais donc dans une campagne intense en même temps que la Coupe d’Afrique. Maintenant, vous savez, depuis que les Lions aient été accueillis en 2019 avec les jeunes qui chantaient «Amoul décourager», ça m’a rappelé beaucoup de choses. Ces genres de choses venaient souvent du mouvement Navétane. Mon équipe est née de cet engouement. Ça montre que l’aboutissement de la prochaine campagne sera une issue heureuse. Pour gagner en football, il faut se préparer et c’est ce qu’on a fait ici au Sénégal. L’équipe fédérale s’est investie pour gagner cette Coupe d’Afrique. La longévité du coach Aliou Cissé aussi peut expliquer ce résultat. Parce qu’on apprend toujours de ses erreurs. La réussite est la somme des erreurs. Le parcours de l’équipe et du sélectionneur le prouve. En plus, le président de la République avait donné le mot d’ordre qui était d’aller prendre la coupe. Tout le monde était donc derrière l’équipe. C’est cette force qui a fait qu’on a été sacré cette fois-ci. Heureusement, malgré toutes les difficultés qu’on a eues avec les blessés et les cas de Covid, on a pu s’en sortir. Si vous voyez l’équipe, il n’y a pas plus de 5 joueurs qui ont fait tous les matchs. C’étaient Abdou Diallo, Saliou Ciss, Bouna Sarr et Sadio Mané, si je ne me trompe.
Selon vous, que peut apporter ce sacre au football sénégalais, surtout sur le plan local ?
On n’imagine même pas combien ce sacre peut booster le football sénégalais. On a un grenier de jeunes talents dans ce football sénégalais. C’est ce que Abdoulaye Diaw disait : «le Sénégal est un pays de footballeurs mais pas un pays de football». Il est temps qu’on fasse du Sénégal un pays de football. C’est-à-dire avoir un bon championnat. Penser à augmenter la masse salariale des joueurs. Avoir au moins 8 grands clubs bien organisés. Des clubs comme l’AS Pikine, le Casa-Sports, le Jaraaf de Dakar, Teungueth, Linguère, Ndiambour ou encore le Stade de Mbour qui sont dans les dispositions de devenir de grands clubs. Il leur faut quelques petits moyens pour qu’ils mettent sur pied leurs centres de formation. Au niveau de la formation en Afrique, on fait partie des meilleurs. Nous produisons les meilleurs joueurs africains. Nous avons le plus grand nombre de produits à l’extérieur. On exporte beaucoup de joueurs. Donc organiser le football sénégalais, c’est d’abord le football local, avoir un bon championnat avec des joueurs d’un bon niveau. On doit pouvoir payer à des joueurs de 2 à 20 millions dans ce championnat d’ici 5 ans. Ce sacre du Sénégal doit être le déclic qui doit booster le football sénégalais et lui permettre de prendre son envol. Si l’Etat parvient à rétablir ou mettre en place les infrastructures sportives, on sera sur le bon chemin.
Justement, côté infrastructures, que pensez-vous qu’il faut faire?
Vous savez, la locomotive qui tirait le train du football sénégalais qui se trouve être Dakar est en panne, avec le stade Demba Diop qui ne fonctionne plus. Si on arrive à le refaire fonctionner, le football sénégalais peut en redorer son blason. Pour aller à Demba Diop, les gens qui habitent en centre-ville peuvent même marcher pour aller voir les matchs. Ensuite, il y a le Stade Maitre Babacar Sèye, ce serait une chose extraordinaire qu’on en fasse un stade gazonné de 10.000 à 15.000 places. Si on avait des stades comme le stade Lat Dior dans 3 ou 4 régions, le football sénégalais pourrait beaucoup plus s’exprimer. Au Cameroun, en tant que président de la Ligue sénégalaise de football professionnel, j’ai rencontré les dirigeants qui m’ont fait comprendre que l’Etat camerounais met 900 millions dans le championnat local cette année, la fédération met 300 millions. Si au Sénégal on avait les infrastructures qu’il faut et que les sponsors reviennent, on va avoir un championnat intenable.
Pour en revenir à la cérémonie de remise de primes et de distinctions à la délégation sénégalaise de retour de la Can, la presse informe que vous avec boudé la cérémonie, qu’en est-il exactement ?
Personnellement, ce n’est pas par rapport à l’argent que je suis parti. Je suis le premier vice-président de la Fsf et le président de la Ligue professionnelle et quand je suis arrivé, on m’a remis une carte d’invitation qui n’était pas ma place. Je devais m’assoir là où les fédéraux et joueurs étaient. Dans ma tête, je me suis dit que même si je ne suis pas primé, mais que je sois premier vice-président, c’est là que je devais m’assoir. Aussi, si on devait me primer et que je ne sois pas membre de la Fédération, c’est là-bas que je devais m’asseoir. Non seulement je remplissais les deux conditions, mais ensuite je ne pouvais pas passer le temps à appeler les gens pour une place. Je ne suis pas ce genre de personne. Je me suis tout simplement éclipsé. Maintenant, je n’accuse personne pour ce que je prends juste comme une erreur. Je n’ai pas boudé, je n’ai pas été éduqué comme ça. Je suis de la famille Wade, Abdoulaye Wade est mon père, il a fait 12 ans de pouvoir et personne ne m’a jamais vu avoir ce genre de comportement ; donc ce n’est pas maintenant que je vais le faire. Après ça, j’en ai discuté en privé avec Augustin et on s’est compris.
Il y a aussi les sorties de vos collègues fédéraux qui s’accusent, que pensez-vous de cette situation qui a créé un tollé ?
Je ne vais pas juger mes pairs. Ce que je peux dire, c’est que c’est une première, ce qui s’est passé. Pourtant, on n’avait rien gagné lors de la Coupe du monde, alors que les gens avaient reçu plus d’argent. Et pourtant, il n’y a pas eu de tollé. C’était la même chose pour la Coupe d’Afrique. Alors que le président de la République n’avait pas donné de primes, les gens ont reçu plus de 50 millions. Personne n’en a parlé. Je dirais ce que j’ai à dire en Comité exécutif, mardi, mais pas sur la place publique. Chacun à sa façon de faire.
Il parait aussi que vous avez redistribué votre prime dans la commune de Biscuiterie dont vous êtes le maire ?
C’est exact, j’ai divisé les 50 millions en deux parties. J’ai donné les 10 millions aux femmes de Biscuiterie. J’ai donné 10 millions à NGB, à la jeunesse. Et en fin j’ai donné 5 millions aux Daaras de la commune. Maintenant pour les 25 millions restants, je compte voir comment aider les mosquées et autres.