
Cinq ministres de l’ancien régime ont été «livrés» à la Haute Cour de justice par l’Assemblée nationale, jeudi dernier. Dr Cheikh Dieng, bien que favorable à la reddition des comptes, estime qu’il y avait un préalable avant le vote de ces mises en accusation : la réforme de la Haute Cour de justice. L’ancien Directeur général de l’Onas craint que les nombreux manquements relevés par les experts dans le fonctionnement de la Haute Cour de justice ne fragilisent les décisions que cette juridiction d’exception va rendre.
Près d’une semaine après le vote des projets de résolution de mise en accusation de Ismaïla Madior Fall et Cie, Dr Cheikh Dieng a partagé ses réserves par rapport à la pertinence de la Haute Cour de justice et l’applicabilité de ses décisions.
Le leader de Feep Tawfekh signale «l’absence de double juridiction qui viole le droit fondamental à un condamné de bénéficier d’une instance d’appel, droit garanti par les conventions internationales auxquelles notre pays a souscrit et qui s’inscrivent dès lors comme normes supra aux lois nationales», fait noter Cheikh Dieng.
«La Haute Cour de justice est objectivement une Cour politique puisque»
Outre l’absence de double degré de juridiction, selon l’ancien maire de Djeddah Thiaroye Kao, cette Cour, composée majoritairement de parlementaires, donc d’hommes et de femmes qui appartiennent à un camp politique, celui du pouvoir, «est objectivement une Cour politique, en ce sens que ces politiques improvisés juges de circonstance pourraient répondre favorablement à une directive politique de leur parti, en entrant en condamnation contre les accusés», affirme M. Dieng, qui estime que «l’indépendance de la Haute Cour de justice ne répond pas aux exigences d’impartialité du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les sentences qu’elle prononcerait seront certainement perçues comme politiques, nonobstant la culpabilité avérée ou non des ministres mis en cause, accréditant l'idée de chasse aux sorcières brandie par les ex tenants du pouvoir».
«Avec sa composition, la Haute Cour de justice viole le principe de la séparation des pouvoirs»
Une autre inquiétude de l’ancien Directeur de l’Onas : le respect de la séparation des pouvoirs. En effet, note-t-il, «par sa composition, avec une majorité de 8 parlementaires qui siègent à la Haute Cour de Justice aux côtés du président, seul juge avec une compétence avérée, la Haute Cour de justice viole un principe fondamental de l’Etat de droit, à savoir la séparation des pouvoirs». Pour lui, l’Assemblée nationale devrait se cantonner à son rôle de vote des lois et de contrôle de leur exécution par le Gouvernement, puisque l’application des lois est une fonction exclusive des Cours et Tribunaux. D’après M. Dieng, il y a une violation de ce principe sacro-saint de l’Etat de droit et, par conséquent, «une incongruité constitutionnelle qui devra être rapidement corrigée».
Dr Cheikh Dieng attire aussi l’attention sur la violation des conventions internationales avec cette Cour. «Les décisions de la Haute Cour de justice sont légales et contraignantes. Toutefois, les avocats des mis en cause évoquent déjà une procédure d’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle qui refilera très certainement la patate à la Cour suprême, en raison de la violation manifeste des conventions internationales que nous avons évoquée supra et sûrement du principe de séparation des pouvoirs», fait il noter.
«Il y aura une violation des conventions internationales»
Poursuivant, Cheikh Dieng souligne qu’il ne fait aucun doute que les condamnations éventuelles que prononcerait la Haute Cour de justice seront déférées devant les instances internationales, en particulier le Comité des droits de l’homme de l’Onu ou la Cour africaine des droits de l’homme et «nul doute alors que ces instances mettraient le Gouvernement du Sénégal face à la responsabilité de ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne l’exigence d’une double juridiction de jugement et l’absence d’impartialité de militants politiques érigés en juges, fussent-ils des parlementaires investis d’un pouvoir désuet conféré par une disposition constitutionnelle obsolète», affirme le leader de Feep Tawfekh, qui rappelle les déboires de l’Etat du Sénégal face à Karim Wade, Khalifa Sall et plus récemment Lat Diop. «Notre pays devra-t-il porter indéfiniment les oripeaux d’un Etat qui ne respecte pas le droit international auquel il a souscrit ?», se demande-t-il.
«L’exigence de crédit de la reddition des comptes demande d’éviter toute précipitation préjudiciable»
C’est pourquoi Cheikh Dieng demande aux autorités de prendre le temps nécessaire pour réformer cette juridiction d’exception, avant toute poursuite. «L’exigence de crédit que nous devons conférer à la juste initiative de reddition des comptes demande d’éviter toute précipitation préjudiciable. En son état actuel, la Haute Cour de justice risque de produire des condamnations fragilisées par des manquements aux normes internationales». Donc, dit-il, le Gouvernement doit marquer le temps d’arrêt nécessaire pour mettre les formes qui conféreront aux condamnations éventuelles tout le crédit juridique nécessaire et rendre les décisions exécutoires sur le plan international. À cet effet, Cheikh Dieng recomande «impérativement et urgemment de réformer la Constitution en ce qui concerne la Haute Cour de justice en revisitant son mode de fonctionnement pour permettre la saisine de la Cour suprême comme instance de second degré de jugement et en revoyant sa composition ; les députés improvisés juges seront remplacés par des magistrats aguerris dont le métier est de dire le droit et le dire en toute impartialité», propose-t-il.
Nd. Kh. D. F