Il ne faut pas compter sur la juridiction suprême pour réhabiliter Khalifa Sall. En effet, le recours en annulation du décret de révocation du désormais ex-maire de la ville de Dakar devant la Chambre administrative de la Cour suprême n’a pas prospéré. Une énième procédure qui a connu le même sort que toutes les autres affaires de Khalifa Sall dans le cadre de la caisse d’avance de la ville de Dakar. Du moins, devant les juridictions sénégalaises.
Dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la ville de Dakar, les décisions de justice se suivent et se ressemblent pour l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall. Après avoir été condamné en instance et en appel, c’était au tour hier de la Chambre administrative de la Cour suprême de Dakar d’anéantir les derniers espoirs de Khalifa Sall. Du moins, en ce qui concerne le recours formé pour contester sa révocation à la tête de la Ville de Dakar. Lequel décret a été pris par le chef de l’Etat au lendemain de la condamnation du maire en appel, le 30 août 2018. Dans son arrêt, le président Abdoulaye Ndiaye a démonté tous les moyens soulevés par la défense relatifs à la motivation du décret, à l’audition préalable de Khalifa Sall, à la présomption d’innocence, entre autres.
La décision de révocation est une mesure disciplinaire qui n’a aucune incidence sur la procédure pénale
Selon le président de cette juridiction, le décret a été motivé, puisque le rapport de présentation est indissociable du décret. Concernant l’audition préalable, il rappelle que l’ancien maire de Dakar a été entendu par l’Inspection générale d’Etat (Ige) et le requérant s’était largement expliqué. S’y ajoute qu’il n’y a pas de faits nouveaux qui puissent justifier l’audition de Khalifa Sall dans cette affaire. Quant à la présomption, le juge estime que la décision de révocation est une mesure disciplinaire qui n’a aucune incidence sur la procédure pénale.
Me François Sarr : «le décret qui a révoqué l’ancien maire de Dakar n’a pas été motivé»
Cependant, avant la décision de la Chambre administrative, les conseils de l’ancien maire de Dakar – dont plusieurs ont brillé par leur absence – se sont évertués à motiver les moyens d’annulation du décret de révocation de leur client. De l’avis de Me François Sarr, le pouvoir de révoquer un maire est encadré et le Code général des collectivités territoriales fixe les cas dans lesquels le pouvoir de révocation existe. Il s’agit d’une condamnation pour crime. Mais aussi pour d’autres délits dont le détournement de deniers publics, faux usage de faux entre autres. Seulement, dans l’affaire Khalifa Sall, regrette l’avocat, le décret de révocation n’a pas été motivé. «On ne peut pas dire que le décret renvoie au rapport de présentation qui a été présenté par le ministre et qui intervient avant le décret», fait remarquer Me Sarr qui ajoute, dans la foulée, que ledit rapport n’est pas contenu ni annexé dans le décret de révocation. Ce qui lui fait dire que le décret qui a révoqué l’ancien maire de Dakar n’a pas été motivé. Poursuivant, Me François Sarr de relever que Khalifa Sall n’a pas été condamné pour crime, encore moins pour l’un des délits cités par le Code général des collectivités territoriales. Or, le décret de révocation, dit-il, est survenu au lendemain de la condamnation de son client par la Cour d’appel. «Le président de la République ne pouvait pas dire qu’il est coupable. La condamnation reste en suspension du fait du caractère suspensif du pourvoi en Cassation. Au contraire, il (Khalifa Sall) est encore investi de la présomption d’innocence», martèle Me Sarr.
Aliou Sall s’invite dans l’affaire Khalifa Sall
«Khalifa Sall fait l’objet d’une décision arbitraire», cogne d’emblée Me Ousseynou Fall, à la suite de son confrère Me François Sarr. A l’en croire, les droits de son client ont été bafoués tout le long de cette procédure. Aussi a-t-il utilisé son temps de plaidoirie pour solder ses comptes, en dépit des remarques du président de la Chambre aux avocats de se contenter de développements sommaires étant donné que les conclusions ont été déjà déposées. «Lorsqu’on sanctionne un individu, il faut lui donner la possibilité de se défendre. Il faut donner au prévenu les moyens de se défendre dans un procès juste et équitable. Dans ce dossier, la présomption d’innocence a été galvaudée. Sur la base d’un simple rapport de l’Ige, le Président Macky Sall a envoyé Khalifa Sall en prison. C’est de l’arbitraire», fulmine le tonitruant avocat, qui se désole de constater que dans un autre dossier, faisant allusion au frère du chef de l’Etat, le pouvoir cherche à distraire le peuple. «Où est passé le rapport de l’Ige dans cette affaire ? On veut protéger son jeune frère. Dans l’affaire Aliou Sall, on parle de milliards de dollars et on fait tout pour nous distraire. C’est scandaleux», s’indigne Me Fall pour dénoncer ce qu’il considère comme du deux poids deux mesures. Non sans affirmer que son client a été accusé à tort dans le cadre de la caisse d’avance de la ville de Dakar.
