
La bande du littoral de Guédiawaye a été en effet déclassée par le Président Macky Sall en 2021, suite à la demande du conseil municipal qui avait validé à cette époque un plan d’aménagement concerté pour permettre à Guédiawaye d’avoir un espace pour des équipements et infrastructures modernes, mais aussi d’aménager une zone habitable destinée aux populations de Guédiawaye. Malheureusement, le plan validé par le conseil municipal sous Aliou Sall a subi depuis lors d’importants changements. Aussitôt après le départ de ce dernier de la tête de la mairie de Guédiawaye, le dossier du littoral qui était géré par la mairie de la ville a été centralisé. Ahmed Aïdara et son équipe sont complètement exclus, mieux, les équipements et infrastructures qui étaient la base même du projet ont disparu du plan comme par enchantement, laissant place à plusieurs centaines de terrains attribués à de hautes personnalités et plusieurs associations de fonctionnaires. Babacar Mbaye Ngaraf, qui a pris part à tout le processus, devenu le président de la commission domaniale, urbanisme et habitat de la ville de Guédiawaye, revient dans cet entretien sur les griefs des populations de Guédiawaye contre ce «tong-tong» de leurs terres. Babacar Mbaye interpelle ainsi le Président Macky Sall et Mamadou Guèye, nommé récemment Directeur des Domaines, pour un audit.
Les Echos : pouvez vous revenir sur les raisons qui ont conduit au déclassement de la bande du littoral de Guédiawaye ?
Babacar Mbaye Ngaraf : Guédiawaye a toujours été confronté à un problème d’espace dans ses efforts de développement. C’est parce qu’elle devait quitter sa position de ville dortoir pour se lancer vers une ville émergeante qu’elle avait besoin d’un espace pour disposer d’équipements et d’infrastructures qui vont avec son nouveau statut. Il nous fallait un nouveau stade vu l’état d’Amadou Barry qui est très souvent inondé, un nouveau tribunal, d’autres lycées etc. C’est pour cela que nous nous étions dit qu’il faut élargir notre assiette foncière pour non seulement avoir ces équipements, mais aussi permettre aux jeunes générations de pouvoir disposer de terrains à usage d’habitation à Guédiawaye même. Malheureusement, il ne nous restait que la bande des filaos. Il faut noter que l’Etat commençait déjà à y attribuer des parcelles, malgré qu’elle soit classée. Nous avions alors jugé nécessaire de plaider pour son déclassement. Tout le monde n’était pas d’accord, mais nous nous sommes donné les moyens à l’époque de convaincre les populations que c’était la bonne chose à faire. A travers plusieurs réunions avec les différentes composantes sociales, nous avions listé les équipements dont nous avions besoin. Et c’est sur cette base que nous avions mis en place un plan d’urbanisme concerté, voté par le conseil municipal en décembre 2019 et approuvé par arrêté préfectoral au mois de mars 2020.
Vous faites donc partie de ceux qui ont œuvré pour le déclassement de la bande du littoral, où se situe le problème maintenant ?
En réalité, nous nous sommes rendu compte que le plan d’aménagement élaboré par les populations avec les autorités a été totalement dévoyé. C’est à notre grande surprise que nous constatons aujourd’hui que l’essentiel des équipements et des infrastructures listées ont sauté ou l’espace qui leur est consacré a été considérablement réduit. Le tribunal par exemple qui devait être construit sur 2,89 hectares n’a bénéficié que de 2 hectares, la superficie restante a été morcelé en 36 parcelles.
Ces parcelles ont été amputées par qui, selon vous ?
Il est clair qu’il s’agit des services de l’Etat. Ce n’est qu’à travers le Cadastre et le Domaine que de telles opérations peuvent se faire. Il faut aussi noter que si ces services ont réussi à réduire le terrain du tribunal, c’est forcement en complicité avec les services du ministère de la Justice. Même La maison communautaire «Keur Serigne Touba», qui était aussi prévue dans ledit programme, a, elle aussi, sauté. Idem pour le centre islamique, le centre médico-social, la maison des handicapés, les parcours sportifs… Guédiawaye est victime des voleurs à col blanc qui veulent nous dépouiller de nos terres pour lesquelles il était question que les habitants de Guédiawaye soient prioritaires.
