Si l’élimination de Karim Wade de cette course présidentielle est une surprise pour certains, ce n’est pas le cas de Cheikh Mbacké Dolly. L’ancien responsable du Parti démocratique sénégalais (Pds) estime que ce dernier mérite bien ce qui lui arrive. Pour lui, le fils de Wade a voulu jouer sur deux tableaux et il a perdu. Cheikh Mbacké Dolly soutient que cette attitude montre bien que Karim n’a aucune considération pour les Sénégalais, plus particulièrement les gens du Parti démocratique sénégalais qui se sont battus corps et âme depuis 2019 pour sa participation à la présidentielle. Évoquant les raisons de sa démission au Pds, l’ancien président du groupe parlementaire libéral affirme que c’est pour avoir conseillé à Karim de se départir de sa nationalité française que ce dernier l’a humilié lors des investitures pour les législatives de 2022.
Les Échos : vous étiez un membre éminent du Pds, mais vous avez décidé de démissionner. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette démission ?
Cheikh Mbacké Dolly : J’ai effectivement démissionné du Parti démocratique sénégalais à la suite d’une humiliation que j’ai toujours du mal à digérer. Pendant plusieurs années, je me suis consacré corps et âme au Pds, bravant tous les aléas de la politique. Tout le monde sait combien c’est difficile d’être dans l’opposition sous le régime du Président Macky Sall. Malgré tout, je leur ai tenu tête à l’Assemblée nationale devant leur majorité mécanique, en représentant dignement le Pds et l’opposition. Malheureusement, tout ce travail et ces efforts ont été anéantis du jour au lendemain, parce que j’ai osé donner mon avis sur un sujet qu’il ne fallait pas aborder.
Cette humiliation dont vous parlez, c’était de la part de qui, Me Abdoulaye Wade ?
Non je n’ai aucun problème avec Me Abdoulaye Wade pour qui je voue un respect immense. Tout le monde sait qu’actuellement, c’est Karim Wade qui fait la loi dans le parti. Donc, vous pouvez naturellement deviner que c’est lui-même mon bourreau. Je tiens d’abord à rappeler le contexte. C’était lors des élections législatives de 2022. Pendant les investitures, j’ai été tenu à l’écart par Karim Wade, parce que nous avions eu un petit accrochage quelques mois auparavant. N’empêche, j’avais espoir qu’il allait avoir un esprit de dépassement, vu tout le travail que j’avais fourni pour le Pds. Mais, il a choisi de m’éjecter tel un malpropre. Il m’a investi à la 13e place sur la liste nationale, alors que je devais diriger la liste départementale de Mbacké. Pire, il a choisi mon demi-frère qui n’est même pas membre du Pds pour qu’il dirige la liste départementale, pourtant j’ai obtenu plus de voix que Abdou Mbacké Dolly et Abdou Mbacké Ndaw à qui on a confié le département. Après réflexion, j’ai décidé de démissionner parce qu’il n’était pas question de subir cette humiliation, tout simplement parce que j’ai donné mon avis à Karim Wade sur un sujet qui, il disait, ne me concernait pas.
A vous entendre, on a l’impression qu’il y a eu un règlement de compte. Qu’est-ce qui a provoqué votre accrochage avec Karim Wade ?
Je vais commencer par rendre grâce au bon Dieu, parce que l’histoire m’a donné raison. C’est sa nationalité française qui lui a valu aujourd’hui son élimination de la liste des candidats de la présidentielle qui a été la source de notre problème. Je tiens à préciser que j’étais l’un des collaborateurs les plus proches de Karim Wade à un certain moment. Il m’appelait tout le temps pour recueillir mon avis sur beaucoup de sujets. Alors, après qu’il a été éliminé de la présidentielle de 2019, on s’est dit qu’il fallait nous projeter à la présidentielle de 2024. C’est au cours de nos discussions que je me suis permis de lui donner certains conseils pour gagner le fauteuil présidentiel. Mais il les a mal pris et puisque je suis de nature franc, j’ai assumé mes propos et ça l’a mis hors de lui.
Quels genres de conseils a pu provoquer une telle colère ?
Je lui ai dit qu’il fallait qu’il renonce définitivement à sa nationalité française et ensuite publier les preuves de sa renonciation pour que les Sénégalais puissent avoir entièrement confiance en lui et lui accorder leurs votes. Connaissant mieux que lui les réalités sénégalaises, je lui avais aussi conseillé de prendre une épouse sénégalaise pour s’ancrer davantage dans la société. De préférence une femme de la famille Sy de Tivaouane qui lui permettrait d’avoir une entrée dans cette ville sainte, puisque son statut de Mouride lui garantissait déjà l’adhésion de Touba à son projet. Et enfin, je lui avais demandé de s’entraîner à parler le wolof pour que cela soit une habitude au moment de la campagne. Mais, il s’est mis dans tous les états. Karim Wade est allé jusqu’à me traiter de raciste, parce que je lui ai fait comprendre qu’il fallait renoncer à sa nationalité française. Maintenant, l’histoire me donne raison. Quand on veut diriger le Sénégal, on s’investit pleinement. Pas à moitié.
