La pandémie à Covid-19 cache mal les difficultés latentes des pays de la région ouest-africaine, du littoral jusqu’aux profondeurs du Sahel. Aujourd’hui, la poudrière malienne attire toutes les attentions du fait des grondements sourds qui s’en échappent depuis les dernières élections législatives. La contestation du Mouvement du 5 juin, drivée par l’imam Mahmoud Dicko, avec l’appui de pans entiers de la société civile et des caciques de la vie politique malienne maintenant dans l’opposition, n’a cessé d’enfler jusqu’à nécessiter l’intervention diplomatique des organisations africaines comme l’UA, mais surtout la Cedeao, afin de ramener le calme au sein de la classe politique de ce pays.
Le conflit djihadiste éclipsé par la crise politique au Mali
Un pays déjà en proie à un conflit djihadiste qui perdure, mobilise les énergies et irradie sur tous les pays regroupés au sein du G5 Sahel et même au-delà. Et s’il est vrai que l’immense territoire malien en est l’épicentre, le conflit djihadiste est aujourd’hui éclipsé par la crise politique née des conséquences de ce conflit et qui met en scène la classe politique malienne, la société civile et surtout une figure marquante de cette dernière, en la personne de l’imam Mahmoud Dicko. Ce dernier est devenu par la force des choses le référent du Mouvement du 5 juin. La contestation du régime du Président Ibrahim Boubacar Keita qui a cours aujourd’hui au Mali est née du constat par les populations de l’incapacité du pouvoir à résoudre la crise sécuritaire, d’une part, mais aussi de la mal gouvernance qui le caractérise et dont les répercussions sont quotidiennement vécues pas les Maliens. Et les dernières élections législatives d’avril dernier ont été la goutte qui fera déborder le vase. Car, depuis le 5 juin, la contestation n’a pas faibli, entrainant l’intervention de la communauté africaine, particulièrement l’organisation sous-régionale la Cedeao.
5 chefs d’Etat en pompiers sans convaincre
Malheureusement, la médiation entreprise par 5 chefs d’Etat de la Cedeao, qui ont passé une journée à Bamako pour trouver des plages de convergence entre le président IBK et ses contempteurs, n’a pas été probante, même si les présidents Issoufou du Niger et ses pairs ont remis ça par visioconférence pour tenter de mettre sur la table des propositions acceptées par les parties. Les choses n’ont pas été simples, mais les chefs d’Etat de la Cedeao ont finalement arrêté un accord en 6 points auquel devront se conformer toutes les parties.
Mais cela n’a pas agréé les membres du M5 qui rejettent ces propositions et restent sur leur demande d’une démission du président IBK considéré comme le nœud-gordien de la crise malienne. C’est donc la fin de la trêve liée à la Tabaski, le seul frein à la reprise de la désobéissance civile. Ce qui augure de jours sombres pour ce pays frontalier au Sénégal et où nos Jambaars se retrouvent parmi les forces de la Minusma. Surtout qu’avec la Tabaski, un vent d’apaisement a soufflé un temps sur le Mali. Dans son adresse à la Nation le président IBK a prié pour que «tous les enfants de ce grand pays puissent regarder dans la même direction», au moment où l’imam Dicko appelait au dépassement de soi pour trouver une solution pacifique. Mais le refus de démissionner des 30 députés dont l’élection a été le détonateur de la contestation et la nouvelle composition du Conseil constitutionnel, contestée au sortir de la trêve de la Tabaski, remettent à plat les avancées engrangées avec la visite et la visioconférence de consolidation des chefs d’Etat de ka Cedeao. Et ce mardi 11 août, les manifestations ont repris à Bamako et le M5 a réitéré sa demande d’une démission du Président IBK comme unique voie de sortie de crise.
Le syndrome du 3e mandat conduit la Guinée et la Côte d’Ivoire au bord du gouffre
Or, cette région ouest-africaine qui a toujours servi d’exemple dans le continent, en termes d’avancées démocratiques, incarne depuis quelque temps une volonté de ses dirigeants de s’incruster par tous les moyens au pouvoir, se confrontant au syndrome du 3e mandat. Il en ainsi de la Guinée, où le Président Alpha Condé entretient depuis des mois le flou sur ses réelles intentions, mettant sous l’éteignoir d’une répression violente les velléités de contestation de son opposition dans la rue. Mais, désigné depuis vendredi 7 aout par son parti le Rpg candidat à l’élection présidentielle du 18 octobre prochain, le Président Alpha Condé a dit «prendre acte» en mettant une condition ubuesque : «si vous voulez que je continue, il faut faire en sorte que les gens qui ont lutté qu'on les aide à mieux vivre». En tout cas, il a promis de donner sa réponse après. Veut-il mesurer la capacité d’indignation du peuple guinéen avant de se lancer ? Le risque est gros d’une radicalisation de l’opposition, qui va bénéficier du soutien de la communauté internationale dont le premier geste sera un sevrage du régime Condé. Pour dire que les deux prochains mois vont être déterminants pour l’avenir de la Guinée, pays qui n’arrive toujours pas à une stabilisation, après 62 ans d’indépendance.