Me Ousseynou Fall : «Pensez-vous que le peuple mérite d’être dirigé par un Président qui foule aux pieds les règles les plus élémentaires ?»
De l’avis de Me Ousseynou Fall, le crime de Khalifa Sall, c’est d’avoir dit non à la volonté du président de la République qui ne voulait pas qu’il se présente à la présidentielle. «S’il avait dit oui, on n’en serait pas là», renchérit la robe noire. C’est pourquoi, indique-t-il, toutes les demandes introduites par la défense (demande d’expertise, de mise en liberté provisoire) ont été systématiquement rejetées. «Le Président avait pour objectif de briser un opposant. Pensez-vous que le peuple mérite d’être dirigé par un Président qui foule aux pieds les règles les plus élémentaires ?», s’interroge l’avocat avant de demander aux juges de faire cesser l’arbitraire, faisant allusion au décret «inique» de révocation. «La Justice est rendue au nom du peuple et non au nom d’un individu, fut-il le président de la République», conclut Me Ousseynou Fall.
Me Baboucar Cissé : «Vous pensez que Khalifa Sall est digne de présider à la destinée de notre capitale ? C’est de la délinquance financière»
Ces digressions qui ont rythmé la plaidoirie du conseil de Khalifa Sall n’ont pas été du goût de certains avocats de la défense Me Baboucar Cissé et Me Moussa Félix Sow. Selon Me Cissé, les avocats doivent se borner à faire des observations orales, étant donné que la procédure devant la Cour suprême est écrite. Pour Me Baboucar Cissé ce qu’on reproche à Khalifa Sall c’est faux, avant d’indiquer que les faits sont anodins et que l’ancien maire de Dakar pouvait être jugé en flagrants délits. Poursuivant, l’avocat révèle que les faits sont constants et accuse Khalifa Sall d’avoir empoché 30 millions par mois à travers de fausses factures et de faux bons de commande. «Vous pensez que cette personne est digne de présider à la destinée de notre capitale ? C’est de la délinquance financière», sérine Me Cissé qui reproche au requérant d’avoir une lecture élastique de la présomption d’innocence. «Il est toujours innocent», raille l’avocat.
Passe d’arme entre le bâtonnier Me Moussa Félix Sow et Me Ousseynou Fall
Dans cette dynamique de répliques, l’addition a été donnée par le bâtonnier Me Moussa Félix Sow, très remonté contre les observations politiques de Me Ousseynou Fall. D’emblée, il a dénoncé ce qu’il considère comme une victimisation dans les procès politiques, alors que, dit-il, tous les jours, des Sénégalais sont poursuivis et condamnés. «Il faut que cela cesse. Nous sommes devant la Cour suprême, la plus haute juridiction du Sénégal ; malheureusement, on se comporte comme si on était en première instance. Nous sommes en matière administrative», ajoute Me Sow, avant de se plier en quatre pour présenter ses excuses à la Chambre, au nom de tous les avocats pour les digressions notées à la barre. Ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Loin de cautionner cette démarche de son confrère, Me Ousseynou Fall bondit de son siège et rétorque d’un ton sec : «présente tes excuses pour toi», dit-il. L’ancien bâtonnier, de son côté, sort de ses gonds et verse dans la menace : «je demande que soient consignés ces propos sur le plumitif et je m’en rapporterai au bâtonnier. Nous sommes un ordre et non une anarchie», charge Me Sow. Une remarque qui n’a guère ébranlé son interlocuteur et confrère qui souffle sur les braises. «C’est vous l’anarchie», lance Me Fall à son endroit. Les autres avocats ruent dans les brancards pour calmer les ardeurs. De son côté, le président de la Chambre a tout simplement suspendu l’audience pour permettre aux protagonistes de retrouver leurs esprits.
Les pro-Khalifa boycottent Antoine Diome
Auparavant, à la suite des plaidoiries des conseils de Khalifa Sall, c’est l’agent judiciaire de l’Etat Antoine Diome qui a hérité du témoin pour faire ses observations dans cette affaire. Le moment choisi par la poignée de militants pro-Khalifa pour vider la salle d’audience de la Cour suprême. Impassible, l’Aje a démonté les arguments avancés par les conseils du requérant. En tout cas, aussi bien les conseils de l’Etat, l’Aje et l’avocat général sont inscrits sur la même longueur d’onde pour motiver le rejet de la demande d’annulation du requérant. Des arguments confirmés par le président de la Chambre dans son arrêt.
Moussa CISS