L’insécurité grandissante qui prévaut sur l’autoroute à péage a fini de pousser les usagers à la rébellion contre la société française Senac. Les multiples accidents sur l’autoroute, dont le dernier est celui qui a coûté la vie à Papis, membre du groupe Gelongal, a été la goutte de trop. Et en attendant que réagissent le gouvernement, l’Assemblée nationale ainsi que les associations de consuméristes, qui sont interpellés, les Sénégalais, de tout bord, se sont déchainés sur la société française.
Il aura fallu qu’une célébrité perde la vie sur l’autoroute de l’avenir pour que les Sénégalais exigent à la société française Senac de réagir. L’insécurité et notamment l’absence d’éclairage dans la plus grande partie de cette infrastructure, ont pourtant toujours été dénoncées par les compatriotes qui empruntent chaque jour l’autoroute à péage. Et même dans nos colonnes, nous avons eu à le dénoncer à plusieurs reprises.
La société française, qui n’avait pas jugé utile de donner suite à nos interpellations, a été rattrapée par son manque de respect notoire vis-à-vis des usagers. Et les internautes sénégalais n’ont pas manqué de dénoncer le fait avec la plus grande énergie.
Une plainte en vue, Me Assane Dioma Ndiaye se constitue
Dans ce projet qu’il convient d’appeler «Mettons la Senac devant ses responsabilités», des hommes politiques, des journalistes, des avocats très connus et bien d’autres Sénégalais de toutes les corporations, ont manifesté leur indignation. C’est le cas de l’ancien député Cheikh Oumar Sy. Dans un post sur sa page Facebook, le membre de Bës Du Ñiakk a informé de la mise en place, aujourd’hui, d’un Collectif citoyen contre les abus de l'autoroute à péage. «Suite au décès tragique de Papis de Gelongal, un Collectif citoyen contre les abus de l'autoroute à péage sera mis sur pied ce lundi 7 mai 2018 pour saisir le procureur de la République sur les nombreux manquements de la Société Eiffage. En l’absence d'une réaction des autorités publiques, nous citoyens devons mener le combat pour notre dignité et pour le respect de nos droits, étant donné que nous avons contribué à hauteur de 75% de nos impôts pour la réalisation de cet ouvrage privé», a expliqué l’ancien parlementaire, qui révèle : «Me Assane Ndiaye s'est porté volontaire pour être membre du pool d'avocats pour nous défendre contre la société Eiffage», identifiant l’avocat Me Bamba Cissé sur son post.
Aussitôt tombé, aussitôt commenté par une vague d’internautes dont l’ancien député libéral Babacar Gaye. «J'adhère. Sans oublier les homicides volontaires ou involontaires commis par des agents du service public sur les Allées du Centenaire et sur la route de Kaffrine-Nganda», participe-t-il.
Une pétition lancée, plus de 16.000 signataires déjà
Outre cette initiative de l’ancien député Cheikh Oumar Sy, une pétition a été également lancée en ligne pour obliger la Senac à électrifier l’autoroute. Intitulée «Éclairage autoroute à péage par Senac SA», la revendication, qui a été lancée par un Sénégalais répondant au nom de Baye Ngagne Diagne, a enregistré plus de 16.350 signataires (chiffres d’hier). «(…) Nous exigeons tout simplement l’installation de lampadaires, solaires éoliennes ou je ne sais quelle technologie encore, pour éclairer l’autoroute à péage. Où sont les associations des consuméristes, la société civile, la prévoyance routière, les députés élus pour défendre nos préoccupations...? Vous êtes invités pour une adhésion massive, car la vie de plusieurs millions de Sénégalais est en jeu», a expliqué l’initiateur de la pétition.
Une invitation à laquelle les internautes ont répondu massivement. Souvent, pour s’indigner de la situation, souvent pour expliquer une mésaventure qu’ils ont eue à vivre sur l’autoroute ou tout simplement pour donner les raisons pour lesquelles ils signent la pétition. «Je signe parce qu’à chaque fois que j'ai pris l'autoroute, la nuit, je me suis senti en insécurité jusqu'à la sortie. Il y a plein d'accidents qui s'y passent. Je signe parce que Abdoulaye Wade ne l'avait pas initiée pour que l'autoroute tue, mais pour qu'elle améliore les conditions de vie des Sénégalais», explique cet internaute. «Une autoroute à péage sans lumière ni sécurité, c’est du n’importe quoi. Les Français nous arnaquent avec la complicité de nos dirigeants». Souleymane Sy d’ajouter : «il est temps que ça cesse. C’est les Sénégalais qui en pâtiront».
