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1000 MILLIARDS : La ficelle de trop d’Ousmane Sonko



1000 MILLIARDS : La ficelle de trop d’Ousmane Sonko

 
 
Le 27 octobre 2024, à Thiès, en pleine campagne législative, Ousmane Sonko lâchait une phrase qui fit aussitôt le tour des militants et des réseaux : «1000 milliards de F Cfa ont été retrouvés dans le compte bancaire d’un dignitaire de l’ancien régime». Cette affirmation, prononcée en wolof et relayée en témoignages et en vidéos, porta l’accusation au cœur du débat public et électoral.
 
 
 
En politique, les mots ne sont pas de simples mots : ce sont des charges. Annoncer qu’un «dignitaire» possède un milliard — pardon, mille milliards — place instantanément la cible sur la défensive, politise la justice et mobilise l’opinion. D’autant que la formule, livrée en wolof comme pour frapper la corde populaire, n’a pas laissé d’interprétation neutre : elle disait que «am na ci ño xamné sen benn compte rek fék nagnu fa lou ëpp mille milliards — il y en a parmi eux dont on a retrouvé plus de mille milliards dans un seul de leurs comptes».
Après cet épisode, un silence total est tombé sur le sujet. Ni Sonko, ni les cadres du parti ne sont revenus sur le point avec la force attendue après une telle charge verbale ; les militants, pourtant prompts à relayer les éléments de langage du leader, ne firent plus écho de l’affaire. Plusieurs médias notèrent cette abstention — un silence qui commença à ressembler à une stratégie par omission.
Puis, vendredi, l’affaire ressurgit à l’Assemblée nationale. Interpellé par le député Tafsir Thioye, Sonko n’a pas confirmé mot pour mot sa version de Thiès. La phrase dite en hâte sur les bancs de la campagne se transforma en une autre formule : «nous avons découvert un compte bancaire par lequel plus de 1300 milliards de F Cfa ont transité.» La précision, si l’on peut l’appeler ainsi, ne clarifie pas les faits : elle en change la nature.
Il faut lire l’écart. La première assertion — un compte où «on a retrouvé» mille milliards — suggère un magot immobile, un détournement ou une mise à l’abri, propre à déclencher une saisie et une instruction judiciaire ciblée. La seconde, un compte «par lequel ont transité» 1300 milliards, décrit un circuit, un intermédiateur, un flux financier potentiellement multiple, à interpréter comme une activité de transit plutôt que comme une possession. Ce n’est pas une simple nuance lexicale : c’est la différence entre accuser quelqu’un de dissimulation et évoquer l’existence d’un relais financier dans un réseau plus large.
Face à ces versions mouvantes, deux hypothèses s’imposent et seulement deux. Soit l’intention a été celle de la manipulation : proférer en campagne une accusation lourde pour frapper les esprits, sans disposer d’éléments vérifiables, dans l’espoir d’influencer le vote et l’agenda médiatique. Soit l’affirmation initiale résultait d’une information fragmentaire, mal vérifiée, rapportée en confiance et amplifiée par l’émotion du moment. Dans les deux cas, le constat est le même : la responsabilité d’un chef politique, et a fortiori d’un Premier ministre, commande transparence et prudence, surtout sur des montants capables de fragiliser des carrières et de déstabiliser des institutions.
Il faut souligner qu’Ousmane Sonko avait l’occasion, en répondant à la question de Tafsir Thioye, de montrer la grandeur d’un leader d’État : reconnaître qu’il s’était trompé et présenter ses excuses aux dignitaires de l’ancien régime injustement cités aurait été un geste de responsabilité et de maturité politique. Cela aurait permis d’apaiser un débat inutilement envenimé et de restaurer, au moins partiellement, la confiance dans la parole publique.
La temporalité compte aussi. Le contexte était électoral au moment de la première déclaration. Cet environnement exacerbe les dynamiques d’affirmation et de dénégations : en campagne, la tentation de «frapper fort» est réelle pour mobiliser, pour marquer l’ennemi, pour vendre une radicalité anticorruption. Mais la rhétorique de campagne n’est pas la procédure judiciaire. S’avancer en brandissant des sommes astronomiques sans dossier étayé revient soit à sacrifier la vérité à l’efficacité politicienne, soit à révéler l’amateurisme d’une cellule de veille censée sécuriser les propos d’un leader. Dans les deux hypothèses, on demeure en deçà de l’exigence républicaine.
Sur le fond, deux autres questions s’imposent au journaliste et au citoyen : d’où sortent ces chiffres ? et qui est le titulaire du compte ? Les déclarations publiques restent floues sur ces points. Les journalistes qui ont suivi le dossier ont recensé des indices, des soupçons, des recoupements, mais rien qui permette aujourd’hui, publiquement et de manière incontestable, d’attribuer la paternité d’un compte ou d’établir une culpabilité. L’ombre d’un « dignitaire de l’ancien régime » est une accusation politique qui demande à la justice et non à l’opinion d’apporter la lumière. En attendant, la seule certitude est l’ampleur des chiffres et l’imprécision des porteurs de l’accusation.
Politiquement, le dommage est déjà causé. Qu’on pense aux cibles potentielles, à la défiance générale envers les élites, à la tentative de redéfinir l’agenda public autour de l’idée d’un pillage organisé : en lançant ce type d’accusation en campagne, Sonko a activé des ressorts émotionnels puissants. Lorsque la version se transforme ensuite en « flux » et en « transit », ceux qui avaient pris la parole pour défendre la probité se retrouvent à chercher des preuves pour étayer une colère populaire déjà amorcée. La crédibilité du signal d’alerte en souffre. Et la politique se retrouve, une fois encore, accrochée à la ficelle des effets d’annonce.
Il reste à espérer que la suite sera plus claire : que les autorités compétentes publient les éléments de preuve, que la lumière soit faite rapidement et que les responsabilités, le cas échéant, soient établies sans langue de bois. Car la tentation d’utiliser la justice comme tambour de campagne est vieille, et dangereuse ; elle fragilise les institutions et rend la vérité dépendante des calculs politiciens. Si, au contraire, il s’avère que des malversations ont eu lieu, que la presse et la justice puissent traiter l’affaire sans que le bruit de la campagne n’ait contaminé la procédure. Dans un État de droit, la preuve précède l’accusation publique, et non l’inverse.
En définitive, l’affaire des « 1000 milliards » n’est pas seulement un épisode de plus dans la saga politique du moment : elle est un test de crédibilité. Pour Ousmane Sonko, désormais Premier ministre et chef de la majorité, la charge est double : il doit d’une part fournir des éléments quand il accuse, d’autre part s’abstenir de livrer des formules qui compromettent l’indépendance de la justice ou qui alimentent des rumeurs sans fondement. Pour la classe politique tout entière, c’est une leçon sur la responsabilité de la parole publique, surtout en période électorale ,et sur l’obligation de faire primer la vérité documentée sur la performance rhétorique.
La ficelle a peut-être fonctionné sur un instant : elle a mobilisé les réseaux, occupé l’espace médiatique et permis à son auteur d’apparaître, aux yeux de certains, comme le pourfendeur des nébuleuses financières. Mais lorsque la ficelle devient un fil qui attache la crédibilité du pouvoir à une manipulation possible, elle risque de se rompre de manière spectaculaire. L’opinion, volatile, pardonne parfois les effets, mais elle ne pardonne pas la trahison de la méthode. Et la politique, pour être durable, exige des preuves, pas seulement des effets.
 
 
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
(Correspondant permanent en France)
 
 
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