Une crise électorale avait fait 3200 morts en Côte d’Ivoire
Plus au sud, la Côte d’Ivoire s’apprête également à aller aux urnes en octobre prochain pour élire son président de la République. Et comme son homologue guinéen, Alassane Dramane Ouattara alias ADO boucle un second et dernier mandat. Mais, curieusement, jeudi 6 aout dernier, lui aussi a annoncé sa candidature «forcée» justifiée par «le souci de préserver la paix sociale» et aussi «prendre le temps de préparer la relève».
Ces deux chefs d’Etat, en voulant remettre en cause le modus vivendi admis au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et selon lequel il n’est pas permis de briguer un 3e mandat, accentuent l’instabilité de la région ouest-africaine. Et si pour la Guinée les derniers mois ont été jalonnés de manifestations violentes réprimées dans le sang, la Côte d’ivoire garde frais dans les mémoires de ses citoyens la crise électorale de 2010-2011 qui avait fait plus de 3200 morts. Aujourd’hui, en Guinée comme en Côte d’Ivoire, l’avenir est en pointillés et les nuages sombres qui s’amoncellent à l’horizon n’augurent rien de bon.
Macky Sall, spectateur «désintéressé» ?
Qu’en est-il du Sénégal dans tout ce tohu-bohu ? Si la constitution dispose que le mandat est de 5 ans une fois renouvelable - ce qui fait dire aux inconditionnels de l’actuel chef de l’Etat que le premier mandat de 7 ans n’est pas comptabilisé -, elle ajoute que nul ne peut faire plus de 2 mandats consécutifs (verrou que le Président Sall dit lui-même avoir introduit dans la charte fondamentale). Mais, au-delà des analyses, commentaires et autres élucubrations, c’est le précédent de l’avis (décision ?) de la Cour constitutionnelle à propos de la volonté qu’avait exprimée, nouvellement élu, le Président Sall de ramener le mandat du chef de l’Etat de 7 à 5 ans. La Cour constitutionnelle avait dit qu’il avait été élu pour 7 ans et qu’il devait se conformer au mandat que lui a donné le peuple. Est-ce que le Président Sall, à l’orée de la présidentielle de 2024, ne questionnera pas le gendarme constitutionnel sur l’empire de la constitution de 2016 sur ses 2 mandats consécutifs ? Le doute d’un remake de la décision à propos de la durée du mandat plane sur la république. Et même si l’intéressé lui-même n’a eu de cesse de réitérer (avant sa réélection) que c’était impossible qu’il puisse faire un 3e mandat, le nouveau discours lénifiant du ni oui ni non désormais tenu après qu’il a rempilé pousse l’opposition et les activistes à se braquer et à promettre le feu en cas de syndrome Wade. En tout cas, il n’y a pas de doute que l’issue dès octobre prochain des velléités de s’accrocher au pouvoir des présidents guinéen et ivoirien indiquera à Macky Sall la direction du vent.
L’eco, à quelle monnaie de singe se fier ?
Le dernier point noir qui risque de plomber un peu plus l’essor de l’Afrique de l’Ouest est cette affaire monétaire liée à l’eco. Monnaie sous-régionale choisie par la Cedeao et que les pays de la zone franc se sont appropriée, avec la bénédiction de la France. Ce hold-up monétaire conduit par Alassane Ouattara n’a pas eu l’heur de plaire aux pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Zmao) dirigés par le géant nigérian. Pour ces dernier, il n’est pas envisageable que le nom eco soit associé à une monnaie qui ne remplit pas les critères retenus pas tous à Abuja en juin 2019. Ainsi l’année 2020 retenue pour le lancement de l’eco est en train d’entamer son dernier quart sans qu’une issue soit en vue dans le différend entre tenants du Cfa et autres membres de la Cedeao. Pour dire que l’Afrique de l’Ouest est en train de perdre le leadership qui avait été construit autour de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, pour entrer dans une période d’instabilité intégrale économique et politique.
Mansour KANE