Pas de consensus sur la date à laquelle devaient être reportées les élections locales initialement prévues le 28 mars prochain. Le pouvoir veut aller jusqu’en 2022, «à cause» des 11 mois nécessaires pour réaliser toutes les étapes du processus, tandis que les trois autres pôles affirment qu’il est «techniquement possible» de tenir les élections en 2021, en réduisant les délais de certaines étapes. Mais l’opposition, les non-alignés et la société civile risquent de perdre la bataille. Le gouvernement a déjà adopté hier le projet de loi portant report des élections, qui doit passer en procédure d’urgence à l’Assemblée nationale.
Les parties prenantes du dialogue politique se sont réunies hier autour de la question du report des élections locales. Si toutes les parties sont d’accord sur la nécessité du report, elles sont cependant divisées quant à la date à retenir. Et sur ce point, le pouvoir est seul contre toutes les autres parties. En effet, le camp présidentiel affirme mordicus que les locales ne peuvent pas se tenir courant 2021.
«On est en train de faire croire que c'est la majorité qui ne veut pas aller à des élections»
Et pour convaincre, la délégation de la mouvance présidentielle explique qu’il faut prendre le temps qu’il faut en évitant la «précipitation» et les «cafouillages». Et que «pour bien organiser» les élections locales, la planification des opérations va prendre 11 mois. Et donc lesdites élections ne pourraient se tenir qu’en 2022. La majorité colle ainsi à la position de la Direction générale des Élections (Dge). «Il faut 11 mois pour pouvoir organiser des élections dans les règles de l'art. Mais aujourd'hui, on est en train de faire croire que c'est la majorité qui ne veut pas aller à des élections», a déclaré Cheikh Sarr, porte-parole de la délégation de la mouvance présidentielle. Qui reconnait que pour la date de tenue des élections, «il n'y a pas de consensus», eux considérant qu’il faut respecter le timing de la Dge, les autres trouvant qu’il faut raccourcir les délais. Le «consensus» obtenu, «c’est que le report des élections est irréversible». Et qu’ils vont en informer le gouvernement aussitôt, afin que les dispositions soient prises.
Saliou Sarr, Frn : «c’est la majorité qui ne veut pas que les élections soient organisées en 2021»
Si Cheikh Sarr tente de sortir le pouvoir des accusations de vouloir retarder les élections, le représentant de l’opposition (Frn) l’y plonge plus profondément. «Les populations attendent les élections pour 2021 et c’est techniquement possible. Il faut que l’opinion sache que c’est le pôle de la majorité qui ne veut pas que les élections soient organisées en 2021. Techniquement, les autres pôles ont démontré que c’était possible d’organiser les élections en 2021. Et même l’administration a souscrit à cela», a martelé Saliou Sarr, joint au téléphone. Revenant sur le déroulement de la rencontre, il note que quand l’administration a dit qu’il fallait 11 mois pour réaliser toutes les étapes du processus (évaluation, réinscription, révision exceptionnelle, dépôt des candidatures), tous les pôles, sauf la mouvance, ont fait remarquer qu’il était possible de réduire les durées de certaines étapes comme l’évaluation, les dépôts… et que l’administration a reconnu que dans ce cas, les élections pourraient se tenir en 2021. «Mais ils ont dit niet», note Saliou Sarr. Mais il n’est guère surpris par cette attitude de la majorité. Et pour cause, des sorties précédentes au plus haut niveau en avaient présagé. «On pouvait s’y attendre, quand j’ai entendu le président de la République parler de décembre, ou un à deux mois de plus. Hier (mardi sur Tfm), son ministre conseiller juridique Ismaïla Madior Fall a dit février 2022», rappelle-t-il. Et pour lui, «c’est inadmissible». Il est d’autant plus fondé à penser que la majorité a fait trainer exprès les choses, que les termes de référence pour l’évaluation et l’audit du fichier étaient prêts et déposés sur la table du chef de l’Etat depuis plus d’un an. Et que même après le choix de l’auditeur, on a continué à faire trainer le processus.
Moundiaye Cissé : «techniquement, nous avons les moyens d’organiser les élections en 2021»
Saliou Sarr est conforté par la société civile. «Il y a un désaccord totale sur la question. Nous restons sur notre position d’organisation des élections locales en 2021. Et c’est possible», a martelé Moundiaye Cissé au nom de ses pairs. Qui explicite : «si le processus doit prendre 11 mois, c’est quand on prend en compte les 4 mois de l’évaluation. Même si on maintient l’évaluation, on peut réduire le temps, à deux mois au maximum. Techniquement, nous avons les moyens d’organiser les élections en 2021 et nous l’avons démontré». Poursuivant, Moundiaye Cissé note que «la société civile est foncièrement contre tout report qui dépasserait 2021». En effet, pour la société civile, «reporter les locales au-delà de 2021 comporte beaucoup de dangers», dont, précise-t-il, «la prorogation du mandat des élus locaux», déjà largement prolongé, «la possibilité de chevauchement avec les législatives de 2022» qui pourrait conduire à un nouveau report ou à un couplage. Très remonté contre l’attitude de la majorité, Moudiaye Cissé de conclure : «la règle dans une démocratie est la tenue des élections aux dates fixées. Le report doit être une exception, mais malheureusement, il est devenu la règle au Sénégal».
Déthié Faye, non-alignés : «il suffit de réduire la durée de l'évaluation, revoir les délais pour le dépôt des candidatures…»
Même son de cloche du côté des autres pôles. «La position du pôle des non-alignés est qu'il faut tenir les élections locales en 2021», a martelé d’emblée son leader Déthié Faye joint hier soir. Et d’expliquer que «la Direction générale des Élections (Dge) a proposé un chronogramme en 11 mois», mais qui «a été amendé», parce que les autres parties ne le partageant pas. En effet, fait-il remarquer, il est bien possible de tenir les élections locales en moins de 11 mois et donc cette année même. «Il suffit de réduire la durée de l'évaluation que nous avons retenu de ramener de 4 à 2 mois, revoir les délais pour le dépôt des candidatures. Un tel exercice permet d'avoir les locales en 2021», affirme-t-il. Le représentant des non-alignés qui met tout sur le dos du pouvoir de noter «que ce débat n'aurait pas eu lieu si l'État avait pris les dispositions idoines pour que l'évaluation démarre en même temps que l'audit (en cours depuis le mois dernier)».
Le projet de loi portant report des élections adopté hier en Conseil des ministres…
Mais malgré son désaccord, la majorité risque d’imposer sa loi. En effet, hier en Conseil des ministres, le gouvernement a adopté le projet de loi portant report des élections et prorogation du mandat des élus locaux.
Mbaye THIANDOUM