Et qu’avez-vous fait jusque-là pour mettre un terme à ce dépouillement de vos terres ?
Nous n’avons cessé d’alerter le Président Macky Sall et d’en appeler à son sens de la responsabilité. Nous sommes des Sénégalais à part entière alors il faut que l’on nous traite comme tels. Nous avons même saisi l’Ofnac pour demander l’audit des attributions de terrains, mais aucune suite jusque-là. Serigne Bassirou Guèye s’est contenté de nous notifier un accusé de réception et, depuis lors, c’est silence radio. Il n’est pas normal que nous subissions autant d’injustices dans notre propre ville sans que le père de la Nation, à laquelle nous appartenons, ne fasse rien pour nous secourir. Quand on est agressé, spolié et maltraité par des Sénégalais qui, de surcroît, travaillent sous ses ordres, sans qu’il ne lève le plus petit doigt pour dire stop, nous avons l’impression que lui-même veut sacrifier les populations de Guédiawaye, même si nous aimerions croire le contraire. Il n’est pas trop tard, il peut encore faire cesser ce braquage foncier dont nous sommes victimes. Notre bande de filao est devenu la proie des fonctionnaires du Domaine et du Cadastre. Il faut que le président de la République réagisse.
Plusieurs associations de fonctionnaires sénégalais de différents corps sont bénéficiaires de lots de terrains dans cette bande, alors pourquoi cibler exclusivement les agents du Domaine ?
C’est la vérité ; aujourd’hui, on nous parle d’hectare pour les ambassadeurs, un autre pour les administrateurs civils du Sénégal. L’Union des magistrats y a aussi son lot, mais cela n’est pas le véritable problème. Ce qui nous enrage le plus, c’est l’attitude des services du Domaine qui se partagent nos terres comme un simple gâteau. Le Domaine, à lui seul, a obtenu 4 hectares à travers le syndicat Said, 5 autres hectares par une autre coopérative d’habitat, ce qui fait 9 hectares. Comme si cela ne leur suffisait pas, ils ont réquisitionné des terrains d’honnêtes citoyens à Cité Ndiobène. Nous avons l’impression d’avoir en face de nous une nouvelle race de fonctionnaires au Domaine constitués en gang spécialisé en extorsion foncière. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle beaucoup de collectifs pour la défense de nos terres ont vu le jour. A part celui des victimes de Daouda Diallo, l’ancien receveur de la ville de Guédiawaye, il y a celui dénommé Taxaw Tem qui regroupe toutes les composantes sociales de Guédiawaye : pouvoir comme opposition, société civile, guides religieux etc.
Et la mairie de la ville, pourquoi a-t-elle mis autant de temps pour réagir ?
Il est vrai que l’équipe municipale sortante était très impliquée. C’est en conseil municipal que nous avions d’ailleurs validé le plan d’aménagement concerté, mais depuis que le nouveau maire est arrivé avec son équipe, les choses ont complètement changé. Les attributions des terrains se gèrent maintenant au niveau central. La mairie qui était l’initiatrice du programme est complètement exclue. Elle n’a même pas le plan d’urbanisme détaillé. Et pourtant, c’est un document opposable à tiers, mais celui de Guédiawaye est estampillé «confidentiel». La mairie constate avec surprise tous les changements opérés sur notre littoral.
Certains pensent que c’est à cause des terrains que les conseillers municipaux ont reçu qu’on a noté cette léthargie dans le combat.
Il est vrai que les conseillers municipaux sous Aliou Sall ont reçu tous des terrains sur ce littoral. Je ne vois pas en quoi cela devrait gêner d’ailleurs. Le conseil municipal est le seul élu dont le travail n’est pas rémunéré. J’invite la population à faire la part des choses. Les conseillers municipaux sont une partie intégrante de la population ; nous ne devons pas accepter que ces voleurs qui se partagent nos terres nous mettent en mal les uns contre les autres.
Ndèye Khady DIOUF