Donc quand vous vous battiez au Conseil constitutionnel en 2019, vous saviez que Karim Wade avait toujours la nationalité française ?
Moi personnellement, c’est après que j’ai su. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait le plus mal. Alors qu’on était là à mener le combat de sa candidature, le monsieur était peinard au Qatar, en gardant jalousement sa nationalité française. La vérité, c’est que Karim Wade n’a aucune considération pour quiconque. C’est quand j’ai su qu’il avait toujours sa nationalité française que je me suis permis de lui donner ces conseils. Au lieu de les prendre du bon côté, il m’a traité de tous les noms d’oiseaux avant de couper les ponts, alors que ma seule intention était de bien faire les choses afin qu’il soit élu président de la République du Sénégal en 2024.
Est-ce que les autres responsables étaient au courant de cette histoire ?
Je ne sais pas. Moi en tout cas je n’ai jamais voulu évoquer ce thème avec quelqu’un d’autre directement. Même si je disais à certains d’entre eux que Karim Wade n’avait aucune considération pour le Pds, je ne leur ai jamais dit ce qui nous opposait réellement. La plupart se moquaient pensant que j’étais juste frustré. Au Pds, la majeure partie ne connaissent pas le vrai visage de Karim et ceux qui le connaissent réellement se taisent, parce qu’ils sont dans ses bonnes grâces. Moi j’ai préféré perdre ma place au soleil que de continuer à fermer les yeux sur certaines choses. Ma conviction, c’est que Karim Wade n’a aucun respect pour tous ces responsables qui se battent jour et nuit pour maintenir l’animation du parti. C’est de la trahison purement et simplement.
Vous semblez vous réjouir de sa situation actuelle…
Ce n’est pas de la réjouissance mais je suis reconnaissant que Dieu nous ait départagés et m’ait donné raison. Je me demande souvent si Karim Wade tenait vraiment à cette candidature. J’ai suivi tout le cirque autour de sa participation à la présidentielle, son hypothétique retour au pays et tout ce qui va avec ; et je disais à certains proches que ce n’est que de la mascarade. Parce que je connais bien l’homme. Karim Wade n’a aucun mérite si ce n’est d’être le fils d’un éminent homme, Me Abdoulaye Wade qui a bâti son parti politique dans la douleur et l’endurance jusqu’à son arrivée au pouvoir. Karim est venu profiter des fruits du travail de son père et au lieu de perpétrer les mêmes efforts pour faire avancer le parti, il a profité de l’influence de son père pour combattre d’honnêtes gens. Il a fait beaucoup de mal à des personnes qui ont réellement mouillé le maillot en donnant leur meilleur pour le Pds. Karim a oublié que le Karma existe et le voilà recalé pour la présidentielle.
Maintenant quel avenir pour le Pds ?
Après sa trahison envers les responsables, je doute bien que certains d’entre eux puissent lui pardonner cela. Le parti va voler en éclats. Ne soyez pas surpris de voir des responsables quitter le navire bientôt. Encore qu’ils ne savent pas tout. Ceux qui voudront fermer les yeux sur cet épisode et continuer à suivre Karim Wade dans ses délires, qu’ils sachent qu’il n’a jamais cessé de sacrifier ses responsables. Alors qu’il nous envoyait au front, nous battant comme des demeurés avec le régime de Macky Sall, Karim Wade cherchait en même temps un moyen de dealer avec le pouvoir. Il a joué à la victime et nous l’avons suivi. J’ai ouvertement accusé le Président Macky Sall d’être à l’origine de tous les maux de la famille Wade. Je l’ai même accusé d’avoir saisi la maison de Me Wade sous l’influence de Karim Wade, alors qu’il n’en était rien. C’est le Président Macky Sall qui a fini le chantier de cette maison. Pendant que je me débattais à l’Assemblée refusant tout privilège en tant que président de groupe parlementaire de l’opposition, Karim Wade bénéficiait des privilèges du régime. Je me suis engagé dans le combat pour le Pds dans l’opposition avec sincérité, je n’ai jamais été reçu en audience par le Président Macky Sall pendant cette période. J’ai catégoriquement refusé tout lien avec le pouvoir, parce que je suis une personne entière, quand je m’engage, c’est pour de bon. Donc imaginez ma surprise et ma déception quand j’ai appris tout ce qui se tramait sur mon dos. Le Conseil constitutionnel n’a violé aucune loi, Karim Wade n’a eu que ce qu’il mérite. On ne récolte que ce que l’on a semé. Que cela lui serve de leçon, on n’humilie pas d’honnêtes gens dont le seul tort a été de croire aveuglément à ce qu’on leur a présenté. Dans cette vie, tout se paie cash.
Ndèye Khady D. FALL











