Je suis chirurgien cardiovasculaire, ancien interne des hôpitaux de Dakar. J’ai été formé dans ma spécialité dans différents hôpitaux en France (Clermont Ferrand, Nantes et Paris). Depuis 2000, j’ai tour à tour travaillé dans de grands centres de chirurgie cardiaque à Paris, notamment l’hôpital Georges Pompidou, l’hôpital Bichat et l’hôpital Saint Joseph. J’ai aussi fait beaucoup de recherche en chirurgie expérimentale dans le cadre de master et doctorat en sciences dans des domaines qui peuvent améliorer la prise en charge des malades cardiaques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Depuis 2011, je viens régulièrement opérer à Dakar dans le cadre de missions chirurgicales à la clinique du Cap, où nous avons réussi à effectuer les premiers pontages coronariens au Sénégal en 2014. A l’heure actuelle, de nombreux malades qui présentent une pathologie coronarienne sont diagnostiqués, explorés et opérés à Dakar. Avant 2014, la seule alternative qui s’offrait à ce type de patients était l’évacuation sanitaire vers le Maghreb ou la France pour se faire opérer. Nous comptons développer cette activité au Sénégal pour la rendre pérenne et viable et pour qu’elle soit utile au plus grand nombre.
Quels sont les différents types d’intervention cardiaques réalisés au Sénégal ?
Ce sont les interventions classiques en chirurgie cardiaque adulte. C’est la chirurgie des valves du cœur (valves mitrale, aortique, tricuspide et pulmonaire). Lorsqu’elles sont malades, ces valves doivent être réparées ou remplacées par des prothèses, sinon la maladie évolue vers l’insuffisance cardiaque. L’autre grand type d’intervention est constitué par la chirurgie des vaisseaux coronaires qui alimentent le cœur en oxygène et nutriments pour qu’il puisse fonctionner tout le temps. Lorsque ces vaisseaux sont bouchés, le muscle cardiaque est mal irrigué et le malade ressent des douleurs à la poitrine. Grâce à la coronarographie actuellement disponible à Dakar, il est possible de visualiser les lésions de sténose. Leur traitement dépend du nombre des lésions, de leur localisation et de l’état du malade. Le malade peut être soigné sur place en per coronarographie par la pose de stents qui permettent d’ouvrir les vaisseaux ou adressé au chirurgien cardiaque pour des pontages coronaires lorsque les lésions sont multiples et ou complexes. Les autres types d’intervention portent sur l’aorte et parfois sur le péricarde.
C’est quoi la différence entre cardiologue et chirurgien cardiaque ?
C’est plus une complémentarité dans la prise en charge du malade cardiaque. Le chirurgien opère les malades dont le traitement est essentiellement chirurgical, comme quand il faut remplacer une valve ou une portion de l’aorte. Le malade est vu au préalable par le cardiologue qui, après avoir fait des explorations comme l’échographie pour asseoir le diagnostic, l’adresse au chirurgien s’il y a une indication opératoire. Une fois opéré, le malade retourne chez son cardiologue qui prend le relais pour le suivi post opératoire. Aussi, les limites entre ces deux spécialités seront de plus en plus floues avec le temps. Il y a actuellement certaines interventions comme la mise en place des valves percutanées qui sont réalisées par cardiologues et chirurgiens dans des salles opératoires dites « hybrides ».
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exercice de cette spécialité au Sénégal ?
La chirurgie cardiaque est une activité exigeante qui doit être pratiquée par des équipes entrainées et dans un environnement qui s’y prête, au risque d’avoir une surmortalité et de mauvais résultats. De plus, elle nécessite des moyens matériels sophistiqués et coûteux. Le coût onéreux des différents intrants (prothèses valvulaires, circuits pour la machine cœur-poumons…) fait que les interventions en chirurgie cardiaque coûtent cher pour des populations aux ressources limitées et sans couverture maladie. C’est pourquoi les malades ne viennent se faire opérer que lorsque la cardiopathie est évoluée et au prix d’un gros effort financier, souvent consenti par toute la famille. Certains malades, faute de moyens, se contentent du traitement médical en attendant l’évolution naturelle de la maladie.
Quels sont les problèmes de prise en charge des malades du cœur au Sénégal ?
Il y a un déficit en personnel qualifié et en centre médico-chirurgical de cardiologie équipé et fonctionnel. Il y a un centre de chirurgie cardiaque pour 120 000 habitants aux USA, un centre pour 1 million d’habitants en Europe et 1 centre pour 33 millions d’habitants en Afrique. Un centre de cardiologie pour 15 millions d’habitants au Sénégal. Et l’on ne peut parler de centre de chirurgie que l’on atteint 600 opérations normes par an selon les normes de l’Oms
Est-ce la raison qui fait qu’il y a tant de malades en attente d’une chirurgie cardiaque ?
C’est vrai, il y a encore beaucoup de malades qui sont en attente d’une chirurgie cardiaque. Malheureusement, certains meurent en étant encore sur ces listes d’attente ou deviennent inopérables à force d’attendre. C’est une situation déplorable, d’autant plus qu’il s’agit souvent de malades jeunes qui n’ont pas une comorbidité importante et chez qui l’intervention chirurgicale est vraiment salvatrice. Il n’y a pas assez de chirurgiens et de structure adaptée pour la prise en charge de ces malades. J’ai même cru comprendre qu’un appel d’offres international a été lancé pour recruter un chirurgien cardiaque sénior. C’est peut être l’occasion pour moi de proposer ma candidature. Qui sait… Je voudrais également souligner le fait que les principales pathologies cardiaques qui ont un caractère d’urgence vitale, comme les dissections aortiques et certaines maladies coronariennes à opérer en urgence ou semi-urgence, ne sont pas opérées au Sénégal. L’évacuation sanitaire peut s’avérer difficile, voire dangereuse pour le patient dans certains cas. C’est vous dire que les défis sont énormes et les moyens matériels et humains limités. Raison de plus pour ne pas les disperser. Ces maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité dans le monde et 80% de cette mortalité concerne les pays à revenu faible ou intermédiaire du fait des difficultés d’accès des populations à des soins de qualité et d’un déficit global en infrastructures modernes.
Comment faire alors pour améliorer la prise en charge de ces malades ?
Il y a une transition épidémiologique qui fait qu’à l’heure actuelle, il y a plus de risque de mourir de diabète ou de maladie cardiovasculaire que de paludisme. Nous allons de plus en plus être confrontés à ces maladies dites émergentes qui nécessitent une grande technicité dans leur prise en charge. C’est le cas de certaines pathologies cardiaques et neuro-vasculaires, des maladies métaboliques, des cancers… Il faudrait une véritable stratégie nationale pour faire face à ces différentes pathologies qui vont nous poser beaucoup de problèmes. Pour ce qui concerne la chirurgie cardiaque, il nous faut entre autres avoir des moyens matériels modernes et des équipes bien formées car la demande sera de plus en plus forte. Il nous faut des données statistiques fiables sur le nombre de malades susceptibles de bénéficier d’une intervention de chirurgie cardiaque par an au Sénégal. Au besoin, renforcer les centres qui existent et en créer d’autres. Il faudra aussi se donner les moyens d’évaluer ces différents centres pour connaitre le nombre de malades opérés, la morbidité et la mortalité globale. Actuellement, le Sénégal a le potentiel pour être une véritable référence dans la prise en charge médico-chirurgicale des affections cardiaques pour toute la sous-région.
REWMI