SUPPRESSION DU SYSTEME DU PARRAINAGE ELECTORAL: Les motivations de la décision de la Cour de Justice de la Cedeao



 
 
 
La Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a ordonné à l’Etat du Sénégal de supprimer la loi sur le parrainage. Le principal organe judiciaire de la Communauté fixe à Dakar un ultimatum de 6 mois pour se conformer à la décision. Mais déjà, dans l’arrêt qui a été rendu public hier, avec son lot de révélations, la Cour s’est expliquée sur sa compétence pour connaître du litige, sur la recevabilité de la requête, est revenue dans le fond sur pourquoi il a ordonné à l'Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections, consécutifs à cette modification, par la suppression du système du parrainage électoral. À signaler que l’État du Sénégal était représenté par l'agent judiciaire de l'État (Antoine Felix Diome, au moment des faits), Me Yérim Thiam, Me Papa Moussa Félix Sow, Me Samba Bitèye, Me Bassirou Ngom et Me William Bourdon.
 
 
 
La Cour de justice de la Cedeao a ordonné à l’Etat du Sénégal de supprimer la loi sur le parrainage dans un délai de 06 mois. La Cour communautaire estime que cette loi porte atteinte au principe de la libre participation aux élections.
Pour rendre cette décision, la Cour, principal organe judiciaire de la Communauté, a dû départager le requérant Me Abdoulaye Tine, avocat au Barreau de Paris et président de l’Union sociale libérale (Usl), représenté par Me Adama Fall et le défendeur État du Sénégal représenté par l'agent judiciaire de l'État (Antoine Felix Diome, au moment des faits), Me Yérim Thiam, Me Papa Moussa Félix Sow, Me Samba Bitèye, Me Bassirou Ngom et Me William Bourdon.
 
 
L'Etat du Sénégal a soulevé l'incompétence de la Cour et l'irrecevabilité de la requête

 
 
 
Les avocats de l'Etat ont, dans leurs plaidoiries, sollicité que la Cour mette fin à cette procédure par voie d'ordonnance motivée. Ils ont sollicité en outre que la requête soit déclarée formellement irrecevable.
En effet, l'Etat du Sénégal a soulevé l'incompétence de la Cour et l'irrecevabilité de la requête. Il soutient en effet que la Cour est incompétente pour connaître de la requête car elle vise uniquement à remettre en cause les lois votées par l’Assemblée nationale et les décisions du Conseil constitutionnel, d'une part, et à amener la Cour de céans à vouloir assurer la police des élections présidentielles, d’autre part.
L'Etat du Sénégal a mis en cause la qualité pour agir de la requérante et invoque des irrégularités de nature à affecter la recevabilité de la requête. A propos de ces irrégularités, les conseils de l’État ont évoqué le fait qu'il n'y est mentionné ni le domicile de la requérante, ni les noms et qualité de son représentant légal, ni même la décision du bureau politique du parti autorisant la présente action en justice.
 
 
Me Abdoulaye Tine «déplore» le seuil très élevé de parrainage qui exclut les 2/3 des partis politiques
 
 
De son côté, l’Union sociale libérale a affirmé que dès lors qu'une violation imminente des droits fondamentaux de l'homme est en cause, la Cour de justice de la Cedeao est compétente pour connaître du litige. L’Usl explique que c'est en 2015 que la Cour a adapté cette position en jugeant que le risque d'une violation future peut donner la qualité de victime au requérant. L’Usl faisait ainsi allusion à l’affaire Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp) et autres contre l'Etat du Burkina Faso du 13 juillet 2015.
Dans sa plaidoirie toujours, Me Abdoulaye Tine a fait valoir qu'ainsi que l'exige la jurisprudence, il existe en l'espèce des indices raisonnables et convaincants de la probabilité de la réalisation d’une violation des droits des partis politiques. «Elle soutient que la recevabilité de toute candidature aux élections présidentielles au Sénégal est désormais conditionnée par la nouvelle loi relative au parrainage et que même si aucune candidature n'est encore présentée par un parti politique ni rejetée par l'instance compétente, la loi relative au parrainage ayant déjà été votée depuis le 19 avril 2019, elle exclut de l'élection présidentielle du 24 février 2019, les deux tiers des partis politiques légalement constitués en raison du seuil très élevé de parrainage exigé par cette loi. Par conséquent, la violation effective des droits de l'homme en cause interviendra inévitablement», note la décision de justice.
 
La Cour estime que le parrainage constitue une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat
 
 
Après avoir entendu les deux parties, «la Cour décide que les formations politiques et les citoyens du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale par la loi n°2018-22 du (4 février 2018), doivent être rétablis dans leurs droits par la suppression du système de parrainage qui constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l'exercice du droit de vote d’une part et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat d'autre part».
Ainsi, note le document, aux termes de l'article 66 alinéa 2 du règlement de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu dans ce sens. «En l'espèce, l'Union sociale libérale et l'Etat du Sénégal ont conclu en ce sens : L'Usl et l'Etat du Sénégal succombent partiellement», note la Cour, indiquant que chacune des parties supporte ses propres dépens.
 
 
La Cour estime tout de même que le parrainage n'a pas un caractère discriminatoire
 
 
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux parties, dit que la demande de mesures provisoires est sans objet et dit également sans objet la demande de procédure accélérée. Sur sa compétence, la cour se déclare compétente pour connaître du litige et sur la recevabilité, elle déclare la requête de l'Usl recevable.
Sur le fond de l'affaire, la Cour déclare l'Usl partiellement bien fondée en ses prétentions. Ainsi, elle dit que la loi n°2018-22 du 4 février 2018 n'a pas un caractère discriminatoire et dit par ailleurs que cette loi ne viole pas le statut des partis politiques.
Cependant, la Cour note que le code électoral sénégalais, tel que modifié par la loi n°2018-22 du 4 février 2018, viole le droit de libre participation aux élections. «Elle ordonne en conséquence à l'Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre participation aux élections consécutifs à cette modification par la suppression du système du parrainage électoral ; lui impartit un délai de six (6) mois à compter de la notification qui lui en sera faite pour soumettre à la Cour un rapport concernant l'exécution de la présente décision», lit-on sur la décision de justice.
 
 
 
Sidy Djimby NDAO
 
 
LES ECHOS

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