C’est une promesse de campagne qui est en passe de se transformer en réalité législative. Le projet de loi n°13/2025, arrivé le 6 août à l’Assemblée nationale, donne enfin au Sénégal un cadre légal de protection des lanceurs d’alerte. Promesse de campagne du Président Bassirou Diomaye Faye, ce texte structurant redéfinit les règles de la dénonciation, institue des mécanismes de signalement et de protection inédits, légalise l’autodénonciation et consacre la récompense du courage civique. L’ensemble du texte se décline en 22 articles, répartis en six chapitres, et trace une architecture solide pour une nouvelle éthique publique. Une révolution normative qui engage l’État dans une lutte ouverte contre l’impunité.
C’est un texte fondateur. Arrivé ce 6 août 2025 sur la table de l’Assemblée nationale, le projet de loi n°13/2025 portant statut et protection des lanceurs d’alerte concrétise l’un des engagements phares du Président Bassirou Diomaye Faye, qui avait fait de la bonne gouvernance et de la transparence un cheval de bataille pendant la campagne présidentielle. Le document, soumis par décret présidentiel n°2025-1312, sera examiné en session plénière extraordinaire le 18 août, aux côtés d’autres textes d’envergure, dont celui portant réorganisation de l’Ofnac, la loi sur l’accès à l’information publique et celle sur la déclaration de patrimoine.
Mais au-delà de la symbolique politique, ce projet de loi marque une rupture juridique et culturelle dans la gouvernance sénégalaise. Pour la première fois, le pays entend donner un statut clair aux citoyens qui dénoncent les abus, ériger un mur de protection contre les représailles, encadrer les procédures de signalement, et même récompenser ceux qui contribuent à la restitution des deniers publics détournés. L’ensemble du texte se décline en 22 articles, répartis en six chapitres, et trace une architecture solide pour une nouvelle éthique publique.
Dès l’article premier, le projet de loi définit avec précision le lanceur d’alerte comme une personne physique qui, dans le cadre de ses activités professionnelles, signale ou divulgue de bonne foi des informations relatives à des crimes ou délits financiers, des menaces à l’intérêt général, ou des violations dans la gestion des finances publiques ou privées. Ce signalement doit intervenir dans le strict respect des règles, et exclut les domaines relevant du secret protégé par la loi : défense nationale, enquêtes judiciaires, secret médical ou professionnel, et relations avocat-client.
L’article 2 élargit la notion de lanceur d’alerte en intégrant des personnes ou entités associées à l’acte d’alerte : Ong, collaborateurs exposés, entreprises en lien professionnel. Cette approche inclusive consacre une solidarité juridique entre celui qui alerte et ceux qui l’assistent ou lui sont associés. L’article 3 introduit une innovation majeure : le « prête-nom » de biens ou fonds illicites, qui dénonce volontairement sa participation à une opération illégale, bénéficie d’une exonération pénale et peut prétendre à une compensation financière. Toutefois, si le prête-nom est identifié par enquête avant sa dénonciation, il perd tout droit à la clémence et à la récompense.
Différents modes de signalement
Ensuite arrive le chapitre II qui précise « les procédures de signalement ou de divulgation ». Pour ce chapitre, l’article 4 autorise le lanceur d’alerte à procéder à un signalement interne (au sein de son entité) ou externe (auprès de l’autorité compétente), de manière anonyme ou non. L’organe anti-corruption est expressément désigné comme réceptacle officiel des alertes. Le texte prévoit des canaux de transmission diversifiés : courrier physique, voie électronique, ou appel téléphonique. «Le lanceur d’alerte, tel que défini par la présente loi, qui a obtenu, dans le cadre de ses activités professionnelles, des informations sur des faits de violations de droits énumérées à l’article premier du chapitre premier, qui se sont produites ou sont susceptibles de se produire dans l'entité concernée, peut procéder à un signalement par la voie interne ou externe dès lors qu'il estime qu'il est possible d’y remédier efficacement par ces voies et qu'il ne s'expose pas à des représailles. Le lanceur d’alerte peut également, sous couvert de l’anonymat ou non, choisir de procéder directement à un signalement externe au siège de l’autorité compétente. Les informations peuvent être transmises à l’organe anti-corruption sous couvert de l’anonymat ou non, par courrier physique, par voie électronique ou par appel téléphonique. L’organe anti-corruption est désigné pour recevoir et traiter les informations transmises par les lanceurs d’alerte ou les prête-noms de biens, de valeurs ou d’avoirs illicites», note l’article.
