En cette veille d’élection présidentielle, la tension entre l’opposition et le pouvoir s’accumule et s’expose à la moindre occasion. Leurs joutes verbales lors des séances plénières de l’Assemblée nationale en sont une parfaite illustration. La question de la radiation de Khalifa Sall et le remplacement de feu Ndiassé Ka ont soulevé de vives tensions entre les deux mouvances.
Dès l’entame de la plénière d’hier, le président de l’Assemblée nationale a fait installer les deux députés devant remplacer feu Ndiassé Kâ, décédé il y a quelque temps, mais aussi Khalifa Sall, radié par l’Assemblée nationale. Ainsi, les huissiers ont introduit Malick Guèye pour remplacer Khalifa Sall et Maïmouna Sène pour suppléer Ndiassé Kâ. Moustapha Niasse n’aura même pas le temps de terminer sa phrase que le président du groupe parlementaire Liberté et Démocratie s’est levé pour demander la parole. Sur un ton virulent, Cheikh Mbacké Bara Dolli a fustigé l’attitude de l’Assemblée à l’égard de l’ancien maire de Dakar. «Comment pouvez-vous radier Khalifa Sall, alors qu’il est question d’introduction d’un rabat d’arrêt ? Il faut quand même agir avec logique. Cette radiation n’est que pure injustice, il n’y a pas d’autre mot pour la qualifier», assène-t-il.
Cheikh Mbacké Bara Dolli à Niasse : «Je me demande bien si vous craignez le bon Dieu…»
Et concernant le remplacement du défunt Ndiassé Ka, le député libéral estime qu’une femme ne devrait pas remplacer le défunt parlementaire. D’après lui, si l’on se fie au code électoral, Ndiassé Ka devrait être remplacé par un homme et non par une femme. «L’article 150 du code électoral est très clair à ce sujet. Je me demande bien si vous craignez le bon Dieu. Comment peut-on fouler aux pieds toutes les dispositions de la loi en exerçant une injustice sans précédent sur vos adversaires, tout en ayant l’esprit tranquille ?», fulmine Cheikh Mbacké Bara Dolli.
Cheikh Bamba Dièye: «vous avez obtenu tout ce que vous désiriez, alors à quoi bon s’empresser de lui ôter tout son honneur ?»
Pour la question relative à la radiation du député Khalifa Sall, il y a un sérieux problème de droit, d’après Cheikh Bamba Dièye. «Nous avons été assez complaisants de lever son immunité parlementaire sur des bases illégales. L’Assemblée nationale a failli sur toute la procédure qui a mené Khalifa Sall en prison, par rapport à ses devoirs constitutionnels, mais aussi par rapport au règlement intérieur de l’Assemblée même. Puisqu’il est clair qu’il s’agit d’un forcing depuis le début ; il était plus élégant d’attendre la fin de la procédure pour le radier de l’Assemblée nationale», déplore le leader de Fsd/Bj, qui déclare : «que l’on ne se voile pas la face, ce qui se fait dans cette Assemblée nous incombe tous. Il ne sert à rien de se précipiter, le sort de Khalifa Sall est déjà scellé. Tout a été réglé dans les termes, donc un peu de retenue. Chacun de nous a déjà pris position. Nous sommes en train de ridiculiser l’institution qu’est l’Assemblée nationale. Le ministre de la Justice n’a pas pour vocation d’interpréter la loi à notre place. Il est de notre ressort en tant que législateur de faire une interprétation objective de la loi. Vous avez obtenu tout ce que vous désiriez, alors à quoi bon s’empresser de lui ôter tout son honneur ? Vous ternissez davantage l’image et l’honorabilité de cette auguste Assemblée. Nous sommes ensemble dans une République que nous laisserons demain à nos enfants, donc tout acte sera interprété. Rien ne nous impose que l’on s’enfonce davantage, il y a simplement du suivisme qui ne se justifie ni du point de vue de la Constitution ni du point de vue du règlement intérieur», assène M. Dièye.
