Encore des révélations dans l’affaire de corruption qui met au banc des accusés une fois de plus Papa Massata Diack. Mais, cette fois-ci, il s’agit d’un paiement de 4,5 millions de dollars, versé par les organisateurs des championnats du monde d’athlétisme 2019 au Qatar à Papa Massata Diack, quelques heures avant que Doha ne remporte le droit d'accueillir l'événement. Ce paiement de 4,5 millions de dollars, qui n’a jamais été révélé publiquement depuis l’éclatement de cette affaire qui a valu au père de Papa Massata Diack d’être mis en résidence surveillée en France, a été ébruité par nos confrères de Mediapart, Der Spiegel et le Guardian, qui ont consulté des documents.
Selon des informations recueillies par Mediapart, The Guardian et Der Spiegel, l'attribution de Doha 2019 est visée par la vaste enquête judiciaire française sur la corruption au sein de l’Iaaf, instruite par la juge Bénédicte de Perthuis depuis le départ de Renaud Van Ruymbeke. En effet, les enquêteurs ont établi que Doha a promis, quelques heures avant le vote du 18 novembre 2014, de verser 37 millions de dollars à l’Iaaf, dont 4,5 millions pour acheter les droits nationaux de l'événement. Un projet de contrat, négocié trois mois plus tard, stipulait que ces 4,5 millions devaient être versés à The Sporting Age, une société-écran à Singapour contrôlée par Papa Massata Diack, le fils du président de l’Iaaf à l’époque, Lamine Diack. La nouvelle direction de l’Iaaf, arrivée aux commandes en août 2015, après l’élection à la présidence du Britannique Sebastian Coe, nous a indiqué avoir modifié ce contrat par la suite et qu’il n’a finalement pas bénéficié à The Sporting Age. Nos confrères renseignent que les négociations ont commencé par une réunion au sommet, le 12 mai 2013, entre le président de l’Iaaf, Lamine Diack et l’émir du Qatar de l’époque, Ahmad al-Thani. Un compte-rendu confidentiel, saisi par les enquêteurs lors d’une perquisition au siège de l’Iaaf à Monaco, est sans ambiguïté : la fédération internationale propose au Qatar d’acheter les droits télé et de sponsoring de ses compétitions, en lien direct avec l’attribution des Mondiaux 2019 à Doha.
Le Qatar a promis 37,5 millions de dollars juste avant le vote
Plusieurs autres séances ont suivi, menées par le cheikh Saoud bin Abdulrahman al-Thani, secrétaire général du Comité olympique du Qatar (Coq). Mais le 10 novembre 2013, il écrit au secrétaire général de l’Iaaf, Essar Gabriel, que la «proposition» de la fédération est toujours «à l’étude». Manifestement inquiet, Gabriel fait suivre le courrier aux Diack (père et fils), en leur indiquant qu’une rencontre «entre le président [Lamine Diack – ndlr] et l’émir» lui semble «plus que jamais d’importance».
Les non-dits d’un courriel
L’émirat finit par accepter, un an plus tard, juste avant le vote final du 18 novembre 2014, qui opposait Doha à Eugene (États-Unis) et Barcelone. La veille, le Coq envoie à Lamine Diack un courrier promettant de construire dix stades d’athlétisme dans le monde. Puis un second courrier, le 18, soit quelques heures seulement avant le scrutin, où le Coq promet au président de l'Iaaf des «avantages supplémentaires» : un sponsoring à 30 millions de dollars d’une banque qatarie, et l’achat des droits télés par BeIN pour 2,5 millions de dollars. Une surenchère démentie par l’Iaaf, sauf qu’il y avait, dans le courrier envoyé le jour du vote, une troisième promesse restée jusqu’ici confidentielle : le comité d’organisation de Doha 2019 accepte de réévaluer, en le portant de 2 à 4,5 millions de dollars, l’achat à l’Iaaf des droits des Mondiaux pour le territoire du Qatar, c’est-à-dire l’exploitation de la billetterie et des sponsors nationaux. D’ailleurs, précisent nos sources, ce contrat aurait dû être négocié par Dentsu et AMS mais le deal a été sous traité par la société-écran contrôlée par Papa Massata Diack, baptisée The Sporting Age et immatriculée à Singapour. C’est ce que montre un contrat non signé rédigé en février 2015, retrouvé par les policiers lors d’une perquisition au siège de l’Iaaf.
L’Iaaf ne nous a pas précisé pourquoi le contrat à 4,5 millions négocié en février 2015 entre Doha 2019 et The Sporting Age, la société singapourienne de Papa Massata Diack, n’a finalement pas été conclu. Selon nos informations, la même société The Sporting Age a reçu, à partir de septembre 2014, 4,3 millions de dollars du comité d’organisation des Mondiaux d’athlétisme 2015 de Pékin, en vertu d’un contrat d’achat des droits nationaux similaire à celui négocié avec Doha. PMD a aussi touché, via d’autres sociétés, des commissions sur les contrats de sponsoring et de diffusion télé passés par les groupes chinois Sinopec et CCTV. Officiellement, Papa Massata Diack n’a rien à voir avec The Sporting Age. La société appartient à un Singapourien nommé Tan Tong Han. L’enquête a établi que ce consultant en marketing sportif était le collaborateur et surtout le prête-nom de PMD.
Les relevés bancaires de The Sporting Age, obtenus par les juges, ne laissent guère de doute. Lors de l’année qui a suivi le paiement chinois de 4,3 millions de dollars, The Sporting Age n’a reversé que 1,3 million à AMS, la société suisse qui gère les droits de l’Iaaf. Tan Tong Han, propriétaire officiel de la société, n’a touché que 75.000 euros. En revanche, The Sporting Age a viré 1,87 million de dollars sur le compte d’une des sociétés de PMD au Sénégal. La société a aussi financé 171.173 euros de frais professionnels de PMD, ainsi que ses séances de shopping à Abou Dhabi (27.130 euros) et à Paris. The Sporting Age a viré 126.787 euros à une boutique de luxe du quartier des Champs-Élysées. Interrogé par les policiers, le gérant a confirmé que Papa Massata Diack lui avait acheté à plusieurs reprises des montres et objets de luxe, pour un montant total de 1,7 million d’euros.
Samba THIAM