L’opposition a-t-elle vite fait de crier victoire après que le pouvoir a reconsidéré sa position ? Pour Babacar Diop des Forces démocratiques du Sénégal, il n’y a pas gloire à tirer de cela. Pour Babacar Diop, l’opposition doit purement et simplement boycotter ce dialogue. Elle ne serait pas conséquente, après avoir au lendemain des présidentielles déclaré à qui veut l’entendre qu’elle ne reconnait pas Macky Sall. Les Fds, en tout cas, a-t-il dit, ne participeront pas à ce dialogue. Aussi, il invite les membres de l’opposition à refuser que le groupe des quatre candidats continue d’agir au nom et pour le compte de l’opposition, au point de prendre des décisions qui les engagent. Pour Babacar Diop, la notion d’anciens candidats n’existe pas en démocratie. La notion de pôle des non-alignés, non plus. Ce qui existe, c’est ceux qui sont avec Macky Sall et ceux qui sont dans l’opposition.
Les Echos : Dans le cadre du dialogue en perspective, le pouvoir a décidé de prendre acte de certaines des revendications de l’opposition. Les Fds qui avaient refusé de participer à ce dialogue vont-elles finalement y participer, après ce qui semble être une victoire pour l’opposition ?
Babacar Diop :Pour moi, rien n’a changé. Et d’ailleurs, cette nouvelle position du pouvoir rend ce dialogue plus suspect, parce qu’il n’y a pas mille voies pour aller vers un dialogue. Il n’y a qu’une seule voie. Si on veut aller vers un dialogue sincère, Macky Sall connaît la voie. Tout se doit d’être clair. Tout doit être transparent, clair et discuté. Nous n’avons pas besoin de ce jeu de dupes. Il y a aussi la position très floue de l’opposition. Finalement, tout le monde se perd dans cette affaire. L’opposition doit être cohérente dans sa position, avec des demandes claires sur la table.
Pourtant l’opposition a écrit au ministre de l’Intérieur pour dire avec exactitude ce qu’elle attend du pouvoir avant de s’asseoir à la table…
Sur la commission cellulaire, oui, on prend acte de la commission cellulaire mais on attend de savoir ceux qui seront nommés et leurs prérogatives. Mais pour moi, ce dialogue, franchement, c’est une voie simplement pour le pouvoir de valider le report des élections locales. Ce n’est pas autre chose. Si Macky Sall veut un dialogue franc, une fois de plus, pour moi, il doit poser des actes forts.
C’est-à-dire ?
Libérer Khalifa Sall. C’est une mesure d’apaisement fort. Et ce sera quelque chose de très concret au moins. Ensuite, toute la classe politique sera obligée de tenir compte de cela. Tant que Khalifa Sall est en prison, il n’est pas possible d’avoir un climat apaisé. Ce n’est pas possible ! Vous ne pouvez pas emprisonner des gens, faire votre coup de force, procéder à une révision constitutionnelle de manière unilatérale. Ensuite, reconduire Aly Ngouille Ndiaye au ministère de l’Intérieur et se lever un bon jour pour dire qu’on fait des concessions. Ça ne se passe pas comme ça. En tout cas, pour nous des Fds, ça ne change rien dans nos positions. Nous invitons l’opposition à boycotter ce dialogue. En attendant que Macky Sall prenne des mesures fortes pour montrer qu’il est sincère dans son appel au dialogue. S’il ne le fait pas, nous pensons qu’il est dans son jeu et il continue de mettre en place une comédie dont il est l’auteur et en ce moment, les membres de l’opposition seraient simplement des acteurs qui jouent le rôle que Macky Sall a bien voulu leur confier.
Iriez-vous jusqu’à dire, comme certains, que participer à un dialogue au moment où Khalifa Sall est encore en prison, est une trahison de la part des leaders de l’opposition ?
Non, je n’utiliserai pas le mot trahison. Je dirai plutôt que l’opposition est incohérente et inconséquente dans ses positions. Au lendemain de la présidentielle, qu’est-ce que les gens n’ont pas dit ? Ils ont dit : «nous ne reconnaissons pas M. Macky Sall. Nous refusons de reconnaître son élection ; nous remettons même en cause les institutions par le refus de déposer un recours». Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps pour que subitement l’opposition en arrive à changer de manière radicale de position ? quel est l’élément nouveau sur la table ? J’aimerais le savoir et les Sénégalais avec moi. Quel est l’élément nouveau sur la table pour pousser l’opposition, qui avait quitté la table, à vouloir revenir. A abandonner une position radicale pour une position de compromission même, j’allais dire ?
S’il y a un élément factuel sur la table qui peut emmener l’opposition à changer de position, qu’on nous le dise. Je pense qu’aujourd’hui, ce que Macky Sall cherche à travers ce dialogue, c’est légitimer sa victoire. Il veut passer par une autre porte pour demander à l’opposition de le reconnaître de fait. Pour moi, c’est même une tentative, une entreprise d’humiliation de ces leaders là qui avaient refusé à la face du monde de reconnaître sa victoire. L’opposition doit apprendre à être cohérente dans son discours, dans sa démarche et son attitude. Je n’ai aucun problème avec l’opposition, mais je crois qu’elle doit être cohérente dans sa démarche.
Les quatre candidats malheureux se réunissent souvent. Est-ce une opposition dans l’opposition ?
C’est inacceptable et ça, je pense que tous ceux qui sont dans l’opposition doivent le refuser. L’opposition ne se réduit pas à ces gens. Il n’y a pas d’anciens candidats dans une démocratie. Ça ne signifie rien ; ça ne veut rien dire. C’est comme lorsque nous étions dans la coalition Idy 2019. Tous ceux qui avaient été recalés sont venus envahir cette coalition, perturber toute la campagne ; pour dire que ce sont eux les candidats recalés. Même sur le protocole, il arrivait qu’ils perturbent tout, en disant qu’ici, ce sont les candidats recalés qui doivent s’asseoir ici, un autre ne doit pas s’asseoir. Ça, nous ne l’accepterons pas. Ce n’est pas possible. La notion d’anciens candidats n’existe pas en démocratie. La notion de pôle des non-alignés, aussi. Ce qui existe, c’est ceux qui sont avec Macky Sall et ceux qui sont dans l’opposition. Le pôle des non-alignés travaille pour Macky Sall comme une bonne partie de la société civile électorale. La société civile électorale, c’est juste une société civile pour capter des fonds. Aucune crédibilité ! ce sont des gens qui ont constaté les différentes violations des droits humains, les différents coups de force de Macky Sall et ils ont été incapables de les dénoncer.
Propos recueillis par Madou MBODJ