SUSPENSION DES CONTRATS DE TRAVAIL DES MINEURS GRÉVISTES : L’Etat invité à recadrer Endeavour Mining/ SGO Sabodala Gold, les travailleurs déterminés à faire respecter leurs droits




 
 
 
La direction de Sabodala et les travailleurs ne parlent plus le même langage depuis quelques jours. Les employés de Sabodala Gold Operation (SGO) ont décidé d’aller en grève. Une situation qui n’est pas du goût de la direction. A travers un communiqué, la société Endeavour Mining a annoncé la suspension des contrats de travail des mineurs grévistes et leur expulsion des installations de Sabodala Massawa. Une décision de la société minière qui a fait sortir le collège des délégués du personnel de Endeavour Mining/SGO Sabodala Gold de ses gonds. À travers un communiqué qu’il a publié hier, le regroupement des délégués alerte sur la grave situation que traverse la société. Dans leur note, les travailleurs évoquent tour à tour la «prise en charge», la «vérification et le recalcul des rappels payés», les «heures supplémentaires des cadres» … Devant cette situation, les travailleurs demandent aux autorités d'inviter leur employeur à se conformer à la législation sénégalaise avant que l'irréparable ne se produise.
 
 
 
C’est peut-être le moment pour les autorités de sonner la fin de la récréation au niveau de la société minière Endeavour Mining. En tout cas, alors que Endeavour Mining a annoncé la suspension des contrats de travail des mineurs grévistes et leur expulsion des installations de Sabodala Massawa, le collège des délégués du personnel alerte sur une situation qui risque d’exploser.
Il rappelle que le différend qui les oppose à leur employeur porte essentiellement sur les points suivants : le calcul des heures supplémentaires; la suppression de la gratuité et la mise en place de forfait heures supplémentaires pour ces derniers avec paiement de rappels différentiels.
Évoquant la prise en charge, les délégués de rappeler qu’en 2016, la SGO a conclu un accord d'établissement avec les délégués du personnel.
« Sur la base dudit accord, il a été convenu avec les représentants des travailleurs de rémunérer les heures supplémentaires sur la base d'un forfait. Aux termes de l'article 9.1 de l'accord, pour la détermination du forfait, « les heures supplémentaires prises en compte dans le mode de calcul sont celles effectuées en application de l'horaire habituel applicable à chaque groupe de travailleurs au niveau de sa section ou département d'affectation. En application des dispositions du Code du travail en matière de rémunération, le forfait des heures tiendra compte du temps de présence des travailleurs ».
A cet effet, des montants ont été fixés en application des dispositions susvisées et calculés sur la base des salaires de l'année 2016. Cependant, conformément aux dispositions de l'accord, de 2016 à 2022, les salaires des travailleurs ont connu une augmentation conséquente. En effet, depuis 2017 et pour chaque travailleur, suite à l'évaluation annuelle des performances du mois de juillet, la SGO a procédé à l'augmentation du salaire brut de 3% », disent-ils encore.
En outre, notent les délégués, le calcul du forfait n'a jamais pris en compte les autres éléments du salaire tels que la prime de performance, la prime d'ancienneté et la valeur nominale des avantages en nature. En guise d’exemple, ils notent qu’en décembre 2022, après multiples négociations, les parties ont fini par signer un protocole d'accord par lequel la société s'était engagée à revoir les modalités de calcul du montant des heures supplémentaires en intégrant dans l'assiette la prime de production et la prime d'ancienneté.
