
Le 10 octobre dernier, la Cour suprême, qui a tranché sur le différend qui oppose la Sénégalaise des Eaux à l’Etat du Sénégal et à l’Agence de régulation des marchés publics (Armp), sur le contrat d’affermage attribué à la société française Suez, a déclaré la Sde déchue de son recours contre la décision d’attribution provisoire du contrat d’affermage. La Chambre administrative de la Cour suprême avait auparavant rejeté les exceptions soulevées par l’Armp. Le journal «Les Échos» revient sur les motivations de la Chambre administrative de la haute juridiction.
Les exceptions soulevées par l’Armp rejetées
Sur le recours en annulation fait par la Sde, l’Armp soulève une exception d’irrecevabilité du recours au motif que la requête n’est pas conforme aux prescriptions de l’article 33 de la loi organique sur la Cour suprême en ce qu’elle ne comprend ni l’adresse ni le nom de l’Armp. Selon toujours l’Armp, la Chambre doit annuler le recours en raison de la confusion des moyens. Pour sa part, la Sde a nié ces allégations de l’Armp. «Il ressort de l’examen de la procédure que la Sde a indiqué les noms et adresses de toutes les parties à la page 38 de la requête aux fins d’annulation déposée au greffe central de la Cour suprême (…) qu’il y a lieu de rejeter les exceptions soulevées par l’Armp comme mal fondées», a conclu la Chambre dans son arrêt.
A son tour, l’Etat du Sénégal a sollicité la déchéance et sa mise hors de cause aux motifs que le recours formé contre la décision d’attribution du contrat d’affermage à Suez Groupe ne lui a pas été signifié et qu’il n’est pas habilité à représenter l’Armp. Après examen des pièces du dossier, la Chambre administrative a constaté «que le recours formé contre la décision d’attribution notifiée par correspondance du 17 juin 2019 n’a pas été signifié à l’Etat du Sénégal (…) Qu’il échet, dès lors, de déclarer la Sde déchue de son recours contre la décision d’affermage», lit-on dans l’arrêt.
«L’offre présentant une proposition financière plus basse n’est pas nécessairement considérée comme la plus conforme aux critères…»
La Sde qui a initié le recours en référé a évoqué une question d’urgence. Présentant ses arguments, elle soutient «que l’exécution de décisions attaquées par la conclusion d’un nouveau contrat d’affermage entre l’Etat du Sénégal et le Groupe Suez risque d’entrainer un préjudice considérable pour elle relativement à ses droits et actifs et pour l’intérêt général»; la Sde fait remarquer aussi que «l’offre présentée par le Groupe Suez, en plus d’être onéreuse, n’est ni la meilleure ni la plus avantageuse pour les usagers dont l’Etat et ses démembrements qui devront supporter une charge financière supplémentaire de 41 milliards, sur la durée de quinze (15) ans prévue pour le contrat d’affermage, représentant la différence entre le montant de son offre fixé à 286,9 F Cfa par mètre cube et celle de l’opérateur sélectionné chiffrée à la somme de 298,5 F Cfa».
En réponse, la haute juridiction a constaté, d’abord, que la Sde a été éliminée «en raison de non-conformités contenues dans son offre technique», ensuite «que le marché portant sur le contrat d’affermage en cause a été passé sous la forme d’un appel d’offres ouvert en deux étapes, précédées d’une pré-qualification» et que la Sde a été pré-qualifiée en même temps que Suez Groupe et Veolia. Cependant, l’arrêt précise que selon «le code des marchés publics, dans le cadre d’un appel d’offres de cette nature, l’attribution du marché doit être proposée en faveur du candidat qui a l’offre conforme évaluée la moins disante et qui est reconnue réunir les critères de qualification mentionnés dans le dossier d’appel à la concurrence ; que dès lors, l’offre présentant une proposition financière plus basse n’est pas nécessairement considérée comme la plus conforme aux critères et spécifications indiqués dans le dossier d’appel d’offres».
«La Sde éliminée en raison de non-conformités contenues dans son offre technique»
La Sde a soulevé un autre grief portant sur un vice de procédure. Pour elle en effet, les membres de la Commission des marchés publics du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement, désignés par arrêté n°01221 du 28 janvier 2018, ont procédé à l’ouverture des offres techniques le 5 janvier 2018, alors qu’ils n’étaient plus habilités à le faire à cette date en raison de l’expiration de leur mandat intervenue le 2 janvier 2018. Un grief que l’Armp qui a été saisie en premier n’a pas contesté. Mais pour l’Armp, cela n’a aucune incidence particulière sur le déroulement de la procédure de sélection. Tranchant la question, la Chambre administrative a considéré que «la Commission dont les membres géraient les affaires courantes, n’a procédé, en présence de tous les candidats, qu’à une opération matérielle d’ouverture des offres techniques d’un marché, lancé au cours de leur mission et qui requiert célérité eu égard aux délais légaux impartis et conformément aux prescriptions de l’article 67 du Code des marchés publics».
Mieux, ajoute la Chambre dans son arrêt «la Sde qui a été admise à participer à l’étape d’évaluation suivante après que son offre a été reçue, en présence des représentants des candidats, n’avait pas à l’époque relevé ce grief» et qu’en outre, il n’y a «aucune violation caractérisée de la réglementation de marchés publics permettant d’établir l’existence d’un doute quant à la légalité de la décision attaquée».
Le conflit d’intérêts soulevé par la Sde, relatif aux travaux de conception et de réalisation d’une usine de traitement et de pompage d’eau potable à Keur Momar Sarr sous l’intitulé KSM3, écarté»
Egrenant toujours son chapelet de reproches, la Sde a aussi fait état d’une situation de «conflit d’intérêts» qui résulte de l’attribution définitive au Groupement composé de l’entreprise Cde et de Suez International, filiale du groupe Suez, d’un marché relatif aux travaux de conception et de réalisation d’une usine de traitement et de pompage d’eau potable à Keur Momar Sarr sous l’intitulé KMS3. «Considérant que la prise en compte des situations de conflits d’intérêts définies à la clause 4.5 des instructions aux candidats vise, en substance, à éviter qu’un soumissionnaire soit avantagé par la mise à disposition de documents ou d’information obtenus auprès d’une entité impliquée dans la préparation du marché où qu’il soit appelé dans la phase d’exécution du contrat à se soumettre au contrôle de celle-ci ; considérant que la Sde n’établit pas que Suez International a contribué directement ou indirectement à la préparation du dossier d’appel d’offres ou qu’il a disposé à quelque titre que ce soit d’informations confidentielles, qui ont pu servir à favoriser sa filiale Suez Groupe dans le cadre de la procédure d’attribution du contrat d’affermage ; qu’au surplus, elle n’excipe d’aucun acte établissant clairement que Suez International a été retenu où pressenti par l’autorité contractante pour participer au contrôle des prestations à effectuer en exécution du contrat d’affermage», la haute juridiction de conclure : «qu’il échet, par conséquent, de dire n’y avoir lieu à prononcer la suspension de l’exécution de la décision attaquée».
La Sde va faire un rabat d’arrêt
En tout état de cause, cette affaire est loin d’être terminée. La Sde compte continuer à se battre jusqu’au bout pour obtenir gain de cause. Ainsi, elle a décidé d’attaquer l’arrêt devant les Chambres réunies, en procédure de rabat d’arrêt.
Alassane DRAME