Vote du projet de loi criminalisant le viol: l'opposition dénonce l'ambiguïté




 
Les députés ont acté hier la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Six (6) tours d’horloge auront été nécessaires aux parlementaires pour discuter et voter à l’unanimité le projet de loi N⁰20/2019 modifiant la loi N⁰65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal. Si certains ont loué le courage du chef de l’État qui a décidé de répondre aux cris de cœur des femmes, d’autres députés ont par contre émis certaines réserves. Une partie de la représentation nationale craint que les erreurs judiciaires, les règlements de comptes ne viennent gâcher la vie des présumés coupables. Les députés de l’opposition dénoncent par ailleurs une cacophonie dans l’élaboration du projet dudit projet de loi.
 
 
 
Des députés vêtus de blanc dans leur majorité, une forte présence du public composé essentiellement de femmes, d’associations des femmes juristes, de la société civile, voilà le décor qui a campé hier la séance plénière pour l’examen du projet de loi pour la criminalisation du viol et des actes de pédophilie. Désormais, quiconque est déclaré coupable de viol ou d’actes pédophiles sera condamné à perpétuité. Une mesure qui, selon certains députés, vient à son heure certes, mais mériterait d’être encadrée. Pour Cheikh Tidiane Gadio, il faut engager une concertation nationale sur la question. «Osons regarder la bête immonde dans les yeux. Au cours du mois de mai 2019, en seulement trois jours, trois sénégalaises ont été sauvagement violées et tuées, plongeant la nation entière dans la deuil», rappelle M. Gadio. «Selon certaines statistiques, en septembre 2006 et septembre 2007, il y avait 400 viols enregistrés au Sénégal, soit plus d’un viol par jour. Si l’on  considère les viols non enregistrés et non dénoncés à la justice, ces chiffres seraient plus alarmants», dénonce Gadio, selon qui le viol est malheureusement presque accepté dans la marque de fabrique sénégalaise, parce que perçu comme un accident regrettable, fréquent et banal, une honte pour la famille de la victime…
 
Mame Diarra Fam : «attention aux erreurs judiciaires, aux règlements de comptes»
 
Evoquant le cas de Lala Camara, Mame Diarra Fam soutient que douleur ne peut-être plus vive que de voir sa fille, nièce ou sœur, être victime de viol. Elle salue donc la criminalisation du viol ,mais évoque tout autant des réserves quant à la bonne application de ladite loi. «Attention aux erreurs judiciaires, notre justice n’est pas mature. Il faut mettre les préalables pour un bon encadrement de la loi. Il faut aussi des médecins légistes capables d’édifier sur la véracité des accusations», prévient la députée libérale. Pour Mame Diarra Fam, il faudra faire attention avec les faux certificats médicaux. «Avant de condamner à perpétuité, il faudra s’assurer qu’il y ait assez de preuves. Soyons vigilants aussi, il serait dangereux que les Sénégalais veuillent à travers cette loi faire des règlements de compte», déclare Mame Diarra Fam. Pour cette dernière, il y a un aspect à ne pas négliger, les femmes peuvent être plus exposées maintenant. «Les violeurs pourraient se dire dorénavant, puisque je serai condamné à perpétuité, autant tuer ma victime. Pensez à sécuriser davantage les femmes», dit-elle.
 
Sokhna Dieng Mbacké : «Plus on criminalise, plus les gens sont enclins à faire ces fautes»
 
 
Sokhna Dieng Mbacké elle aussi émet des réserves. D’après Mme Mbacké, criminaliser c’est bien, durcir les peines c’est très bien, mais cela ne suffit pas; il faut réfléchir à comment agir en amont et a priori pour la protection des femmes et des enfants. «Les chiffres sont effarants et font froid dans le dos. Que faire de tous ces détraqués sexuels ? La criminalisation ne résoudra pas tous les problèmes. Le cas de la drogue le prouve à suffisance ainsi que celui du vol de bétail. Plus on criminalise, plus les gens sont enclins à faire ces fautes», fait savoir la parlementaire.
 