Toutefois, en ce qui concerne les avantages en nature les délégués dans un esprit d'apaisement avaient opté de surseoir à cette demande jusqu'à ce que la Direction générale du Travail et de la Sécurité sociale délivre un avis juridique sur la prise en charge ou non de ces avantages dans l'assiette.
« Ainsi, les délégués avaient opté de renoncer à cette demande en attendant cet avis. Cet accord a d'ailleurs fait l'objet d'une homologation au niveau du Tribunal du Travail Hors Classe de Dakar pour faciliter le paiement rapide des rappels aux salariés. A la date du 2 novembre 2023, faisant suite à notre saisine, la Direction générale du Travail et de la Sécurité sociale (Dgtss) nous a transmis un avis juridique concernant les avantages en nature.
Dans sa réponse, elle a conclu, après une solide motivation, que « la prime de production et les avantages en nature doivent être pris en compte dans la l'assiette de calcul des heures supplémentaires. Cependant, après avoir reçu ladite correspondance de la Dgtss, la Direction de la SGO a refusé d'appliquer les conclusions et d'intégrer les avantages en nature dans l'assiette », renseigne le communiqué, notant que « pour motiver son refus, elle se limite juste à affirmer que les délégués du personnel ont renoncé à cette demande dans l'accord de décembre 2022. »
Toutefois, ils estiment que ce motif ne saurait prospérer pour plusieurs raisons. D'abord, disent-ils, un accord interne (entre employeur et délégués) ne peut pas prévoir des dispositions contraires à la Convention collective nationale interprofessionnelle, surtout lorsqu'elles sont moins favorables.
« Les délégués étant mandatés par les travailleurs, une renonciation à des droits ou avantages détenus par le travailleur du fait de son contrat de travail ou des conventions collectives ne saurait leur être opposée. Ensuite, insatisfaite de l'avis la Direction générale du Travail, la SGO a, par lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 11 juin 2024, sollicité auprès de l'Inspecteur régional du Travail et de la Sécurité sociale de Kédougou un avis technique relatif à l'intégration ou non des avantages en nature dans l'assiette de calcul des heures supplémentaires. Ce dernier par correspondance n°000109/IRTSS/KG en date du 12 juin 2024, a transmis la demande d'avis au Directeur général du Travail et de la Sécurité social afin de solliciter son assistance technique sur la question. Faisant suite à leur requête, le Directeur général du Travail et de la Sécurité sociale, a par lettre datée du 25 juin 2024 transmis sa réponse à la demande d'avis technique », ajoute le communiqué.
Dans sa correspondance, très bien motivée, il a réitéré sa position en indiquant clairement : « l'indemnité compensatrice d'avantage en nature » et les avantages en nature dans leur valeur nominale, doivent être pris en compte dans l'assiette de calcul des heures supplémentaires, car ils n'en sont pas exclus et ne constituent pas des remboursements de frais ». « Ainsi, en contemplation de tout ce qui précède, il est clairement établi que l'assiette de calcul appliquée au sein de la SGO n'est pas conforme à la législation. », ajoutent-ils. 
