Le 26 mai dernier, la Cour d’appel d’Anvers a acquitté les 18 prévenus - membres du cercle estudiantin Reuzegom - d’administration de substances nuisibles et de négligence coupable ayant entraîné la mort de Sanda Dia. Ils ont cependant été condamnés à faire entre 200 et 300 heures de travaux d’intérêt général pour homicide involontaire, traitement dégradant et infractions à la législation sur le bien-être animal ainsi qu’à 400 euros de dommages et intérêts. Ces peines de travail ne seront pas inscrites dans l’extrait de casier judiciaire des 18 prévenus, contrairement à une peine de prison, comme réclamé par le parquet. Les prévenus, qui n'ont d'ailleurs jamais été nommés publiquement, verseront également des dommages et intérêts au père, au frère et à la belle-mère de Sanda, qui recevront des montants totaux respectivement de 15.000 euros, 8000 euros et 6000 euros. Les étudiants verseront également à la mère de Sanda la somme qu'elle a demandée à titre de dommages et intérêts : 1 euro.
L’histoire, c’est la mort tragique de Sanda Dia, jeune Sénégalais promis à un brillant avenir, mais tué par des fils à papa, membres de Reuzegom (fondée en 1946), une fraternité flamande de la KU Leuven qui a disparu bizarrement en 2018, coïncidant avec la mort de notre compatriote. Les parents des suspects qui sont des avocats, des hommes d’affaires puissants ont tout fait pour.
Un rituel de bizutage mortel
En décembre 2018, Sanda et deux autres nouveaux membres ont commencé le processus d'initiation, qui visait à tester leur loyauté envers la fraternité. Le bizutage, en tant que tradition, n'était pas une nouveauté pour les fraternités comme Reuzegom, mais ce qui s'est déroulé pendant l'initiation de Sanda était une combinaison de cruauté, d'humiliation et de négligence qui a échappé à tout contrôle.
Par une froide journée de décembre, l'initiation a commencé par des tâches apparemment inoffensives, notamment la vente de roses dans les rues de Louvain. Cependant, ce n'était que le début. Sanda, ainsi que les autres nouveaux membres, ont rapidement été contraints de boire de grandes quantités d'alcool, devenant rapidement gravement ivres. Il pouvait à peine marcher ou parler le soir. Mais au lieu de le laisser se reposer, les membres de la fraternité ont aggravé la situation en le traînant, lui et les autres nouveaux membres, dans une cabane isolée au fond d'une forêt, où les véritables horreurs ont commencé.
Une fois arrivés à la cabane, les membres de la fraternité ont forcé Sanda et les autres à creuser leurs propres fosses dans le sol. Les fosses furent ensuite remplies d'eau glacée et les jeunes furent obligés de s'asseoir dans l'eau glacée pendant des heures. L'hypothermie s'installa rapidement, mais la brutalité ne s'arrêta pas là. Sanda fut soumis à une série de tâches déshumanisantes, notamment l'ingestion de poissons vivants et la consommation de litres d'huile de poisson. L'huile de poisson, en particulier, lui fut inculquée en telle quantité qu'elle affaiblit encore plus son corps déjà en déclin.
Les membres de la fraternité continuèrent à tourmenter Sanda, le privant d'eau tout en le forçant à endurer des conditions glaciales. Ils urinèrent sur lui et, comme sa santé déclinait visiblement, ils versèrent davantage d'eau froide sur son corps dans une tentative vaine de le "choquer" pour le réveiller. Le soir, Sanda ne réagissait plus du tout, recroquevillé en position fœtale, mais les membres de la fraternité ne demandèrent pas d'aide médicale avant qu'il ne soit trop tard.
Le tournant tragique
Au cours de ce bizutage brutal, l’état de santé de Sanda s’est rapidement détérioré. Son corps succombait aux effets de l’hypothermie, de la déshydratation et de l’intoxication alcoolique. Malgré des signes évidents de détresse (à un moment donné, il s’est effondré et est devenu insensible), les membres de la fraternité n’ont pas fait grand-chose pour l’aider. Au lieu de cela, ils ont tenté de le réveiller en lui versant davantage d’eau froide, ce qui a encore aggravé son hypothermie.
