Si les ténors de la lutte se paient le luxe d'avoir des cachets en centaines de millions, au bas de l'échelle, les lutteurs en herbe se font violence pour s'offrir des miettes eux-mêmes. Il faut impérativement vendre des billets d'entrée pour s'offrir un cachet et enrichir en même temps le promoteur qui ne débourse pas souvent. Nous avons mené une enquête à propos de ces contrats promoteur-lutteur mais aussi des pourcentages des managers et des écuries.
La lutte traditionnelle sénégalaise, ancrée dans des pratiques culturelles millénaires et célébrée lors de festivités communautaires, a prospéré pendant des siècles grâce à des compétitions locales où les règles, les techniques et les valeurs étaient transmises de génération en génération. Ce sport de combat, enraciné dans le patrimoine culturel, servait non seulement de divertissement mais aussi de rite de passage et de renforcement des liens sociaux au sein des communautés.
En revanche, le contrat lutteur-promoteur, typique de la lutte professionnelle moderne, symbolise la transformation du sport en un produit de divertissement commercialisé. Ces contrats, souvent complexes, définissent les obligations et les droits des lutteurs et des promoteurs, englobant des aspects tels que la rémunération, les conditions de travail, les droits de diffusion et les clauses de non-concurrence.
Au fil des ans, certains lutteurs, les ténors de la lutte plus précisément, se sont affrontés pour des cachets qui dépassent les centaines de millions. Ils sont cependant très peu à bénéficier de cet avantage sur plus de 3500 licenciés. Le constat est que le reste des lutteurs ou presque vit de miettes et devra passer par des conditions imposées, qui frôlent l'arnaque, par des promoteurs un peu trop ambitieux.
Les petits lutteurs doivent impérativement "vendre des billets pour avoir un cachet" en plus de "payer" les promoteurs
Souvent, les jeunes lutteurs demandent à leurs fans ou à leurs bienfaiteurs d'acheter leurs billets lors de leurs combats. Étaient-ils obligés, s'interroge-t-on souvent ? Mais en y regardant de plus près, on découvre effectivement que c'est une obligation de vendre ces billets et c'est la clause imposée par les promoteurs.
Rares sont ceux qui ont voulu aborder ce sujet des contrats qui lient les promoteurs aux lutteurs. On aura réussi à tirer les vers du nez d'un manager de lutte. Dans l'anonymat, notre interlocuteur nous plonge dans cet univers fallacieux.
"Ces pratiques de faire vendre aux lutteurs les billets d'entrée concernent tous les petits promoteurs", précise-t-il d'entrée. "Par exemple, le promoteur vient proposer à un lutteur un cachet de 200.000 F Cfa et lui imposé la condition de lui remettre 2 blocs de billets. C'est au lutteur de vendre ces blocs qui contiennent chacun 100 billets ce qui revient à 400 000 F Cfa. Le lutteur a donc obligation de vendre les billets, prendre de ces ventes ce qui lui est dû par le promoteur, c'est à dire son cachet et après il devra verser le reste, c'est-à-dire la moitié des ventes au promoteur. C'est le lutteur donc qui paie le promoteur et se paie lui-même son cachet avec la vente de ces billets", explique la source.
En cas de non vente des billets, "le lutteur perd son reliquat" et peut même être "poursuivi par le promoteur pour remboursement"
Le Cng de lutte qui se trouve être l'organe régulateur de l'arène doit recevoir les reliquats des lutteurs à chaque fois qu'un promoteur organise des galas de lutte. Mais ces reliquats en tant que tels, les lutteurs peuvent ne pas en recevoir un centime après leurs combats.
"Normalement le promoteur doit verser une avance au lutteur et déposer le reste du cachet au Cng. Mais le lutteur pour ne pas avoir écoulé tous les billets qu'il devait vendre, peut perdre ce reliquat-là’’, a déclaré notre interlocuteur.
Et de poursuivre : "après le combat, c'est son manager qui ira prendre son reliquat au Cng et le retourner au promoteur. Il peut même arriver que le promoteur poursuive le lutteur pour remboursement, au cas où le reliquat n'est pas suffisant suite aux sanctions financières infligées par le Cng".
"Ce problème de vente de billets a gâché la carrière de beaucoup de jeunes lutteurs qui ont perdu leurs licences à cause des reliquats ou que les promoteurs ne veulent plus leur donner de combat parce qu'ils n'arrivent pas à vendre les billets. Les promoteurs vont préférer dénicher un lutteur populaire, lui faire vendre les billets que de prendre les autres aussi talentueux qu’ils soient", martèle-t-il.
"La conclusion, c'est que finalement, ce sont les jeunes lutteurs eux-mêmes qui paient les promoteurs et se paient un cachet en même temps. Il arrive même qu’on voit les jeunes lutteurs verser de l'argent issu de la vente des billets le jour même de leur combat. C'est vraiment désolant".
Les managers et les écuries aussi "déplument" les jeunes lutteurs
Dans cette affaire, ce ne sont pas seulement "les promoteurs qui marchent sur les lutteurs, mais bien certains managers et écuries de lutte". Il nous confie que "même avec ces miettes que reçoivent les lutteurs, les managers prennent 10% de la somme aussi petite qu'elle soit et l'écurie aussi pareil. Ils n'hésitent pas à déplumer les jeunes lutteurs".
Justement, ces mêmes managers, nous avoue notre interlocuteur, se sont aussi formé un cercle restreint dont le billet d'entrée et une adhésion dans leur association. "Quelqu'un peut aller s'offrir une licence de manager de lutte en bonne et due forme au Cng de lutte, mais le problème, c'est que tant que tu ne fais pas partie de l'association des managers, tu auras toujours des difficultés à trouver un combat à tes lutteurs", dit-il avant de poursuivre : "parce que ces derniers refusent de signer avec un manager qui ne fait pas partie de leur association".
"Le plus grave, c'est qu'une seule personne peut se retrouver à être le manager de 10 lutteurs. Il arrive même que 2 lutteurs qui ont le même manager se confrontent, le Cng de lutte devrait revoir toutes ces pratiques et y remédier. Sinon les jeunes lutteurs ne s'en sortiront jamais", conclut-il.