Prenant part à la conférence de lancement des activités du Cadre de réflexion démocratique et patriotique (Crdp-50), placée sous le thème : «Quel modèle démocratique pour un Sénégal souverain, stable et intégré ?», Amadou Ba, député membre de Pastef et Aminata Touré, Haut représentant du président de la République, ont livré des discours marquants. Alors qu’Amadou Ba a proposé une réforme audacieuse du système judiciaire pour garantir une Justice équitable, Aminata Touré a mis en lumière la crise d’éthique et de morale qui gangrène aussi bien les institutions que la société.
Lors de la conférence de lancement des activités du Cadre de réflexion démocratique et patriotique (Crdp-50), Amadou Ba, député de Pastef et Aminata Touré, Haut représentant du président de la République, ont livré des plaidoyers percutants. Entre réforme judiciaire et révolution éthique, leurs intervenants ont souligné la nécessité de repenser les modèles pour un Sénégal stable et intégré.
Aminata Touré appelle à une révolution éthique
Prenant la parole lors de la conférence, le Haut représentant du président de la République a axé son intervention sur l’importance de l’éthique et de la morale comme fondements essentiels de toute transformation politique et judiciaire.
Aminata Touré a dressé un constat sévère : l’Afrique, y compris le Sénégal, traverse une profonde crise d’éthique et de morale. Pour elle, peu importe les réformes institutionnelles ou les systèmes juridiques adoptés, l’absence de valeurs éthiques chez les juges, les procureurs et les décideurs politiques condamnera toute ambition d’ériger une justice véritablement indépendante. «Quel que soit le système juridique qu’on mettra en place, si, dans l’intimité de leur conscience, juges et procureurs ne mettent pas en avant l’éthique et la morale, nous n’aurons jamais une justice indépendante», a-t-elle affirmé.
Elle a également pointé du doigt les comportements des politiciens, dénonçant un décalage entre leurs discours mobilisateurs et leurs décisions prises dans l’intimité de leurs bureaux. «Nous ne nous en sortirons pas si, au-delà des discours, nos leaders ne placent pas l’intérêt général au cœur de leurs choix.»
Evoquant la corruption, la Haut représentant a longuement, qu’elle considère comme un obstacle majeur au développement et à la stabilité du continent. Selon elle, malgré la mise en place de mécanismes de lutte contre ce fléau, les pratiques comme les dessous de table restent monnaie courante. Elle a illustré ses propos par une expression gambienne : «hands to hands», pour souligner que la corruption se déroule souvent à huis clos, sans témoins, sauf Dieu. «La seule barrière, au fond, ce ne sera ni la loi ni la constitution, ce sera sa propre morale», a-t-elle déclaré avec insistance.
Pour Aminata Touré, la solution passe par une refonte des standards éthiques et moraux dès le plus jeune âge. Elle a posé une série de questions essentielles : «est-ce qu’il faut commencer par le jardin d’enfants ? Est-ce qu’il faut rappeler nos textes religieux ?»
Elle a également pointé une contradiction flagrante : «Dans toutes les religions, il est écrit : tu ne voleras point. Mais les églises et les mosquées sont remplies de gens qui volent tous les jours.»
Amadou Ba, la très audacieuse proposition
Autre intervenant, le député Amadou Ba, membre du parti Pastef, a présenté une proposition audacieuse pour transformer le système judiciaire sénégalais. «Je crois qu’il nous faut faire la révolution mais une révolution raisonnée. Parce qu’il ne doit pas s’agir de tout chambouler du jour au lendemain. Mais il nous faut des ruptures, il nous faut inventer un nouveau modèle. Il ne faut pas se contenter de réformes, parce que parfois on peut cibler un mal, croyant que c’est la chose à changer pour que les choses marchent, alors que c’est en réalité un faux problème», a-t-il d’abord déclaré.
Avant de poursuivre son argumentaire s’appuyant sur le cas des conseils constitutionnels qui sont souvent transformés en cours constitutionnelles. «Si on se contente de faire des changements de façade, il n’y aura rien de nouveau. Il y a beaucoup de pays qui ont fait cette transition pour arriver à une cour constitutionnelle et qui continuent de sombrer. C’est pour dire que ce ne sont pas ces changements cosmétiques qui feront avancer les choses», assure le parlementaire.
Il invite ainsi à réfléchir sur l’idée de sortir le procureur du tribunal
«Dans notre système, quand une personne est poursuivie par le procureur, au tribunal, j’ai l’impression que la personne poursuivie est désavantagée, en cela qu’elle doit faire face à une personne qui a diligenté toute la procédure. Dans ces conditions, les deux parties ne partent pas à chances égales. Il serait bien que la personne poursuivie sente qu’elle part à chances égales avec celui qui le poursuit, c’est-à-dire le procureur. Ce que je propose, c’est de sortir complètement le procureur du tribunal, de sorte que même ses bureaux ne se trouveront plus dans les tribunaux», explique le juriste de formation.
D’ailleurs, dit-il, « on peut même aller plus loin, en copiant notamment le système anglo-saxon où, quand un président arrive au pouvoir, il peut nommer ses procureurs qui pourront être des magistrats, mais également des avocats ou encore des professeurs de droit… mais qui seront détachés complètement de la magistrature. Ainsi, on pourra enlever aux procureurs certaines prérogatives qui font qu’ils ont beaucoup de pouvoirs et qu’ils sont avantagés par rapport aux personnes qu’ils poursuivent. Par exemple il ne s’agira plus pour le procureur de rendre le mandat de dépôt obligatoire tout simplement en visant certains articles même sans éléments, ou encore de choisir le juge d’instruction de son choix», a encore fait savoir le vice-président de l’Assemblée nationale.
Me Bamba Cissé : «il y a des changements à saluer»
Modérateur lors de cette rencontre, Me Bamba Cissé est revenu sur l’affaire Ousmane Sonko et la tournure des événements depuis mars 2021. «Il y a quelques jours, quand le premier ministre a assisté à la cérémonie solennelle de Rentrée des cours et tribunaux, dans la salle d’audience de la Cour suprême, je l’ai appelé pour lui demander s’il savait tout ce qui s’est passé dans cette salle le concernant, il m’a répondu que non. Je lui ai dit que c’est dans cette salle que tout s’est joué. Je lui ai dit que c’est dans cette salle que s’est jouée son élimination politique, c’est là qu’ils ont cassé la décision du juge Sabassy Faye, c’est dans cette salle qu’ils ont confirmé la décision dans l’affaire Mame Mbaye Niang. Et ce jour-là, il était dans cette salle, faisant face aux juges en tant que Premier ministre du Sénégal. Je lui ai dit que ce spectacle devrait lui rappeler l’omnipotence de Dieu».
Et la robe noire de poursuivre pour saluer les changements positifs depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau régime, faisant une comparaison sur la procédure de levée de l’immunité parlementaire de député sous l’ancien régime et sous l’actuel régime. «L’immunité parlementaire de Ousmane Sonko a été levée en deux jours. Ces temps-ci, l’Assemblée nationale a enclenché une procédure pour la levée de l’immunité parlementaire d’un député depuis plus d’une semaine et la procédure suit toujours son cours. Cela veut dire qu’il y a un changement. Au moins sur ce cas nous pouvons constater qu’il n’y pas de fast-track par rapport à ce qui se faisait avant. Et cela est à saluer», a-t-il magnifié.
Sidy Djimby NDAO