«Deloo na avance bi», c'est ce que le prêcheur Oustaz Oumar Sall a rétorqué au procureur, qui l'a acculé lorsqu'il l'interrogeait sur les accusations de diffamation, d'insultes commises par le biais d’un système informatique et provocation par un moyen de diffusion publique d'actes d'intolérance entre des personnes. Après avoir été reconnu coupable de ses chefs, il a été condamné à 6 mois de prison assortis du sursis par le tribunal des flagrants délits de Dakar hier, vendredi.
Inculpé pour diffamation, insultes commises par le biais d’un système informatique, provocation par un moyen de diffusion publique et d'actes d'intolérance entre des personnes, Oustaz Ahmed Oumar Sall a finalement comparu hier, vendredi 8 décembre devant le tribunal des flagrants délits de Dakar alors qu'il est en détention provisoire depuis le 20 novembre dernier. Ce maître coranique, dans ces prêches, avait soutenu que «le fait de se regrouper après la prière et d'invoquer le nom du Tout Puissant ne fait pas partie de la religion, mais aussi que le Prophète (Psl) et ses disciples ne le faisaient pas puisque ceci n'est que du folklore. Il persiste en soutenant que pour répandre sa confrérie, Cheikh Tidiane avait scellé un pacte avec les djinns puisque ces derniers lui avaient soufflé des versets du Coran à réciter. Il ajoutait que Cheikh Tidiane disait que les talibés pouvaient forniquer et que ceci ne constituait pas un péché». Mais devant la barre, hier, Oustaz Oumar Sall s'est totalement débiné. «Il y a une partie des propos que je reconnais et d'autres que je ne reconnais pas. Je ne fais qu'enseigner les écrits du Prophète (Psl). Et ce dernier n'a jamais enseigné ce genre de regroupements qu'ils font tout en psalmodiant le nom d'Allah. Je reconnais avoir dit : "kumu naxari nga dé"». Toujours dans sa défense, Oustaz Oumar Sall déclare : «je n'ai visé, ni indexé personne dans cette vidéo. En âme et conscience, je n'ai adressé ces déclarations à personne. Chacun peut faire une interprétation qu'il voulait des propos que j'ai tenus. Quand cette affaire a été ébruitée, j'ai fait une vidéo pour répliquer afin d'éclairer la lanterne des Sénégalais. C'était pour dire que mes propos ne sont destinés à personne. Ce ne sont que des enseignements que je faisais».
Concernant le fait qu'il ait dit devant les enquêteurs que Cheikh Tidiane Cherif, pour répandre sa confrérie, avait scellé un pacte avec les djinns, Oustaz Oumar Sall retourne son manteau. «On ne m'a jamais questionné sur ces propos à la police. Je dois préciser que c'est en 1997 que j'ai commencé à enseigner. Et par rapport à ces déclarations que j'ai tenues à cette époque-là, j'ai dit qu'il y avait des penseurs qui ont dit que Cheikh Tidiane était de confession chrétienne et qu'il s'appelait Michel. Ceci est un enregistrement sonore que j'avais fait lors d'une formation en 1997. Et quand les enquêteurs m'ont interrogé sur ces propos, j'ai reconnu les avoir tenus. Mais j'ai précisé que c'était lors d'une session d'enseignement. En ce temps-là, j'avais 300 talibés. En ce qui concerne l'autre vidéo incriminée, elle est récente. Mes accusateurs ont collecté des enregistrements sonores que j'avais faits en 1997 pour les coller à ces images», a-t-il expliqué.
Oustaz Oumar Sall présente ses plates excuses
Et même si la présidente de l'audience a été un peu tendre envers lui, ce n'est pas le cas du procureur de la République. Le maître des poursuites, pour arriver à lui faire cracher le morceau, lui dit : «tu visais qui en faisant ces déclarations ?» Pas de réponse de Oustaz Oumar Sall. Mais le parquet pousse le bouchon plus loin: «so nieuwe ba fi nga bëgg delloo avance daf may jaaxal» (si tu viens jusqu’ici pour te débiner, ça m’étonne). D'un ton taquin, Oustaz Oumar Sall lui rétorque : «ceci est votre appréciation. Delloo na avance bi book» (je me débine donc). Présentant ses plates excuses, le prêcheur soutient : «j'avoue que ces propos font partie de ce qui me fait le plus mal dans ma vie. Ces propos que j'ai tenus font une tache indélébile sur ma vie. Je demande pardon à toute personne qui s'est sentie offensée».
