Arraché à notre affection dimanche, Babacar Touré repose désormais et à jamais à Touba, terre de son guide, Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Auparavant, une foule immense de confrères, parents, amis, anonymes, a tenu à prendre part à la levée du corps à la morgue de l’hôpital Principal de Dakar.
La morgue de l’hôpital Principal où est décédé la veille le fondateur de Sud communication a refusé hier du monde. La famille, les confrères, les amis de tous bords… tout le monde avait tenu à assister à la levée du corps de Babacar Touré. Le gouvernement a aussi envoyé trois ministres : Abdoulaye Diop, Samba Sy et Seydou Guèye. D’autres personnalités de l’Etat et de la classe politique étaient aussi présentes. L’ambassadeur de la Guinée-Conakry de son grand ami Alpha Condé était également sur place.
«Parmi ses dernières volontés, figurait le fait que sa dépouille soit hors de portée des caméras»
«Le défunt a eu à séjourner au Service de réanimation de l'hôpital Principal de Dakar où il a été bien pris en charge», a fait savoir le porte-parole de la famille. Qui ajoute que «parmi ses dernières volontés, figurait le fait que sa dépouille soit hors de portée des caméras». Une volonté respectée par les nombreux reporters venus couvrir la cérémonie. Il a aussi rappelé que Babacar Touré aimait profondément son travail. Le ministre de la Culture, au nom du chef de l’Etat empêché, car participant au sommet de la Cedeao (vidéoconférence), a rendu hommage au défunt. «Il (Macky Sall) m’a parlé ce matin de ses relations avec le défunt. Il m’a dit combien il a participé à la consolidation de la démocratie au Sénégal. Combien il était engagé…», a déclaré, entre autres, Abdoulaye Diop.
Après la levée du corps, le cortège funèbre s’est ébranlé vers Touba, où il a été inhumé. Et c’est le Khalife général en personne qui l’a accueilli. En effet, le défunt était très lié à la famille de Serigne Bassirou Mbacké, qui était le guide de ses propres parents. A leur décès, il a entretenu la relation, en étant talibé de feu Serigne Abdou Akim Mbacké, jeune frère de l’actuel khalife.
Décédé hier à l’âge de 69 ans, Babacar Touré est l’un des plus illustres journalistes et patrons de presse sénégalais. Sa renommée dépassait largement le Sénégal, comme en témoignent ses nombreuses relations à l’étranger, notamment avec des grandes personnalités et autorités comme des chefs d’Etat qui lui faisaient confiance et qu’il avait connus en grande partie avant même leur accession à la magistrature suprême dans leurs pays respectifs.Mbaye THIANDOUM
REACTIONS…REACTIONS…REACTIONS
ALASSANE SAMBA DIOP : «Il m’a remis 4 millions pour que je remette ça à la famille d’une fille qui avait une préinscription au Japon»
«Quand on était au Groupe futurs médias, le journal L’Observateur avait fait un article sur une fille de Kaolack, Adji, une orpheline, qui avait réussi au Bac et qui avait une préinscription pour aller étudier au Japon. Mais elle n’avait pas les moyens pour s’y rendre. Quand Babacar Touré a lu l’article, il m’a appelé pour que je cherche les coordonnées de la famille. Il a pris 4 millions de sa poche qu’il m’a remis pour que je remette ça à la famille. Au moment où je vous parle, la famille ne sait pas que c’est Babacar Touré qui l’a fait parce qu’il a refusé que je donne son identité. Des fois, je lui disais qu’il faut que j’informe la famille que c’est lui qui avait offert les 4 millions, mais il m’interdisait formellement de le faire. Aujourd’hui, je tiens à la dire pour que Adji, qui est au Japon sache que c’est Babacar Touré qui lui a permis d’être là-bas. Voilà l’homme Babacar Touré. Et il y a beaucoup d’autres gestes similaires, qu’il a faits dans la presse et ailleurs. (…). Sur le plan professionnel, c’est autre chose. Je connais aussi ses relations avec Albert Bourgi. Je connais ses relations avec Alpha Condé, parce que je les ai trouvés ensemble en Guinée. Alpha Condé, quand il était opposant, il a eu des déboires en Guinée. Il a été arrêté par Lansana Conté. Par la suite, il s’est réfugié à l’ambassade du Sénégal en Guinée. C’est Babacar Touré qui a réglé l’avion avec Abdou Diouf pour aller chercher Alpha condé et le ramener au Sénégal. Ibrahima Boubacar Keïta (qu’il a connu opposant) était aussi son ami. (…). Babacar, c’était autre chose. Babacar Touré était une personne immense. C’était un grand.»