Sur la vérification et le recalcul des rappels payés suite à l'accord de 2022, les délégués, après vérification des forfaits des heures supplémentaires payés après l'accord de décembre 2022, notent qu’il a été constaté que les calculs ont été faits sur une base erronée.
« En effet, les vérifications ont permis de constater que lors de ses calculs erronés, le temps de présence de chaque travailleur a été imputé de 15 jours, sans aucune base juridique.
Par ailleurs, la Direction de la SGO, dans une démarche solitaire, a remis en cause le principe du forfait en supprimant le bénéfice du forfait heures supplémentaires en cas d'absence suite à une permission exceptionnelle. Le mécanisme du forfait est par essence un dispositif qui permet de rémunérer les salariés sur la base d'un nombre de jours travaillés mensuellement, sans décompte du temps de travail. Or en défalquant les heures de permissions dans le décompte du forfait, la SGO revient à un système de rémunération basé sur le temps de travail », lit-on sur le communiqué.
Cependant, disent-ils, malgré les éclairages juridiques de l'inspecteur régional du Travail et les engagements pris par la direction lors de la séance de conciliation du 07 juin, « nous sommes désolés de voir que la Direction tente d'inhiber la question en faisant une proposition d'intégrer que les 14 jours additionnels de congés »
Sur les « heures supplémentaires des cadres », les délégués notent encore dans leur communiqué que l’accord de décembre 2022 avait prévu que le paiement des heures supplémentaires aux cadres fera l'objet de négociations dans les meilleurs délais.
« Lors des négociations sous la supervision de l'Inspecteur régional du Travail, il était prévu que ce paiement aura lieu à partir du mois de juillet 2023. A ce jour, aucun paiement n'a été effectué. En contrepartie, la Direction propose une amélioration du système…
Cependant, nous aimerons indiquer que le système de gratuité est une création de la SGO Sabodala. Aucune disposition législative, réglementaire et conventionnelle au Sénégal ne reconnait ce système. Si tel est le cas, nous demandons à la Direction de nous fournir les références textuelles. A cet effet, les cadres qui sont d'abord des travailleurs, vivent depuis 2016 une injustice. La situation est d'autant plus injuste quand on sait que les cadres de Sabodala n'ont aucune liberté dans l'organisation de leur temps de travail. », ont-ils déclaré.
Par ailleurs, rapporte le communiqué, il est clairement indiqué au niveau de l'article 8.2 de l'accord d'établissement de 2016 que les cadres affectés de certains départements notamment la production bénéficient du paiement des heures supplémentaires.
« Au regard de ce qui précède, la Direction doit se conformer non seulement l'accord de 2016 conclu avec le personnel mais aussi à la législation sénégalaise. Toujours fidèles à nos principes de dialogue et de négociations, nous avons été jusqu'à Dakar pour continuer les discussions avec notre employeur. Cependant, malgré nos multiples concessions comparées à notre demande initiale, aucun accord n'a été trouvé. Face à cette situation, et en conformité avec les dispositions constitutionnelles et légales relatives au droit de grève, notamment celles des articles L.271 et suivants du Code du Travail, nous avons décidé d'exercer notre droit de grève à l'expiration du préavis de 30 jours.
Toutefois, il a été regrettable de noter que depuis cette décision, notre employeur a décidé de réagir en utilisant une démarche qui viole les règles basiques de notre législation. », soulignent les délégués.
 