L’article 5 quant à lui détaille le fonctionnement du signalement interne, qui passe par un référent indépendant désigné dans chaque structure. Alors que l’article 6 fait de cette désignation une obligation légale pour toute personne morale, publique ou privée, qui devra également instaurer une procédure appropriée de réception et de traitement des alertes. Le référent est chargé d’analyser les signalements dans le respect strict de la confidentialité et, si nécessaire, de les transmettre à l’organe anti-corruption.
Les articles 7 et 8 précisent que les prête-noms peuvent eux aussi se présenter volontairement au siège de l’organe anti-corruption, et que des délais précis doivent être respectés : deux mois pour une réponse du référent, trois mois pour celle de l’organe compétent. Passé ces délais, ou en cas de collusion suspectée, le lanceur d’alerte est autorisé à rendre l’information publique. Cette disposition constitue un levier de transparence essentiel, qui empêche l’étouffement institutionnel des alertes.
Le chapitre III (mesures de protection des lanceurs d’alerte et prête-noms) est sans doute le plus attendu : il pose les bases juridiques de la protection des lanceurs d’alerte et des prête-noms. À ce propos, l’article 9 dresse une liste impressionnante des représailles interdites : licenciement, suspension, transfert arbitraire, dégradation, harcèlement, perte de revenus, diffamation, refus de promotion, orientation vers un traitement psychiatrique, etc. Il s’agit d’un véritable bouclier contre les pressions hiérarchiques, administratives ou professionnelles. La protection s’étend aux parents et alliés jusqu’au premier degré, sauf en cas de mesure fondée dans le cadre normal des fonctions. L’article 10 exempte le lanceur d’alerte de toute responsabilité civile ou pénale pour les dommages causés par son signalement, dès lors qu’il agit dans le cadre légal. Même la soustraction ou le recel de documents à des fins de divulgation est dépénalisée.
Protection absolue du lanceur d’alerte
L’article 11 renforce la protection de l’anonymat : l’identité du lanceur ne peut être révélée sans son consentement, sauf devant l’autorité judiciaire. Celle de la personne mise en cause reste également confidentielle tant que l’alerte n’est pas confirmée. L’article 12 prévoit que toute plainte du lanceur d’alerte pour représailles est instruite selon les procédures de droit commun. L’article 13 étend explicitement les protections du lanceur d’alerte aux prête-noms. Enfin, l’article 14 permet à l’organe anti-corruption de solliciter l’appui d’autres services compétents, nationaux ou internationaux, pour mettre en œuvre toute mesure appropriée de protection.
Le chapitre IV, consacré à l’autodénonciation et à la restitution des avoirs illicites, institutionnalise une dynamique de reddition volontaire. L’article 15 en précise les contours : seule une personne non encore poursuivie ou entendue peut se prévaloir de ce mécanisme. En échange d’une restitution complète des biens illicites ou de leur équivalent, l’auteur bénéficie d’une immunité pénale. L’article 16 prévoit une lourde sanction en cas de fausse déclaration : la peine la plus élevée s’appliquera, en plus de la confiscation des biens. Les modalités pratiques de la restitution seront définies par décret.
10% de récompense pour le lanceur d’alerte ou prête-nom en cas de condamnation judiciaire
Le chapitre V crée un Fonds spécial de recouvrement des biens et avoirs issus de la fraude, de la corruption, et des crimes économiques. L’article 17 en fixe l’objet : financer les récompenses accordées aux lanceurs d’alerte et soutenir des projets sociaux. L’article 18 en détaille les sources : contributions de partenaires techniques et financiers, et ressources issues des restitutions. L’article 19 établit une récompense pour tout lanceur d’alerte ou prête-nom dont la dénonciation aboutit à une condamnation judiciaire. L’article 20 fixe cette récompense à 10% du montant recouvré.
Ce projet de loi, inédit par sa portée, fait du Sénégal un précurseur dans l’espace francophone africain. Il consacre un droit nouveau : celui de parler sans peur. Il rompt avec une longue tradition d’impunité et de silence institutionnel. Il reconnaît enfin que ceux qui dénoncent les abus ne sont ni des traîtres ni des ennemis, mais des vigiles du bien commun.
Sidy Djimby NDAO













