Que de légèretés et de violations dans la mise en œuvre du contrat liant le Prodac à la société Green 2000. De la notification au paiement de l’avance de démarrage, en passant par l’ordre de service de démarrage, le ministre de tutelle et le Coordonnateur du Prodac d’alors n’ont rien fait dans les règles de l’art. Des manquements et violations que le rapport de l’Igf, publié en intégralité par Dakaractu, a bien mis en exergue.
Jean-Pierre Senghor retarde la notification du contrat de presque un an pour couvrir les arrières de Green 2000
La mise en œuvre du contrat liant le Prodac à Green 2000 a été entachée de plusieurs violations. La première violation concerne la date de notification du contrat à la société contractante. En effet, la mission a débusqué un «retard d’un an du Prodac dans la notification du contrat à Green 2000». Approuvé le 21 septembre 2015, le contrat n’a été notifié à la société que le 25 juillet 2016, soit 11 mois après. D’ailleurs, le 1er décembre 2016, le ministre de tutelle avait interpellé le Dg Jean-Pierre Senghor sur ce retard inconcevable. Pour les enquêteurs, cela est «une manœuvre inacceptable pour un projet autorisé à titre exceptionnel pour, entre autres, des motifs d’urgence». Pour l’Igf, «le recours à cette procédure (qui éliminait les concurrents locaux) alors que rien ne justifiait l’incapacité des entreprises nationales à réaliser les travaux attendus de Green 2000, aurait pu inciter tous les acteurs à faire dans la plus grande célérité». Mais hélas, après avoir sollicité et obtenu une procédure d’urgence, le Prodac a mis presque un an avant de notifier le contrat à l’entreprise israélienne choisie. Ce que déplorent les enquêteurs, qui pensent que «ce délai (anormal pour une procédure d’urgence) aurait permis (en procédure normale), comme l’avait suggéré la Dcmp, de boucler une procédure plus concurrentielle et certainement plus porteuse d’externalités positives pour le Prodac».
«La justification du retard servie par M. Senghor, en plus d’être attentatoire aux intérêts de l’Etat, constitue… une faiblesse de la partie sénégalaise vis-à-vis de son contractant».
Ce qui est ahurissant dans ce retard de notification, c’est qu’il a été fait sciemment, pour couvrir Green 2000. Selon le rapport, Jean-Pierre Senghor, lors de son audition, a expliqué qu’il a accepté de décaler la notification sur conseil d’un de ses collaborateurs, «pour éviter à Green de se voir imputer un quelconque retard dans l’exécution» du contrat. Mieux, le patron de la société israélienne, interpellé à son tour sur la question, a «reconnu avoir exigé du Prodac le différé de la notification, le temps de disposer de l’avance de démarrage». Pour l’Igf, «la justification du retard servie par M. Senghor, en plus d’être attentatoire aux intérêts de l’Etat, constitue déjà, à cette étape de la procédure, une faiblesse de la partie sénégalaise vis-à-vis de son contractant».
Le ministre de tutelle Mame Mbaye Niang signe un ordre de service de démarrage, 5 mois avant la notification du contrat, juste pour permettre à Green de toucher l’avance de démarrage
Selon le principe de la chronologie des actes de procédure, la notification de l’ordre de service de démarrage ne peut être envisagée qu’après celle du contrat auquel il se rapporte. Et la mission de souligner que ce principe basique du droit des contrats administratifs n’a pas été respecté par le ministre Mame Mbaye Niang. En effet, alors que le contrat n’a été notifié à Green que le 25 juillet 2016, le ministre de tutelle avait signé l’ordre de service de démarrage, 5 mois auparavant, c’est-à-dire le 24 mars 2016.
Pour les enquêteurs, cet anachronisme constitue «un vice de procédure loin d’être anodin». Pour l’Igf, c’est clair que cet acte du ministre «traduit en vérité une volonté sous-jacente manifeste de faire bénéficier Green 2000 de l’avance de démarrage». Car la convention qui lie l’Etat à Locafrique, qui finance le Prodac, fait de la production de l’ordre de démarrage un préalable avant le décaissement de l’avance de démarrage. En effet, tant qu’elle n’a pas reçu l’ordre de démarrage, Locafrique ne peut pas payer l’avance de démarrage. D’ailleurs, c’est parce qu’elle a reçu l’ordre de service de démarrage que Locafrique a commencé les paiements, le 30 mai 2016. Pour les enquêteurs, «cet état de fait est d’autant plus regrettable qu’il résulte d’un souci de répondre aux exigences non contractuelles de M. Daniel Pinhassi», patron de Green 2000.
Le Prodac valide les demandes de paiement en toute illégalité, permettant à Green de toucher une avance de démarrage de 5,016 milliards avant même la notification et l’enregistrement du contrat
Le contrat subordonne le paiement de l’avance de démarrage, entre autres, à l’accomplissement des formalités d’approbation et d’enregistrement du contrat. Mais, révèle le rapport de l’Igf, «dans la pratique, il a été noté une légèreté inqualifiable de M. Jean-Pierre Senghor, Coordonnateur national du Prodac d’alors, qui a accepté, en violation manifeste des dispositions du contrat et du Cmp, de valider et de transmettre les demandes de paiements à Locafrique, avant même que les formalité préalables et basiques susnommées ne soient accomplies». Pire, le rapport note que les dates des demandes de paiement montre la pression que Senghor a mise sur Locafrique pour que les premiers paiements soient faits, alors que les préalables contractuels n’avaient même pas encore été stabilisés. Et comme cela ne suffisait pas, les lettres de demandes de paiements envoyées par Senghor portaient des montants en Ttc. Ce qui portait l’avance de démarrage à 5.920.107.200 F Cfa. Heureusement que Locafrique n’est pas tombé dans le piège et a payé en montants hors taxes, soit 5.016.383.928 F Cfa. Ce qui fait un différentiel de 903.723.242 F Cfa. En outre, le rapport note que Green a bénéficié de cette avance de démarrage, sans avoir déposé la caution correspondante. Or la réglementation est claire. Sans caution, il ne peut y avoir de paiement d’avance de démarrage.
Malgré tout, avant l’enregistrement du contrat, intervenu le 23 août 2016, Locafrique sur demande du Prodac, avait déjà payé à Green 2.461.180.794 F Cfa. Ce qui révulse les enquêteurs. «Si l’intérêt général était suffisamment pris en compte, M. Senghor aurait commencé par demander à Green de s’acquitter de ses obligations contractuelles avant de prétendre à quelque paiement que ce soit», martèlent-ils.
Mbaye THIANDOUM