Les plaignants enfoncent Oustaz Sall, leurs avocats réclament le franc symbolique et la déclaration de culpabilité
Par ailleurs, le tribunal a entendu certains membres du collectif des parties qui ont porté l'affaire devant la justice. Parmi eux, il y a le nommé Assane Kandji. Ce dernier s'est offusqué des attaques de Oustaz Oumar Sall. «Ce sont nos aïeux qui faisaient le "wazifa et le khadratou Jummah". Il considère ça comme un péché. Cela veut dire que nos aïeux ont pendant tout ce temps-là vécu dans le péché. Ce qui fait que nous nous reconnaissons dans ces propos qu'il a tenus puisque c'est notre confrérie qui fait le "wazifa" après le "khadratou Jummah"», sérine-t-il. Son condisciple, le sieur Cissokho ajoute : «il a l'habitude de nous attaquer. Il est allé jusqu'à dire que le "khadratou Jummah" est du folklore. La vidéo qui date de 1997 fait l'objet d'une réactualisation. On ne peut pas avoir le droit à l'oubli». Un autre de tonner : «notre foi repose sur les enseignements de Cheikh Tidiane. Nous estimons qu'il nous a offensés en tenant ces propos». À la suite de la déposition de ces membres du collectif constitués en parties civiles, leurs avocats ont réclamé le franc symbolique puis la déclaration de culpabilité de Oustaz Oumar Sall.
Me Yéri Ba : «j'estime que ses excuses ne sont pas sincères. On ne peut pas violer la personne dans ses convictions»
«Ce pays est fondamentalement ancré dans l'Islam. C'est un rafraîchissement perpétuel qu'on nous fait avec cette vidéo qui date de 1997. Il a reconnu à la barre avoir discrédité Cheikh Tidiane en soutenant qu'il était chrétien et qu'il s'appelait Michel. Les faits pour lesquels il est poursuivi sont constants. Nous vous invitons à de l'ouverture d'esprit. Dans sa défense même, il a des Tidianes. J'estime que ses excuses ne sont pas sincères. On ne peut pas violer la personne dans ses convictions. Je sollicite une application rigoureuse de la loi à son encontre».
Me Samba Diallo : «il faut faire cesser ces agissements en entrant en voie de condamnation contre lui»
«C'est une goutte d'eau qui risque de faire déborder le vase si on n'y prend garde. Aujourd'hui, nous sommes atteints. Pourquoi aller jusqu'à calomnier ? Il croit en une chose et personne ne le dérange. Nous ne sommes pas là aujourd'hui pour des questions religieuses, mais nous nous battons pour la postérité. Nous vous demandons de faire cesser ces agissements en entrant en voie de condamnation contre lui». Me El Hadji Dièye de renchérir : «ces propos qui ont été tenus compromettent la sécurité publique. Ce procès, c'est pour sécuriser la paix et la cohésion du Sénégal»
Me Ousseynou Gaye : «vous ne prêchez pas, vous péchez tous les jours M. Sall»
«À travers ses prêches incendiaires, il fait de la religion un sujet de division. Il nous a fait le tort d'être tombé sur ce procès. Il se prend pour Dieu sur Terre en jugeant. Vous ne prêchez pas, vous péchez tous les jours M. Sall. Il assimile les photos des guides religieux tidianes à celles des lutteurs alors qu'il élève son marabout Ahmad Lo. Le projet qu'il prône est un projet politique. Ceux qui ont le temps de faire du mal sont ces prédicateurs qui ont leurs chaînes YouTube et débitent des insanités à l'endroit de leurs condisciples. Il faut le déclarer coupable des faits qui lui sont reprochés. Et pour la réparation, nous allouer le franc symbolique».
Le procureur charge Oustaz Oumar Sall et requiert une peine d’apaisement de 3 mois de prison dont 1 ferme
Selon le parquet, il ne s'agit pas aujourd'hui de départager le prévenu et les parties civiles sur ces principes religieux. «Je ne voudrais pas qu'on change la nature du procès. C'est constant et avéré qu'il a tenu ces propos. Ce sont les Tidianes qu'il a visés lorsqu'il tenait ses propos. Il faut savoir assumer ses responsabilités. J'ai eu vraiment honte lorsqu'il a dit devant cette barre qu'il ne faisait pas allusion aux Tidianes. Ses propos ont offensé un nombre de personnes que vous même vous ne pouvez pas imaginer. Ce qu'il fait, c'est inviter ses disciples à être intolérants. Cette stabilité que nous avons maintenant, nous le devons à nos guides religieux. Je ne crois pas à ses excuses qu'il a faites avec un sourire sournois. Je requiers 3 mois de prison dont 1 ferme. J'estime que cette peine n'est pas sévère puisque nous sommes dans une logique d'apaisement», a explicité le maître des poursuites.
Le Pool des avocats de la défense, pour sa part, a assuré qu'il n'y avait pas d'infractions dans ce dossier. Membre du collectif des conseils de la défense, Me Abdoulaye Tall a sollicité un verdict d'apaisement. La robe noire a indiqué que ce procès est une bonne nouvelle pour les sciences islamiques, du fait qu'il a permis de recadrer le débat autour des croyances et de la religion. «Quand vous êtes interpellés par le savoir, répondez par le savoir et non par les injures et calomnies», a dit Me Tall à l'endroit de son client Oustaz Oumar Sall.
Ce dernier au final a été condamné à 6 mois de prison assortis du sursis.
Fatou D. DIONE