Attendu depuis plus de deux décennies, le projet de loi n°14/2025 relatif à l’accès à l’information publique est enfin arrivé sur la table de l’Assemblée nationale, le 6 août 2025. Présenté comme une avancée décisive dans la refondation de l’État promise par le Président Bassirou Diomaye Faye, ce texte confère aux citoyens le droit de demander, consulter et obtenir des documents administratifs. Une victoire symbolique pour les journalistes et les acteurs de la société civile qui n’ont cessé d’en réclamer l’adoption. Mais si le texte pose les fondements d’une transparence institutionnelle, il reste profondément marqué par la culture du soupçon : l’administration conserve la main sur les informations sensibles, la liste des exceptions est longue, la commission indépendante est nommée par décret, et les journalistes ne bénéficient d’aucune garantie spécifique. Une loi qui proclame le droit de savoir, tout en ménageant les outils pour continuer à le restreindre.
Le 6 août 2025 restera peut-être comme un tournant symbolique dans l’histoire institutionnelle du Sénégal. C’est à cette date que le gouvernement a transmis au Parlement le projet de loi n°14/2025 relatif à l’accès à l’information, un texte longtemps réclamé par les journalistes, la société civile et les défenseurs des droits humains.
Une promesse démocratique tenue… sur le papier
Dans son exposé des motifs, le texte affirme vouloir «promouvoir la bonne gouvernance», «garantir l’effectivité de l’État de droit» et «renforcer la redevabilité des autorités». Il vise également à garantir aux journalistes, chercheurs, citoyens et membres de la société civile la possibilité de fonder leurs interventions publiques sur des faits documentés, vérifiables, et non sur des rumeurs ou spéculations.
Ce droit s’appliquera à une large gamme d’acteurs : les organes constitutionnels, les ministères, les collectivités territoriales, les entreprises publiques, mais aussi les entités privées bénéficiant d’un financement public ou d’une mission de service public (articles 5 à 10). Toute personne physique ou morale, de nationalité sénégalaise ou résidant au Sénégal, pourra adresser une demande, sans avoir à justifier de son identité ou de l’usage qu’elle compte faire de l’information (article 13).
Une innovation juridique saluée
Plusieurs avancées majeures sont à noter. En effet, le texte pose un principe général d’ouverture de l’information : «l’accès à l’information est la règle, le refus est l’exception».
« Au sens de la présente loi, l’information dont l’accès est organisé, recouvre des faits dont les principales manifestations sont : ‘’Contenus’’ : données et statistiques, chiffres, lettres, dessins, images, photographies, enregistrements audiovisuels. Contenants tableaux, documents, pièces rapports, études, actes administratifs (décret, arrêtés, circulaires, instructions, décisions), décisions de justice (jugements, arrêts et ordonnances), actes législatifs (lois votées par l’Assemblée nationale, lois promulguées, délibérations des conseils municipaux et des conseils départementaux, délibérations des organismes délibérants des organismes publics et parapublics, notes, bases des données. ‘’Support’’ : papier, électronique ou autre, informations sans support », stipule l’article 4.
Le texte fixe également des délais précis de traitement des demandes : 8 jours pour l’accusé de réception, 15 jours pour une réponse (articles 16 et 20).
« Dans le cas où le requérant ne sait ni lire ni écrire, l’assujetti reçoit sa demande dans un registre ouvert à cet effet. », lit-on à l’article 16. Alors que l’article 17 veut que « sous réserve des délais prévus par la présente loi, toute demande d’information adressée à un assujetti reçoit une réponse immédiate ». Et l’article 18 insiste que « dans le cas où la mise à disposition de l’information nécessite une instruction préalable ou l’intervention d’un support non immédiatement disponible ou exploitable, la réponse est fournie dans un délai de huit (08) jours francs suivant la réception de la demande, sauf motif dûment justifié ».
Le texte impose aux institutions assujetties de désigner un point focal à l’information, de tenir un registre des demandes, et de publier proactivement un répertoire des documents communicables (articles 11, 15, 18). Le texte crée également la Commission nationale d’accès à l’information (CONAI), autorité administrative indépendante chargée de recevoir les recours, de former les agents publics, d’évaluer les pratiques, et de produire un rapport annuel public (article 27). Enfin le texte punit pénalement l’entrave à l’accès à l’information (article 30), avec des sanctions allant jusqu’à six mois d’emprisonnement et deux millions de francs Cfa d’amende.
« Quiconque refuse ou entrave sciemment l’accès à un élément d’information, en violation de la présente loi, est passible d’une amende de 500.000 à 10.000.000 francs Cfa, sans préjudice de l’application des dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales. », note ce dernier article.
Autant de dispositions qui, en théorie, alignent le Sénégal sur les meilleures pratiques de gouvernance en Afrique, aux côtés de pays comme le Ghana, le Nigeria, la Tunisie ou le Kenya. Des pays où le droit d’accès à l’information est un levier de lutte contre la corruption, d’amélioration des services publics, et d’inclusion citoyenne.
