Après 23 ans de silence institutionnel, les familles des victimes du naufrage du Joola lancent la première Journée internationale du Joola (Jij). Une initiative pour briser l’oubli, exiger justice, et inscrire la tragédie dans l’histoire nationale.
Il aura fallu près d’un quart de siècle pour que les victimes du Joola soient honorées à la hauteur du drame. Pour la première fois depuis le naufrage du 26 septembre 2002, l’Association nationale des familles des victimes et rescapés du Joola (Anfvr-Joola) organise une Journée internationale du Joola (Jij). Les assises de cette première édition sont prévues les 28 et 29 juin 2025 à l’Université Assane Seck de Ziguinchor (Uasz), avant de se poursuivre le 5 juillet à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Une première dans un espace universitaire sénégalais, 23 ans après une des plus grandes tragédies maritimes civiles de l’histoire contemporaine.
Un oubli qui pèse lourd
Le président de l’Anfvr-Joola, Cyprien Lopy, ne mâche pas ses mots : «aucun événement commémoratif d’envergure n’a été organisé dans nos universités. C’est une tragédie effacée des mémoires officielles.» Et pourtant, les chiffres sont implacables : 1953 morts, 65 rescapés, 444 étudiants et nouveaux bacheliers, 27 jeunes footballeurs, 16 nationalités touchées et 1916 orphelins laissés derrière. Un drame d’État, mais une mémoire orpheline.
Selon les organisateurs, la Jij vise à «lutter contre l’oubli et prévenir l’avenir». Objectif : redonner une voix aux familles, poser les vraies questions, et enclencher un vrai travail mémoriel. «Nous voulons que cette histoire soit enseignée, discutée, commémorée dans les lieux de savoir», insiste M. Lopy.
Ziguinchor, choix du cœur et de la raison
La tenue de l’événement à l’Uasz n’est pas un hasard. L’établissement universitaire est né dans l’ombre du naufrage. « Cette université est le symbole d’une reconstruction, d’un hommage silencieux qu’il faut rendre visible. Nous voulons en faire un centre de mémoire, un carrefour de transmission », explique-t-il.
Durant ces journées, plusieurs activités sont prévues : « conférences académiques, expositions de témoignages, rencontres intergénérationnelles, ainsi qu’un hommage à feu Moussa Sissoko, premier président de l’Anfvr-Joola, disparu en 2015 ».
Des revendications qui restent en rade
Au-delà de la mémoire, les familles portent une liste de revendications non résolues : «renflouement de l’épave, prise en charge des rescapés et des orphelins, insertion socioprofessionnelle des jeunes touchés, création d’une Fondation Joola, institution d’un jour férié le 26 septembre», liste le président. Éveline Marie Ndiaye de lui emboîter le pas : «rien n’a été fait. Le silence est resté l’unique réponse. Il est temps que l’État transforme cette douleur en politique publique».
Les familles exigent également justice. Aucune procédure judiciaire n’a abouti, ni au Sénégal, ni ailleurs. L’impunité est devenue une norme. «Nous ne pouvons pas pleurer et attendre éternellement. La mémoire sans justice est un abandon», déclare M. Lopy.
Une page d’histoire à écrire ensemble
Avec cette Journée internationale, l’Anfvr-Joola espère ancrer le Joola dans la mémoire nationale et académique. «Ce drame appartient à toute la nation. Il est temps de sortir du mutisme officiel. Le Joola, ce n’est pas juste une tragédie passée. C’est une leçon encore ignorée», conclut Lopy.
Baye Modou SARR