KHADIM SAMB : «Il détestait l’injustice. Il avait dit à Diouf que tant que Me Wade n’est pas sorti de prison, on n’allait pas inaugurer Sud»
«Babacar et moi, nous avons cheminé pendant 40 ans. C’était un grand Africain, un grand Sénégalais. Un homme qui a toujours cru en lui. Il détestait l’injustice. Il avait dit à Diouf que tant que Me Wade n’est pas sorti de prison, on n’allait pas inaugurer Sud. (…). Babacar Touré avait beaucoup de respect et de considération pour la presse et les journalistes. Il s’est toujours battu pour la dignité des journalistes. Il n’a jamais accepté qu’on manque de respect ou de considération à un journaliste. Mais aussi, il n’a jamais voulu qu’un journaliste donne une fausse information. Il disait toujours qu’un journaliste, sa force, c’est sa plume et sa vérité. Babacar était un homme très social. C’est quelqu’un qui aidait les mosquées. C’était un vrai talibé de Serigne Touba, mais il avait de très bonnes relations avec toutes les familles religieuses».
IBRAHIMA BAKHOUM : «Tout le monde savait que c’était l’ami de Abdou Diouf, mais ça n’a jamais empêché les gens du Ps de dire que Sud était contre le Ps»
«Une profession qui perd quelqu’un comme Babacar Touré, elle perd un repère. Il était un incorruptible. Tout le monde savait que c’était l’ami de Abdou Diouf, mais ça n’a jamais empêché les gens du Ps de l’époque de dire que Sud était contre le Ps. Parce que simplement, quand arrive le moment de la liberté, on ne discute pas. Mais ça, c’était dû au fait qu’au plan relationnel, il avait une ouverture d’esprit. En Afrique, il y a beaucoup de gens qui lui confiaient des choses. Ils croyaient en lui, ils le pratiquaient. (…). Au plan social au Sénégal, il a aidé tellement de familles. Humainement, il était d’un niveau insoupçonné».
ABDOULAYE BATHILY : «Tu as accompli ta mission avec honneur et dignité, comme par prémonition, je te le disais encore il y a moins de dix jours»
«Le Sénégal perd une des voix de plus en plus rares, qui font une autorité morale de dimension nationale éclairée. Adieu Babacar ; adieu l’ami ; adieu frère ; adieu camarade. Tu as accompli ta mission avec honneur et dignité. Comme par prémonition, je te le disais encore il y a moins de dix jours ! Repose dans la paix éternelle», a témoigné l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique. Qui ajoute : «sa contribution aux luttes pour la démocratie dans notre pays est incommensurable. Avec le Groupe Sud, il a été le pionnier de la presse indépendante et professionnelle dont l’exemple a rayonné dans beaucoup de pays du continent, brisant le monopole des médias d’État, citadelles de la pensée unique et de l’intolérance».
CDEPS : «Un pionnier pour la presse sénégalaise, mais il a aussi été un exemple de rigueur morale et professionnelle»
«C’est la perte d’un immense homme pour sa famille, la presse sénégalaise, la Nation tout entière, mais aussi pour l’intelligentsia africaine. Babacar Touré est non seulement un pionnier pour la presse sénégalaise, mais il a aussi été un exemple de rigueur morale et professionnelle pour tous ses confrères. L’action de Babacar Touré et celle de ses confrères ont permis l’alternance dans les médias au Sénégal jusque-là dominés par la pensée unique du parti-Etat. Ce sont ces germes de la pluralité dans la presse qui ont ensuite permis les alternances politiques en 2000 et 2012. C’est cette pluralité dans la presse qui nous vaut aussi la stabilité politique et sociale au Sénégal. Babacar Touré, doyen de la presse sénégalaise, a été le confident de tous ses confrères pour lesquels il n’a jamais été avare de conseils, voire des fois des remontrances. Artisan de la création du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), le patronat de la presse pleure l’un de ses plus illustres membres. C’est un homme d’une grande stature qui disparaît et c’est tout le Sénégal et toute l’Afrique qui en sont orphelins».
Mbaye THIANDOUM