Une victoire symbolique des journalistes… incomplète
Mais le texte adopté par le gouvernement est loin de répondre aux attentes formulées par les acteurs de la presse. Le Synpics regrette qu’aucune disposition ne reconnaisse un statut ou des garanties spécifiques aux journalistes. Aucun mécanisme d’accès prioritaire, aucune protection en cas de publication d’une information sensible, aucune immunité juridique n’est prévue.
En somme, les journalistes sont assimilés à tout demandeur lambda, alors qu’ils exercent une mission constitutionnelle : informer le public.
La Commission nationale d’accès à l’information : une autorité sous influence ?
Le projet de loi crée une Commission nationale d’accès à l’information (Conai), autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique (article 27). Elle sera chargée de «former les agents publics»; «sensibiliser le public»; «recevoir les recours»; «enquêter sur les violations»…
Mais cette indépendance reste fragile et purement théorique. L’article 28 indique que les membres de la Conai seront nommés par décret, sur proposition du président de la République, du Premier ministre, des ministres concernés, du médiateur de la République et de deux organisations de la société civile. Aucun membre n’est proposé par les organes de presse, les syndicats de journalistes ou les défenseurs du droit à l’information. Cela pose un problème de représentativité et de légitimité démocratique.
Pire, les pouvoirs de la commission sont consultatifs et non contraignants. Elle peut recommander, mais ne peut pas ordonner la communication d’un document. Elle peut enquêter, mais ne peut pas sanctionner une autorité fautive. En cas de conflit, le recours contentieux devant le juge administratif reste la seule voie de contrainte, ce qui suppose du temps, de l’argent, et une bonne connaissance du droit.
Des exceptions multiples… et problématiques
L’article 2 du projet de loi énumère une série de domaines exclus du droit d’accès : la sécurité publique, la défense, les relations diplomatiques, le secret de l’enquête, la vie privée, le secret industriel ou encore «tout autre secret protégé par la loi».
Cette formulation, très large, pourrait donner toute latitude aux administrations pour opposer des refus abusifs, même en dehors des situations réellement sensibles. En l’absence de test de proportionnalité ou de mise en balance avec l’intérêt public, un contrat pétrolier, un rapport d’audit ou une étude d’impact environnemental pourraient facilement être classés comme « confidentiels ».
Les modèles internationaux prévoient souvent une clause dite de prévalence de l’intérêt public : même lorsqu’une information est théoriquement protégée, elle doit être communiquée si son intérêt pour la société est supérieur à l’intérêt du secret. Rien de tel dans le projet sénégalais.
Une mise en œuvre suspendue à des décrets… et à la volonté politique
Le texte renvoie plusieurs points essentiels à des décrets d’application : les modalités de fonctionnement de la Conai, les formats de communication électronique, les modalités de saisine, et les voies de recours. Or, au Sénégal, il n’est pas rare que des lois soient adoptées mais jamais appliquées faute de décrets. La loi sur le mécénat culturel (2018), celle sur l’audiovisuel communautaire (2021) ou la réforme de la justice militaire (2016) en sont des exemples récents.
Comparaisons régionales : le Sénégal à mi-chemin
Dans la région ouest-africaine, plusieurs pays ont déjà adopté une loi sur l’accès à l’information. Au Nigéria, depuis 2011, la « Freedom of Information Act » garantit un accès large à tout document public, avec sanctions en cas de refus injustifié. Quand un journaliste demande une information, l’administration a 7 jours pour répondre. Au Ghana, la loi de 2019 prévoit une commission indépendante, des exceptions limitées, et des recours administratifs et judiciaires.
Alors qu’au Libéria : la loi de 2010 impose une transparence active des ministères et prévoit des sanctions pour les fonctionnaires récalcitrants. Plus proche de nous, Niger et Côte d’Ivoire disposent aussi de lois similaires, souvent mieux encadrées. Pendant ce temps, le texte sénégalais, en l’état, se situe entre volonté réformatrice et réflexes de contrôle. Il reconnaît un droit, mais le protège insuffisamment. Il ouvre des portes, tout en installant des serrures partout.
Une opportunité à ne pas manquer
Le 18 août prochain, les députés sénégalais sont convoqués en session extraordinaire pour examiner ce texte. Ils ont entre les mains la possibilité de faire entrer le Sénégal dans une ère nouvelle, où les citoyens ne sont plus spectateurs, mais acteurs du contrôle démocratique.
Cela suppose des amendements substantiels : « réduire la liste des exceptions et les encadrer juridiquement » ; « introduire une clause de prévalence de l’intérêt public » ; « garantir la transparence des contrats publics par défaut » ; « donner à la Conai des pouvoirs contraignants » ; « reconnaître une protection spécifique aux journalistes » mais aussi « obliger la publication proactive de certaines catégories de documents (budgets, audits, appels d’offres, conventions, etc.) »
Sidy Djimby NDAO