Aïssatou Sabara : «Au-delà de l’atteinte physique, le viol et la pédophilie ont des conséquences psychologiques très graves»
 
Pour Aïssatou Sabara, la mobilisation des associations de femmes, de la société civile, prouve l’importance dudit projet de loi. «L’année 2019 a été dramatique pour la gent féminine. Elles ont été l’objet de toutes sortes de violence. Cette loi vient donc corriger ces faits en évitant que le viol ne tombe dans la banalité», souligne Mme Sabara. La parlementaire se dit certes en phase avec la loi, mais elle veut aussi attirer l’attention des autorités sur les mesures d’accompagnement à mettre en place pour une meilleure application de la loi. «Au-delà de l’atteinte physique, le viol et la pédophilie ont des conséquences psychologiques très graves. Il faut donc prévoir des mécanismes de prise en charge des victimes pour qu’elles puissent reconstruire leur vie. Pourquoi pas la mise en place d’un service d’aide aux victimes avec un numéro vert, une gratuité de la prise en charge médicale et psychologique pour les victimes» propose Aïssatou Sabara.
 
Serigne Cheikh Mbacké : «la loi en elle-même est salutaire, mais nous voudrions que l’homosexualité soit aussi criminalisé tout autant que le viol»
 
Serigne Cheikh Mbacké accuse le gouvernement d’utiliser ce projet de loi pour faire légaliser subtilement l’homosexualité. Le président du groupe parlementaire a usé de toutes les procédures pour faire ajourner le débat avec la révision de l’article 319 qui, selon lui, reste flou quant à son interprétation, mais c’est sans compter avec la détermination de la majorité qui s’est opposée à ses demandes. 
 
Mamadou Lamine Diallo : «le texte est ambigu, le projet de loi est mal fait»
 
Abondant dans le même sens, le leader de Tekki estime que le texte est ambigu et le projet de loi mal fait. «L’exposé des motifs du gouvernement est ambigu ; on nous parle de situation aggravante comme si il y avait du bon dans le viol. En ce qui concerne l’article 319, Cheikh Mbacké a raison, nous en avions discuté en commission et vous aviez proposé de supprimer l’article ; alors si on le retrouve dans ce nouveau texte, c’est légitime de se poser des questions», clarifie Mamadou Lamine Diallo, qui pense que l’exposé des motifs ne traite pas les victimes, il n’y a pas d’assistance psychologique. Le projet de loi est simplement mal fait, d’après M. Diallo qui n’a pas manqué de préciser qu’il est contre le viol et qu’il soutient donc sa criminalisation.
Marie Sow Ndiaye pousse la réflexion en demandant au gouvernement de revoir certaines définitions, si elles collent avec nos réalités. «Nous sommes tous contre le viol, mais certaines définitions comme le consentement peut avoir deux significations, selon l’Occident ou chez nous. Il nous faut mettre en place des mesures d’accompagnement pour espérer voir les choses évoluer», dit-elle.
 
 
Aminata Diao : «c’est honteux de vouloir s’opposer à la mise en œuvre de ce projet de loi»
 
Dénonçant l’attitude de Serigne Cheikh Mbacké, Aminata Diao trouve scandaleux qu’un député puisse, sur des considérations politiques, s’opposer à l’adoption d’un  tel projet de loi. «C’est honteux ! Mais ça se comprend. Quand on aspire à diriger un groupe parlementaire alors qu’on n’a pas les aptitudes nécessaires, on a tendance à politiser toutes les questions», souligne l’ancienne benjamine de l’hémicycle. 
 
Abdou Mbow recadre certains députés 
 
Abdou Mbow lui s’indigne de l’attitude de certains députés qui, visiblement, ne sont là que pour chercher la petite bête aux autres. «Quand on  vote sans débat, l’opposition crie sur tous les toit que la majorité est fautive et quand on émet des amendements avec des discussions approfondies, on nous sort qu’il y a eu des suspensions de séance du fait des contradictions. Il faudrait savoir faire un choix quand même», ironise-t-il. 
Ndèye Khady D. FALL

Dans la même rubrique :