Abdou Mbow contre-attaque : «réglez d’abord l’homogénéité de votre clan, vous n’arrivez même pas à vous entendre entre vous»
Le 3ème vice-président de l’Assemblée nationale n’a pas été tendre. Comme d’habitude, Abdou Mbow a été virulent envers les adversaires du régime. «Le ministre de la Justice n’a pas interprété nos lois. Il n’a fait que dire le droit, parce que l’article 61 de la Constitution dit clairement que s’il y a une condamnation définitive pour un député, sa radiation est demandée par le ministre de la Justice. Au contraire, il aurait transgressé la loi s’il n’avait pas demandé cette radiation», déclare Abdoul Mbow.
Faisant allusion aux problèmes liés au remplacement de Khalifa Sall, Abdou Mbow dira : «il faut d’abord veiller à l’homogénéité de votre clan. Vous n’arrivez même pas à vous entendre et vous voulez nous faire croire que vous gérez les intérêts du peuple. Pour ce qui est du cas de Maimouna Sène, avant de se lancer dans des débats de fond sur les textes, il faudrait savoir interpréter ce qui se dit dans ces textes», soutient-il. «Je pense qu’il est temps de reproduire le règlement intérieur de l’Assemblée nationale en wolof parce qu’apparemment, tout le monde ne comprend pas ce qui se dit dans ces textes. L’article dont le président du groupe parlementaire libéral fait allusion dit clairement si la liste est close. Alors que dans ce cas, elle n’est pas encore close, Maimouna y figure donc quoi de plus normal qu’elle prenne la place de feu Ndiassé Ka», explique le parlementaire.
Seydou Diouf : «nous sommes dans un débat de droit, et non un débat politicien»
Apportant des éclaircissements, Seydou Diouf invite ses collègues de l’opposition à faire la part des choses. «Nous sommes dans un débat de droit, pas dans un débat politicien. Notre collègue qui parlait du droit fondé de la radiation de Khalifa Sall s’est totalement fourvoyé, parce que l’Assemblée n’a reçu qu’un seul élément juridique pour pouvoir asseoir sa décision. Il est clair que lorsqu’un député est sujet à une condamnation définitive, il doit être radié. En l’occurrence, lorsque nous avons été saisis par le garde des Sceaux, il a transmis à l’Assemblée nationale l’arrêt de la Cour suprême, rejetant l’ensemble des pourvois formés sur la décision, entrainant ainsi l’exécution de la décision. Aucun autre élément juridique ni matériel n’est parvenu à l’Assemblée nationale. Le rabat d’arrêt dont il fait allusion, nous ne l’entendons qu’à travers la presse. De même que l’arrêt de la Cedeao qu’ils brandissent pour se victimiser, ce même arrêt dit clairement que la procédure de l’Assemblée nationale est tout à fait légale», clarifie le président de la commission des lois.
Malick Guèye, remplaçant de Khalifa Sall : «à ceux qui sont venus me demander de démissionner, je leur ai proposé que nous démissionnons tous, ils ont catégoriquement refusé, à l’exception de Déthié Fall»
Alors qu’il a été installé en début de séance, Malick Guèye du Grand Parti a marqué sa présence de bien belle manière. «J’ai vu des Unes de journaux qui tentent de me mettre en mal avec Khalifa Sall, ils n’y arriveront pas. Je n’ai jamais été manipulé et Malick Gakou peut en attester. Des députés sont venus me voir hier (Ndlr : avant-hier), pour me demander de démissionner pour laisser la place à Saliou Sarr. Je leur ai demandé que l’on démissionne nous tous pour manifester notre solidarité à Khalifa Sall. Je suis même venu avec ma lettre de démission aujourd’hui. A ma grande surprise, seul Déthié Fall avait accepté ce deal», renseigne Malick Guèye.
Ndèye Khady D. FALL