Ce n’est que tard dans la soirée que certains membres ont finalement réalisé la gravité de l’état de Sanda. À ce moment-là, son corps avait beaucoup trop enduré et ses organes commençaient à lâcher. Paniqués, les membres de la fraternité ont emmené Sanda à l’hôpital, mais à ce moment-là, il était trop tard. Le 7 décembre 2018, Sanda Dia est décédé des suites d’une défaillance multiviscérale causée par les événements traumatisants du bizutage.
Dissimuler le crime
Au lendemain de la mort de Sanda, les membres de la fraternité ont tenté de dissimuler leur implication. Ils ont supprimé les messages compromettants d’un groupe de discussion, effacé toutes les photos ou vidéos de leurs téléphones et nettoyé méticuleusement la scène du crime. Malgré leurs efforts, la vérité sur ce qui s’était passé a rapidement émergé, déclenchant un tollé national. Une dame qui tient un blog en Belgique renseigne que les membres du club ont également tenté d'effacer leurs traces numériques, mais certaines vidéos et photos ont été récupérées. Elles montraient Dia inconsciente sur le sol, un membre de Reuzegom déféquant sur quelqu'un (Dia ou un autre initié) dans la fosse, et le groupe scandant «Coupez ces petites mains, le Congo est à nous» (une insulte célébrant les atrocités coloniales commises dans l'État indépendant du Congo, qui comprenaient des mutilations massives d'Africains) à un sans-abri de couleur dans la rue.
Les 18 membres de la fraternité Reuzegom impliqués dans le bizutage ont été rapidement identifiés, mais la justice s’est avérée difficile à obtenir. Ces jeunes hommes venaient de familles influentes, notamment des politiciens, des avocats et des chefs d’entreprise qui ont utilisé leurs ressources pour protéger leurs enfants de toute la rigueur de la loi. Le processus juridique a été entaché de retards et, malgré la gravité de leurs actes, aucun des membres de la fraternité n’a fait face à des conséquences immédiates.
La bataille juridique et le tollé public
Ce n’est qu’en 2023, quatre ans après la mort de Sanda, que l’affaire a finalement été portée devant les tribunaux. Les membres de la fraternité ont été accusés d’homicide involontaire et de traitement dégradant, et encourent jusqu’à 10 ans de prison. Le verdict du tribunal a toutefois choqué la nation : aucun des accusés n’a été reconnu coupable d’avoir administré des substances nocives ayant entraîné la mort. Le tribunal a jugé que les membres de la fraternité n’avaient pas été conscients des conséquences mortelles de leurs actes, en particulier de la consommation d’huile de poisson, malgré les preuves évidentes des souffrances physiques de Sanda.
Verdict de complaisance
Au lieu de cela, les membres de la fraternité ont été reconnus coupables de chefs d’accusation moins graves, notamment d’homicide involontaire, de cruauté envers les animaux et de traitement dégradant. Pourtant, la peine a été considérée comme une tape sur les doigts : 200 à 300 heures de travaux d’intérêt général et une amende de 400 euros chacun. La décision du tribunal de garder leurs casiers judiciaires privés a suscité l'indignation dans toute la Belgique, car beaucoup y ont vu un nouvel exemple de la façon dont l'élite manipule le système pour éviter une véritable responsabilité.
Disparition de la fraternité...
La fraternité était considérée comme élitiste et protégeait son exclusivité par une tradition de bizutage extrême. La fraternité n'avait aucun membre noir jusqu'en 2015. La deuxième personne de couleur à postuler est décédée lors de son initiation en 2018 à la suite d'abus commis par au moins dix-huit autres membres de Reuzegom.
Après la mort par bizutage de Sanda Dia, Reuzegom a été dissoute. En juillet 2020, l'identité de tous les membres de Reuzegom, présents et passés, avait été modérément supprimée d'Internet et des médias. Cependant, les noms des membres, des anciens et du présidium (les membres dirigeants) étaient de notoriété publique, les anciens membres de Reuzegom étant connus pour occuper des postes de pouvoir et de responsabilité. La légèreté de la peine et l’anonymat total qui règne autour de l’identité des membres de ce cercle élitiste soulève donc légitimement la question du racisme, du classicisme et de la reproduction des élites.
Samba THIAM
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