Cheikh Yérim Seck : «M. Senac, oseriez-vous, si vous gériez un ouvrage de ce type dans votre pays, vous laisser aller à de telles légèretés»
Dans un texte rendu public, le journaliste Cheikh Yérim Seck a directement interpellé le patron de la société d’exploitation de l’autoroute, Gérard Senac, qu’il accuse, de par ses négligences coupables, d’avoir occasionné l’extinction d’un des plus illustres talents du monde audiovisuel africain. «Papis Baba Diallo, membre de Gelongal, titulaire du prix de meilleur réalisateur africain, a perdu la vie ce 5 mai 2018 sur l’autoroute que vous gérez. Les circonstances de l’accident qui l’ont emporté laissent entrevoir de graves négligences de votre part. Papis s’est retrouvé nez à nez avec un troupeau de bœufs déambulant sur la chaussée. Votre autoroute, la plus chère au monde, n’est pas clôturée. Comment pouvez-vous prendre autant de liberté avec l’étanchéité d’une route à grande vitesse aussi passante ?», questionne le journaliste.
Qui poursuit : «c’est donc dans l’obscurité que Papis, qui a payé les tarifs usuriers qui sont les vôtres pour pouvoir aller vite, a vu son chemin coupé par un troupeau de bœufs. Il a trouvé la mort». «M. Senac, ce n’est que dans une République bananière, un Etat fragile pour lequel vous n’avez aucun respect, que vous pouvez vous permettre d’accumuler autant de négligences. Votre autoroute, dont les tarifs de péage sont tout simplement caricaturaux, est un vaste cimetière où des Sénégalais de plus en plus nombreux laissent leurs vies», écrit notre confrère, qui rappelle au Français qu’il n’oserait jamais faire pareil dans son propre pays. «Oseriez-vous, si vous gériez un ouvrage de ce type dans votre pays, vous laisser aller à de telles légèretés ? Vous auriez été poursuivi, civilement et pénalement sanctionné pour mise en danger de la vie d’autrui ou homicide involontaire», note Cheikh Yérim Seck.
Adjouza : «les gens empruntent l’autoroute à péage pour plus de sécurité et de rapidité et non pour y trouver la mort»
Alors que pour la chanteuse Adjouza, les conditions de la disparition de l’artiste nous interpellent tous. Pour elle, les gens empruntent l’autoroute à péage pour se garantir plus de sécurité et de rapidité et non pour y trouver la mort. «Cette autoroute privée de normes essentielles pour la sécurité des usagers, me prive de mon ami à jamais. Il serait judicieux de la part de la société gérante de revoir l’éclairage, et les clôtures, car je n’ai plus envie de revivre pareille douleur de perdre un ami, un frère. En bonne croyante, je me plie à la volonté divine pour dire Adieu Papis, quoique la douleur passe très difficilement lorsque je situe sa mort à l’imperfection humaine», a déclaré la fille de Ouza Diallo.
Quand Maguette Sall dénonçait…
Mais, si le web sénégalais a été aussi critique envers la société française, c’est parce qu’à plusieurs reprises, des clients ont lancé des alertes sans que la Senac ne lève le petit doigt. Un cas spécifique avait alors attiré notre attention. Et comme pour nous conforter, le «post-dénonciation» sur le réseau social Facebook qui racontait la mésaventure d’un certain Maguette Sall a connu un succès extraordinaire. «Attention aux agresseurs sur le péage», titrait-il son mini-texte, comme pour avertir d’un danger. «Ce matin, alors que je roulais tranquillement sur l’axe Patte d’oie-Pikine, j’ai été soudainement surpris par une pierre lancée avec une force herculéenne qui a fini par casser un petit peu le pare-brise de ma voiture. Le lanceur était certainement caché. Au même moment, je vois sur mon rétroviseur un scooter avec deux gars à bord. Malheureusement pour eux, je ne me suis pas arrêté et j’ai gardé ma vitesse jusqu’à la station où j’ai passé l’information et porté mes réclamations auprès des services de cette multinationale qui exploite l’autoroute», narre cet agent du ministère de la Justice qui commente : «On verra ce qu’il en sera. En attendant, soyez vigilants en roulant».
Sidy Djimby NDAO