La Cour de justice de la Cedeao a jugé que la République du Sénégal a violé les droits à la liberté d'expression, à l'accès à l'information et au travail en fermant les services Internet et les plateformes de médias sociaux en juin et juillet 2023. L'affaire N°ECW/CCJ/APP/37/23 a été portée par l'Association des utilisateurs des technologies de l'information et de la communication (Asutic) et M. Ndiaga Guèye, consultant en informatique et président de l'association.
Contexte de l'affaire
Les requérants alléguaient qu'en réponse aux manifestations qui ont suivi la condamnation du leader de l'opposition, M. Ousmane Sonko, le gouvernement sénégalais, par l'intermédiaire de ses ministères de l'Intérieur et de la Communication, avait arbitrairement restreint l'accès à Internet et bloqué les données mobiles et les plateformes de médias sociaux. Ils soutenaient que ces actions constituaient une violation de leurs droits fondamentaux, notamment la liberté d'expression, le droit d'accès à l'information, le droit de réunion et le droit au travail.
La République du Sénégal a justifié ces fermetures, invoquant des préoccupations d’ordre public et de sécurité nationale en raison de la diffusion de messages prétendument subversifs.
Constatations de la Cour
La Cour a jugé qu'elle avait compétence pour connaître des plaintes relatives aux droits de l'homme. Concernant la recevabilité, la Cour a jugé recevables les demandes des deux requérants concernant la liberté d'expression et l'accès à l'information. Les demandes de M. Guèye relatives au droit au travail et à la liberté de réunion ont également été jugées recevables. En revanche, les demandes d'Asutic concernant le droit au travail et à la liberté de réunion ont été rejetées comme irrecevables.
La Cour a réaffirmé que l'accès à Internet et aux médias sociaux est un élément essentiel du droit à la liberté d'expression et d'information. Elle a jugé que les actions du Sénégal ne reposaient pas sur des fondements juridiques clairs, ne satisfaisaient pas aux critères de légitimité et de proportionnalité et violaient ainsi l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pidcp).
La Cour a également accepté la demande de M. Guèye selon laquelle la coupure d’Internet avait eu un impact négatif sur ses activités professionnelles en tant que consultant informatique, violant ainsi l’article 15 de la Charte africaine et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc).
Toutefois, la Cour a estimé que M. Guèye n’avait pas fourni suffisamment de preuves pour étayer sa plainte concernant une violation de son droit à la liberté de réunion et a donc rejeté cette plainte.
Décision du tribunal
Dans sa décision finale, la Cour a déclaré que les fermetures d'Internet et des réseaux sociaux étaient illégales et constituaient une violation des droits des requérants à la liberté d'expression et d'information.
Elle a déclaré que les fermetures constituaient une violation du droit au travail de M. Guèye. La Cour a octroyé 250.000 francs Cfa chacun à l’Asutic et à M. Gu7ye à titre de réparation pour la violation de leurs droits à la liberté d’expression et d’information. En plus la Cour a accordé une indemnité supplémentaire de 250.000 francs Cfa à M. Guèye pour violation de son droit au travail.
Elle a ordonné au Sénégal de s’abstenir d’imposer à l’avenir des restrictions illégales ou arbitraires sur Internet.
Samba THIAM