L'illégalité des actes posés par la Direction de Endeavour Mining/SGO Sabodala Gold
 
 
 
Jugeant illégales les actes posés par la direction de la société, les délégués diront que pour porter atteinte à l'exercice du droit de grève des travailleurs, notre employeur estime que tous les moyens sont bons pour atteindre son objectif.
« D'abord, alors que la majorité des travailleurs sur site sont des déplacés hors de leur résidence habituelle et que notre hébergement et notre restauration doivent être assurés par notre employeur conformément aux dispositions de l'arrêté n° 5040/ITLS/SM du 17 juillet 1956 déterminant les cas dans lesquels le logement doit être fourni aux travailleurs, les conditions auxquelles il doit répondre notamment au regard de l'hygiène et pour assurer la protection des femmes et jeunes filles ne vivant pas en famille et sa valeur maxima de remboursement.
Aux termes desquelles « tout employeur est tenu d'assurer le logement en nature de tout travailleur permanent, qui n'est pas originaire du lieu d'emploi et n'y a pas sa résidence habituelle lorsque le travailleur ne peut, par ses propres moyens, se procurer un logement pour lui et sa famille », regrettent-ils. Et de dire que l'évacuation dudit logement n'est prévue par notre législation qu'en cas de rupture du contrat suivant les modalités prévues par les dispositions de l'article 61 de la Convention collective nationale interprofessionnelle de 2019.
Ensuite, le logement fourni à un travailleur déplacé par son employeur ne saurait en aucun cas être assimilé à un lieu de travail. En effet, disent-ils encore, contrairement à la prétention de la Direction, en observant ses heures de repos, le travailleur cesse son activité professionnelle et n'est plus soumis aux directives de l'employeur.
« Autrement dit, le lieu qu'occupe le travailleur en dehors des heures de travail, c'est à dire lorsqu'il cesse d'être à la disposition de son employeur, ne peut en aucun cas être considéré comme un lieu de travail au sens de l'article L.276 du Code du Travail », disent-ils. Et de regretter les demandes d'explications à des travailleurs dont les contrats sont suspendus
Dans plusieurs de ses correspondances, notre employeur affirme clairement que nos contrats sont suspendus par la grève conformément aux dispositions de l'article 70 du Code du Travail.
« Cependant, par un revirement extraordinaire, il a décidé d'entamer une procédure disciplinaire contre les grévistes en leur transmettant des demandes d'explications. », ajoute le communiqué.
Sur le remplacement des travailleurs grévistes par des travailleurs temporaires, les délégués diront qu’il ressort clairement des dispositions de l'article 12 du décret 2009-1412 du 23 décembre 2009 fixant la protection particulière des travailleurs employés par des entreprises de travail temporaire et les obligations auxquelles sont assujetties ces entreprises qu''il est formellement interdit de recourir de recourir à des travailleurs temporaires pour remplacer le personnel en grève licite d'une entreprise. »
« Cependant, notre employeur au mépris des dispositions sus indiquées, s'est permis de pourvoir les postes initialement occupés par le personnel gréviste, par des travailleurs mis à sa disposition par des entreprises de travail temporaires dont nous préférons pour l'instant taire les noms. Malgré nos multiples alertes et rappels, il refuse de se conformer à la réglementation sénégalaise. », note encore le communiqué. Avant d’évoquer la « réquisition de travailleurs grévistes, sans aucune décision administrative. »
« Dans sa volonté de faire obstacle à un droit fondamental, notre employeur s'est substitué aux autorités administratives en voulant procéder à la réquisition de certains travailleurs grévistes. A cet effet, beaucoup de nos collègues ont reçu des exploits d'huissier leur demandant de rejoindre leur poste. Une telle démarche, viole les dispositions de l'article L.276 du Code du Travail qui ne donnent cette prérogative qu'à l'autorité administrative.
Nos multiples rappels et alertes sont restés sans suite. Pire, un des membres du comité de direction s'est permis d'appeler individuellement certains travailleurs pour leur intimer l'ordre de rejoindre leur poste au risque d'y être contraints par la force. Un tel procédé est une violation manifeste de la liberté de travail », souligne le document.
 
Avant d’évoquer la « Privation de nourriture »
 
À ce propos, il dira que « face à la détermination des travailleurs grévistes que nous sommes à faire respecter nos droits, notre employeur à pousser le bouchon trop loin en décidant de nous priver de nourriture. »
« En effet, il a d'abord commencé par fermer l'ensemble des restaurants aux motifs que nos contrats sont suspendus. Une telle démarche n'a guère gêné nos mandants et pour faire face à cette situation, nous avons décidé, avec l'aide des populations locales, de nous organiser en prenant en charge notre restauration. Cependant, contre toute attente, notre employeur a décidé d'interdire l'introduction de ces repas au niveau de la base de vie.
En posant un tel acte inhumain, son objectif est d'affamer plus d'un millier de travailleurs sénégalais. Cette énième privation viole l'ensemble des instruments nationaux et internationaux relatifs aux droits de l'homme, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels notamment son article 2 qui demande à tous les Etats de « prendre des mesures pour veiller à ce que des entreprises ou des particuliers ne privent pas des individus de l'accès à une alimentation adéquate », précise le communiqué.
Au regard de tout ce qui précède, les délégués « invitent les autorités et autres acteurs du monde du travail et de la société civile, d'inviter notre employeur à se conformer à la législation sénégalaise avant que l'irréparable ne se produise. » « En ce qui nous concerne, nous restons déterminés et convaincus que les droits des mandants seront respectés. », souligne encore le collège des délégués du personnel.
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
 
LES ECHOS

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